LA CHRONIQUE DU LUNDI de Christian Gambotti : L’ ÉTAT IVOIRIEN EST-IL EN FAILLITE ?

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INTRODUCTION

On se souvient de la formule de François Fillon, alors qu’il venait d’être nommé Premier ministre en 2007 : « Je suis à la tête d’un Etat en faillite. ».
Il voulait mettre ainsi en évidence la situation financière de la France dont l’endettement atteint, aujourd’hui, près de 100 % du PIB avec une dette détenue majoritairement par des créanciers étrangers. La même question peut se poser aujourd’hui pour l’État ivoirien, l’exercice 2016 s’étant terminé avec un déficit budgétaire de l’ordre de 4 %, supérieur à celui attendu.
● Point positif : le budget ivoirien est en hausse constante depuis 2012.
● Point négatif : ce budget souffre aujourd’hui d’une faible mobilisation des ressources propres et d’une baisse des ressources levées sur les marchés financiers.

● Question qui peut se poser dans un concours d’entrée à l’Inspection générale des finances ou à l’ENA : L’État ivoirien est-il en faillite avec des recettes (fiscalité et emprunts) moins élevées que prévues ?
I. Des recettes insuffisantes

. Recettes fiscales 2016 insuffisantes : si ces recettes sont en hausse de 10% par rapport à 2015, elles sont en baisse de 48 milliards Fcfa par rapport aux prévisions pour 2016. Cette tendance baissière se confirme sur les deux premiers mois de l’année 2017 (-11%).

. Recettes douanières en baisse : sur les deux premiers mois de l’année, les recettes douanières sont inférieures de 80.4 milliards soit – 28%. Deux raisons : la crise du cacao et les grèves.

. Emprunts sur les marchés financiers en baisse aussi : le Trésor Public n’a pas pu lever sur les marchés financiers, notamment régionaux, les sommes escomptées (162 milliards Fcfa contre 235 attendus Fcfa ). Est-ce le résultat d’une baisse de confiance qui risque d’entraîner une hausse des taux d’intérêt ?
II. Des dépenses imprévues et des incertitudes macroéconomiques qui pèsent sur la trésorerie

. Dépenses imprévues : le Gouvernement a dû verser plusieurs milliards pour satisfaire les revendications des ex-rebelles, ce qui a totalement déstabilisé le plan de trésorerie du début de l’année. Conséquence : les dépenses budgétaires sur 2017 n’ont été satisfaites qu’à partir du 27 février 2017 au lieu de janvier et les crédits mis à disposition ont été contingentés.Résultats : des salaires non-versés, des ministères et des institutions non-approvisionnés.
. Incertitudes macroéconomiques : les prévisions de croissance ont été revues à la baisse par la Banque Mondiale et le FMI à 6.8%. La situation du Cacao, qui représente 15 % des recettes budgétaires, est critique.
La nécessité de revoir le « prix bord champ garanti » et de couvrir la différence impactera fortement les dépenses budgétaires. Le fonds de réserve de 147 milliards Fcfa pour le cacao s’avère insuffisant. Les hausses des prix du pétrole rendent très coûteux le maintien d’un prix à la pompe à 570 FCFA. La situation macroéconomique est donc tendue.
III. Une crise sociale qui nourrit une crise politique

. Crise sociale : les fonctionnaires réclament le paiement d’arriérés anciens de l’ordre de 249 milliards. La fragilité actuelle de L’État les conduit à utiliser l’arme de la grève. La tension reste vive dans les casernes suite au report au mois de mai du paiement d’un million supplémentaire par ex rebelle. Un solde de près de plusieurs milliards reste a priori à régler pour atteindre les 12 millions par ex-rebelle.
.Crise politique : au sein de la coalition au pouvoir, la tension est vive entre le PDCI et le RDR qui ont constitué des groupes séparés à l’assemblée nationale. Bédié et Ouattara sont bousculés par les « noyaux durs » de leur camp. Le RHDP tangue. Le FPI, parti d’opposition, est divisée. La stabilité politique est menacée. La perspective de 2020 crée un climat délétère.

 

CONCLUSION

Le niveau des principales ressources de l’État est inférieur de 176.8 milliards sur les deux premiers mois de l’année 2017. Le déficit négocié dans le cadre du programme avec le FMI est de 3.4 %. Or, il est estimé aujourd’hui à plus de 5 %. Comment mobiliser rapidement des ressources budgétaires, sans accepter de nouvelles contraintes imposées par les bailleurs de fonds, notamment le FMI et les marchés financiers ?

Mais, si la situation budgétaire est actuellement tendue, l’État ivoirien est loin d’être en faillite. Le niveau d’endettement reste soutenable. Depuis 10 ans, les mesures prises par le gouvernement ivoirien ont permis de redresser le pays et créer 1 million d’emplois. Les réformes doivent donc se poursuivre avec trois exigences : une gestion plus transparente des finances publiques, une politique plus volontariste de diversification de l’économie et une lutte accrue contre la corruption. Le « boum » démographique oblige à créer plus d’emplois ; la crise d’une économie de la rente comme le cacao conduit à diversifier l’économie ; le fait qu’un Ivoirien sur deux vive encore sous le seuil de pauvreté nécessite d’aller vers une croissance plus inclusive. Le gouvernement ne doit pas se contenter de slogans “creux” sur l’émergence, slogan que lui dicte une vision trop politicienne.
Christian Gambotti

Directeur général de l’Institut Choiseul

(Paris, Abidjan), Éditorialiste, Politologue

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