Interview – Sangaré Siriki, patron de Opes Holding : “700 mille logements manquent aux besoins du marché”

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Sangaré Siriki - Patron de Opes Holding

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Sangaré Siriki fait partie des bâtisseurs de l’économie ivoirienne. Il est un champion dans le secteur de l’immobilier en Côte d’Ivoire. L’IA est allé à sa rencontre pour faire le point sur le programme des logements sociaux lancé par le Président Alassane Ouattara. C’était à ses bureaux situés à Abidjan-Cocody, Rue Cannebière.

Monsieur le PDG de Opes Holding, peut-on affirmer que pour vous, les années passent et se ressemblent. Les distinctions pleuvent sur vous depuis votre entrée dans le secteur de l’immobilier en Côte d’Ivoire (Ndlr : en 2012) : Paris, Tunis, Abidjan etc…Quel est le secret de ce Succes story ?

Depuis 2012, nous avons entamé le début d’un long parcours. Nous sommes rentrés dans la construction et la promotion immobilière parce que faisant l’état des lieux, nous avons remarqué que la Côte d’Ivoire a un déficit très chronique de logements : en gros 700 000 logements. De façon conjoncturelle et structurelle, il faut 50 à 60 000 logements par an. Nous avons tout de suite compris que seul le travail peut nous amener à réduire ce déficit. C’est pour cette raison qu’avec tous mes collaborateurs à Opes Holding et avec aussi l’appui institutionnel, nous avons travaillé d’arrache-pied pour sortir les résultats que tout le monde voit aujourd’hui. Donc le secret de ce Succes story est le travail. Le seul trésor que nous avons, c’est le travail. C’est le secret de la réussite.

Le ministre de la Construction, du Logement et de l’Assainissement, Claude Isaac Dé, a fait du projet de construction des logements sociaux, l’une de ses priorités depuis son arrivée à la tête de ce ministère. Lors d’une récente rencontre avec les acteurs du secteur, il a mis les pieds dans le plat en vous disant que vous n’avez plus droit à l’erreur et que tous les obstacles doivent être levés afin d’accélérer le projet de construction des logements sociaux. Considérez-vous ces propos du ministre (que vous-même avez qualifié d’échanges francs), comme un challenge ou comme un échec ?

Avant de répondre à votre question, permettez-moi de remercier d’abord le Président de la République, SEM Alassane Ouattara, qui a eu la volonté politique de lancer le programme de logements sociaux. Depuis son arrivée au pouvoir, il en a fait l’une de ses priorités. Au départ, il s’agissait de réaliser 60 000 logements sociaux, économiques et standings. Et par la suite, cette volonté politique s’est mise en pratique. Bien évidemment, la construction d’une maison est l’aboutissement d’un processus. Il faut d’abord créer le cadre institutionnel qui permet de faire des réformes très strictes et rigoureuses pour assainir la filière. C’est ce qui a été fait. Cela a commencé sous la ministre Nialé Kaba. Elle a introduit ces réformes qui étaient axées sur le foncier, le financement et puis la fiscalité. Nous avons appelé ces réformes-là, la ‘’loi des 3 F’’. Pourquoi le foncier ? Tout simplement parce que c’est notre matière première. Si le foncier n’est pas sécurisé, c’est impossible de faire des logements. C’est le premier élément de gage auprès des banques pour les levées de fonds. Et les investisseurs doivent voir comme un indicateur, l’accessibilité à la propriété foncière de manière sécurisée : c’est-à-dire les titres fonciers. Donc il fallait réduire le temps administratif pour l’acquisition de ces terrains et sécuriser au maximum. On va y revenir ! Maintenant ces réformes étant lancées, le ministre Mamadou Sanogo a pris les commandes. Il en a fait une priorité. L’ancien ministre a aussi axé son travail sur la réalisation de ces logements. Et par la suite, nous avons eu le ministre Gnamien Konan qui a pris le relais et qui a travaillé.
L’arrivée du ministre Claude Isaac Dé à la tête du département ministériel est salutaire. Il a fait, avec nous, l’état des lieux. Il y a eu des insuffisances. Bien entendu aucune œuvre humaine n’est parfaite. Le ministre Issac Dé étant là, il a voulu rectifier certains tirs pour que nous puissions arriver aux objectifs fixés par le gouvernement. C’est-à-dire 150 000 logements. Nous connaissons bien son parcours : c’est un technicien, un ingénieur. Il est de la maison et il sait de quoi il parle.
Dans ce langage franc, l’État a sa part à jouer. Les promoteurs ont également leur part à jouer. L’État doit nous permette d’avoir du foncier sécurisé, avoir les ACD dans de brefs délais, les permis de construire aussi. Mais surtout, l’État doit faire des VRD (Voiries, des Réseaux) primaires, pour que l’accès à nos logements soit facile. Il a pour rôle essentiel de sécuriser le foncier. Il doit envoyer sur nos sites, l’eau et l’électricité. Par la suite, l’État doit mettre en place une politique d’exonération liée à une fiscalité intéressante pour que les logements sociaux soient une réalité. Car ils visent une certaine tranche de la population à revenu très faible. Ces conditions doivent donc être réunies pour que nous puissions sortir effectivement de terre des logements sociaux. Nous avons discuté de tout cela avec le ministre. Il a pris bonne note et il a promis que l’État va jouer son rôle. Les promoteurs aussi. Je ne peux parler d’échec ni de réussite mais je dis, les logements sociaux sont une réalité. Évidement il y a des insuffisances qui subsistent que nous sommes en train de corriger.

Le quota de 150 mille logements sociaux n’a pas encore été atteint. Pourquoi ce retard dans la livraison des logements ?

Je vais tout de suite rectifier ! Ce n’est pas 150 000 logements sociaux, mais 150 000 logements composés comme suite : 60 000 logements sociaux, 18 000 LEM (Lotissements à équipement modéré), 42 000 logements économiques et 30 000 logements standings. C’est pour montrer que l’État ne vise pas seulement que les cas sociaux, mais il veut loger un peu tout le monde pour réduire le déficit de logements. Donc le retard s’explique : il y a des réformes courageuses qu’il fallait faire pour assainir le secteur. Ensuite, l’État devait trouver les moyens de faire sa part, c’est-à-dire sécuriser le foncier et le mettre à disposition. Il y a des décrets qui ont été pris dans ce sens là. Il y a eu l’amélioration de la purge des droits coutumiers, car il faut désintéresser les propriétaires terriens, même si constitutionnellement la terre appartient à l’État. Cette purge des droits coutumiers a fait l’objet d’un décret dans lequel l’État nous demande de payer 2000 FCFA le mètre carré dans la zone d’Abidjan et banlieue. A l’intérieur du pays, ça va de 600 à 1500 FCFA le mètre carré.
Maintenant pour qu’on puisse rapidement livrer les logements, il faut faire les VRD primaires. C’est très difficile pour avoir accès à certains endroits aujourd’hui. L’État doit donc faire des routes, amener l’eau et l’électricité. Par ailleurs, les catégories de personnes qui doivent avoir ces logements ont été définies. L’État est en train de refaire une base de données avec le ministre Claude Isaac Dé. Il faut que cette base de données reflète réellement ceux qui ont droit aux logements. D’ailleurs, le CEFAL a été mis en place pour recenser etc…Une fois ces choses faites, tout va repartir très bien. L’État est en mesure de faire les choses.
Il y a aussi le problème des financements. Lorsqu’on est dans ce secteur de logements, il y’a deux types de financement qu’il va y voir : le financement du crédit-promoteur et le financement du crédit-acquéreur. C’est très difficile pour les banques locales de suivre le programme, car quand on parle de 150 000 logements cela demande beaucoup d’argent. L’État devrait mettre en place un mécanisme de financement pour accompagner les promoteurs, comme en Tunisie, au Maroc, en Algérie… Dans ces pays, le mécanisme de financement est lié à un fonds de garantie. Alors que dans les pays subsahariens, le taux de bancarisation est assez faible. En Côte d’Ivoire, c’est 15%. Et des personnes qui sont dans les banques ici n’ont pas de quotité cessible pour pouvoir acheter des maisons. Ce qui est très difficile. Donc pour accompagner ces personnes et d’autres du secteur informel qui n’ont pas de revenus stables, il faut mettre en place un fonds de garantie. Ce fonds permettra de prendre le relais, mais il y a des mécanismes qui existent déjà ici. Il y a le CDMH qui est le Crédit de Mobilisation de l’Habitat. Il a aussi le FSH (Fonds de soutien de l’habitat). Il y a également des accords de la Banque mondiale qui peuvent prendre le relais. Ces deux structures qui sont le CDMH et le FSH ont pour rôle d’accompagner les acquéreurs. L’État alimente leurs comptes et les banques locales qui participent au programme se refinancent auprès d’eux à des conditions redéfinies à un taux très intéressant. Cette situation permettra aux acquéreurs d’avoir des maisons à 5, 5 % de taux. Et il faut ajouter qu’il faut des financements longs, au moins 15 ans. Cela va soulager…
Alors pour lever complètement tous ces blocages aujourd’hui, il faut faire de la location-vente. Quand on parle de logements sociaux, on parle de personnes aux revenus très faibles. Le Président Houphouët avait lancé, entre 1960 et 1980, un vaste programme social notamment les logements sociaux. À cette époque c’est vrai, la Côte d’Ivoire était soutenue par les recettes du café-cacao. Vous vous rappelez qu’en 1975, le pays avait fait un excédent budgétaire 1000 milliards FCFA. Ce qui a permis de financer tout ce programme. Malheureusement en 1980, il y a eu la conjoncture qui s’est transformée en programme d’ajustement structurel. L’État était donc obligé de respecter les injonctions des bailleurs de fonds. Vous vous rappelez d’ailleurs que le Président de la République actuel, SEM Alassane Ouattara, est venu en 1990 pour assainir les finances publiques. Au départ il était président du comité interministériel et par la suite Premier ministre pour appliquer les réformes. Il a été demandé à l’État de se désengager de toutes les sociétés d’État et de permettre au secteur privé de prendre le relais. C’est pour ça qu’il y’a eu la SICOGI, la SOGEPHIA…et il y a eu des locations-ventes. Je pense qu’aujourd’hui pour satisfaire le maximum de demandeurs, il faut faire des locations-ventes. Il y a aussi des mécanismes qu’on peut mettre en place, ce sont des mécanismes de VEFA. C’est-à-dire Vente en l’état futur d’achèvement ou le BEFA, qui est le Bail en l’état futur d’achèvement. L’un ou l’autre permettra au secteur financier d’accompagner le programme. L’État , par la suite, doit faire des efforts du point de vue fiscalité : des exonérations qui accompagnent le programme.

Que répondez-vous aux Ivoiriens qui attendent toujours de recevoir leurs clés, leurs logements (sociaux) ?

Construire une maison, c’est l’aboutissement d’un processus. Il y a des personnes qui ont souscrit et d’autres qui ont même fini de payer et qui attendent leurs clés. Quand le ministre Isaac Dé est arrivé, il a fait l’état des lieux. Donc l’état des lieux c’est : quels sont les sites qui ont besoin de VRD primaires ? Tu ne peux pas remettre les clés à un souscripteur dans un site où l’assainissement n’est pas bien fait. Il faut que les canalisations d’eaux pluviales et d’eaux usées soient bien faites. Donc l’objectif est de sortir des maisons et des habitats à des endroits fiables et viables. Il y a des normes environnementales à respecter. Le ministre fait des mains et pieds pour que cette partie soit réglée et les clés seront remises. Au-delà de tout ça, je pense qu’il y a déjà eu une programmation. Le ministère par la voix autorisée du ministre donnera un programme très rapidement. D’ici au mois prochain, il y aura la remise des premières clés. Donc les Ivoiriens peuvent être confiants. Des sacrifices ont été faits, il y a eu des insuffisances dans le programme, que nous reconnaissons. Aujourd’hui, le Premier ministre, SEM Amadou Gon Coulibaly, avec le ministre de la Construction, du logement et de l’assainissement sont en train de mettre en place toute cette partie de VRD primaires pour pouvoir livrer des maisons.
Il y’a le site de Songon qui fait à peu près 500 hectares. C’est énorme ! Ça sera une nouvelle ville qui demande beaucoup d’investissements. Il y’a Bingerville qui est pratiquement fini. Les assainissements ont été faits là-bas. Le ministre a demandé que les maisons soient certifiées par des laboratoires locaux. Ce qui est en train d’être fait. Et il y aussi Bassam où l’assainissement est un peu plus compliqué. Parce que, lorsque l’autoroute est passée, et il y’a eu un décalage avec niveau de l’eau. L’eau coule dans le sens inverse. Une solution technique est en train d’être trouvée à ce niveau. Les Ivoiriens peuvent continuer de croire au programme. Il n’y a que des problèmes techniques à régler aujourd’hui. Nous allons bientôt lancer une campagne pour expliquer aux uns et aux autres quelles sont les nouvelles mesures qu’on va prendre pour rapidement satisfaire tout le monde.

Quelle est la situation en ce qui concerne les souscripteurs de Opes Holding ?

Les souscripteurs de Opes Holding n’ont pas de problème. Il y a certains qui ont reçu des remises de clé provisoires et qui attendent que le gouvernement vienne officialiser. Nous avons pratiquement fini toutes nos maisons. Les VRD secondaires ont été faites. Il y a l’amenée d’eau et d’électricité. Donc en ce qui concerne nos souscripteurs, il n’y a pas de problème. Nous avons même entamé la phase des standings. La cité Opes Holding à Bingerville, c’est 516 maisons. Nous avons 1000 à 1500 souscripteurs. Nous sommes en train de commencer une nouvelle cité sur la route de Bassam. Les autres souscripteurs pourront évidement bénéficier des autres chantiers. Dans notre programme, c’est de pouvoir très rapidement mettre en place 1000 à 1500 logements par an avec les nouveaux partenaires que nous avons. Ils sont arrivés de la Turquie, de la Chine, d’Italie et de la Tunisie. Opes Holding a tout un programme pour satisfaire ses souscripteurs.

Où en êtes-vous avec les différents projets de la Chambre nationale des promoteurs et constructeurs agrées de Côte d’Ivoire que vous présidez ?

Le rôle de la Chambre est de créer un rapprochement entre tous les promoteurs et les constructeurs, pour qu’ensemble nous puissions représenter une force. Lorsqu’on construit des maisons, on ne fait pas les mêmes économies de chaînes. Nous nous sommes alors regroupés dans cette Chambre pour pouvoir bénéficier auprès des bailleurs de fonds, des institutions et des partenaires, des contrats et des financements pour la Chambre. Ce qui nous permettra de représenter un volume plus important et de faire des discussions plus intéressantes. Nous avons mis des cellules en place au niveau de la Chambre, pour des recherches de financement et de partenaires…Elles fonctionnent très bien. D’ailleurs, il n’y a pas que des promoteurs et des constructeurs dans la Chambre, il y a également des financiers, des banquiers. Il y a aussi des représentants d’investisseurs étrangers. Aujourd’hui, elle a un rôle de recherche de financement et de mise en place d’un plan d’exécution rapide d’un maximum de logements pour les Ivoiriens.
Il est très important de rappeler qu’on a besoin de main d’œuvre qualifiée. C’est vrai qu’on a des ouvriers sur les chantiers mais, ils n’ont pas la qualification requise même s’ils ont fait des études théoriques pour cela. Au niveau de la Chambre, nous avons mis en place une cellule de formation qui est en train de nouer un partenariat avec le BTP, qui est une fédération de bâtiment à Saint Etienne en France, pour la mise en place des CEFA (Centre de formation des apprentis en réseau). Cela va permettre de créer des emplois, de renforcer les capacités sur place ici en Côte d’Ivoire. Ce sont des écoles-chantiers. Les manœuvres qui sont sur les chantiers seront directement formés et embauchés en même temps. Cela va réduire le chômage. L’objectif de la Chambre est de rendre ses ouvriers plus performants.

Quel est votre regard sur le secteur de l’immobilier en Côte d’Ivoire ? Y-a-t-il des raisons d’espérer ?

Oui, il y a des raisons d’espérer. Quand le bâtiment va bien, tout va bien ! Nous devons espérer mais nous devons tout faire pour que le secteur de l’immobilier réussisse. C’est pour ça que nous nous battons et nous allons nous battre pour que l’État et nous, réussissions.

Que pensez-vous du scandale de l’Agro-business qui défraie la chronique ?

J’ai suivi de loin l’affaire de l’Agro-business. C’est un modèle d’affaires que je ne ferai pas. Il y a un minimum de règles dans les affaires que nous faisons. Quand le RSI (Retour sur investissement) dépasse un certain montant, cela devient critique. Mais je ne critique ni les promoteurs, ni les souscripteurs encore moins l’État dans ce scandale. Je pense qu’il faut trouver un compromis entre les différents acteurs pour que tout se passe dans les meilleures conditions.

Êtes-vous un homme riche ?

Je suis riche dans ma pauvreté. Pour moi la richesse, ce n’est pas le bien matériel, ce n’est pas d’avoir un compte en banque bien garni, mais c’est d’aider son prochain. L’homme qui est riche, est celui qui partage. Je me sens riche lorsque je sens que ceux qu’on aide à avoir des maisons, ceux qu’on forme, qu’on aide dans la vie, sont contents.
Etre riche, c’est partager avec son prochain.

Réalisée par TAB avec JT.

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