Décès de Rita Gnahoré au Chu de Cocody : Jean Bonin écrit au Dg du Samu (Côte d’Ivoire)

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Dernère publication

M. le Directeur Général du SAMU ( Service d’Assistance Médicale d’Urgence )

Suite à un post que j’ai publié le lundi 10 juillet 2017 sur Facebook, relatif au tragique décès de Mlle Rita Koffi Gnahoré, des suites d’une série de négligences et de défaillances du système ivoirien de santé en général et vos services en particulier, vous n’avez pas jugé utile ou nécessaire de me rencontrer pour m’entendre ou échanger avec moi. Vous avez plutôt préféré faire un point de presse pour tenter, maladroitement, de vous dédouaner de votre part de responsabilité dans les causes dudit décès.

Ce point de presse, ce point de presse que vous avez tenu, le 13 juillet 2017, duquel émane des propos liminaires publiés sur la page facebook de votre ministère de tutelle, preuve qu’il l’endosse implicitement, appelle de ma part un mise au point.

Alors que dans mon post précité je n’avais pas jugé opportun d’exposer le détail de certains faits en rapport avec cette affaire car ils n’honoraient pas vos services, votre droit de réponse qui semble faire de mon post un sujet à caution m’y contraint.

Mais avant, je voudrais déplorer le fait que vous ayez choisi de recourir à un point de presse plutôt qu’à une conférence de presse pour dire votre part de vérité sur cette affaire.

En effet, contrairement à la conférence de presse, le point de presse n’offre pas aux journalistes l’opportunité de vous poser des questions, ce qui bien évidemment vous met dans la confortable position de pouvoir donner VOTRE vérité et non nécessairement LA vérité sur les faits tels qu’ils se sont réellement déroulés.

Je vais donc m’atteler à vous répondre, point par point, suivant la chronologie des éléments justificatifs contenus dans les propos liminaires de votre point de presse.

1 – En ce qui concerne le processus de sortie des ambulances pour le transfert d’un malade d’un hôpital à un autre.

Vous nous informez de ce que l’une des raisons qui justifie la lenteur de réaction de vos services dans la prise en charge des malades c’est l’encombrement de votre Centre d’Ecoute et de Régulation des Appels qui, en moyenne, recevrait 500 appels par heure.
Si l’on part du principe qu’une heure correspond à 60 minutes et qu’un appel durerait en moyenne que 30 secondes, il est improbable, voire matériellement impossible, que votre Centre d’Ecoute reçoive 500 appels par heure sauf s’il y a plusieurs opérateurs d’écoute qui répondent simultanément.

Or, en l’espèce, j’ai moi-même plusieurs fois appelé et rappelé le Centre d’Ecoute que j’ai pu joindre sans difficulté. D’ailleurs à chaque fois, je suis tombé sur le même standardiste qui, inlassablement, me répétait que le Dr Ouattara du CHU de Treichville l’avait bien contacté et qu’une ambulance était en route pour aller récupérer Rita en vue de son transfert en réanimation au CHU de Cocody.

À aucun moment il ne m’a été objecté que le SAMU qui avait été contacté à 12h 14 mn, tel que mentionné dans vos propos, attendait une quelconque confirmation de disponibilité d’une quelconque place pour Rita au service de réanimation du CHU de Cocody avant son transfert effectif. Bien au contraire, l’opérateur téléphonique me répétait à chaque appel que l’ambulance du SAMU était déjà partie et donc en route pour le CHU de Treichville.

D’ailleurs, je me demande bien comment le Dr Ouattara du CHU de Treichville pourrait appeler le SAMU pour lui demander de venir transférer un malade vers le CHU de Cocody sans avoir pris l’élémentaire précaution, à son niveau, de s’assurer que sa patiente y était attendue. Agir ainsi aurait été une grave faute professionnelle de sa part dans la mesure où, en tant que médecin et praticien hospitalier, il ne peut raisonnablement ignorer la cruciale et récurrente question de l’indisponibilité chronique de places dans la quasi totalité des services de nos CHU, à plus forte raison ceux de la réanimation.

Vous auriez voulu rejeter la faute sur vos autres collègues et les services des CHU de Cocody et de Treichville que vous ne vous y seriez pas pris autrement.

En tout état de cause, les dysfonctionnements internes entre les services du SAMU et ceux des différents CHU ne devraient pas avoir pour conséquence d’impacter la prise en charge des patients qui, eux, sont étrangers à ces défaillances.

Vous nous apprenez également qu’en dépit de ce que vos services aient été informés, à 12h40 mn, de la disponibilité d’une place pour Rita en réanimation au CHU de Cocody, ce n’est qu’à 14h45 mn qu’une ambulance a été disponible pour son transfert. En d’autres termes, entre la demande de transfert effectuée à 12h14 mn et la disponibilité d’une ambulance pour son transfert au CHU de Cocody, à 14h45mn, il s’est écoulé pratiquement 2h30 mn. Certainement 2h30 mn d’attente de trop pour une patiente dans le coma et dont l’état de santé plus que précaire nécessitait une prise en charge immédiate.

M. le Directeur Général,

La réalité des faits, contrairement à ce qui est relaté dans votre point de presse est tout autre. En tant que témoin oculaire et pour avoir moi-même diffusé, en direct sur les réseaux sociaux, l’opération de transfert de Rita jusqu’à sa prise en charge effective par le service de réanimation du CHU de cocody, je peux vous assurer que ce n’est que vers 16h 30 mn que votre ambulance est arrivée au CHU de Cocody. D’ailleurs, la vidéo de son transfert ainsi que la date et l’heure exact de cette évacuation sont encore en ligne et peuvent être consultées sur ma page facebook. (Cf. piece jointe).

Il ne s’est donc pas écoulé 2h30 mn, ce qui est déjà excessif, mais bien 4h30 mn entre la saisine du Centre d’Appel du SAMU et le transfert de Rita au CHU de Cocody. Quoique n’étant pas médecin, je n’ai aucun doute sur le lien de causalité entre cette défaillance et le décès de la patiente. Elle a contribué a accélérer l’engagement de son pronostic vital.

Je veux bien vous accorder le bénéfice du doute étant entendu que vous n’êtes vous-mêmes pas sur le terrain des opérations. Cependant, vos agents savent, en âme et (in)conscience, que le compte-rendu qu’il vous ont fait sur ce dossier est inexact.

D’ailleurs, vous-mêmes, vous indiquez dans vos propos liminaires que l’ambulance est retournée à votre base à 17 h. Or celle-ci, qui se trouve au sein même du CHU de Cocody, n’est qu’à quelques centaines de mètres des services de réanimation, donc à moins de 5 mn du bâtiment concerné.

M. le Directeur Général,

Il y a également d’autres éléments contenus dans votre point de presse qui montrent bien que les comptes-rendus qui vous sont faits par vos collaborateurs ne sont pas fidèles car ils ne reflètent pas la réalité des faits, dont je le répète, ce sont pratiquement tous déroulés devant mes yeux.

En effet, contrairement à ce qu’on lire dans vos propos liminaires, le 01 juillet à 19h25 mn, en raison de ce que vos services qui avaient été sollicités plus tôt dans la journée n’étaient pas arrivés à temps, la dialyse que devait effectuer Rita n’a pu être réalisée que 2h plus tard. Et pour cause, la place qui avait été libérée pour elle au centre d’hémodialyse, situé dans le même espace que votre base, a été réattribuée à un autre patient en raison du retard accusé pour son évacuation initiale dans ledit centre.

Quand finalement la dialyse a été réalisée, ce n’est qu’après plus d’une (1) heure de temps d’attente supplémentaire que votre ambulance est venue la récupérer pour la transférer, toujours dans le coma, au service de réanimation. Autant de temps perdu qui a contribué à sceller le sort de la malheureuse Rita.

Au total, M. le Directeur Général, vos services ont été défaillants sur toute la ligne en ce qui concerne la prise en charge de Melle Rita Koffi Gnahoré.

Je note également que vous affirmez qu’aucun des déplacements de la patiente n’a été payé. Pour avoir moi-même effectué au moins un paiement, in situ, en présence de divers témoins dont la soeur jumelle de Rita, Claude Lydia, et de M. Franck Lutté, permettez que je m’inscrive une fois encore en faux face à une telle allégation. J’ai d’ailleurs déploré auprès de votre agent concerné le fait qu’il ne m’ait remis aucune facture en contrepartie du paiement que effectué entre ses mains. Je vous exhorte donc, pour prévenir de telles situations, à améliorer vos procédures de facturation externe en vue de garantir une meilleure traçabilité de vos opérations d’encaissement.

2 – En ce qui concerne la présence de machines de dialyse dans les couloirs de votre centre d’hémodialyse.

Vous justifiez la présence dans cet endroit exigu et inapproprié desdites machines par le besoin de leur entretien et réparation par les soins de vos biotechniciens.

Ici encore, permettez, une fois de plus, que je m’inscrive en faux. Peut-être l’ignorez vous, ces machines sont exposées dans ces couloirs, qui ne sont pas des ateliers de réparation, depuis déjà plusieurs mois.

Rita est suivie dans le centre d’hémodialyse du CHU de Cocody depuis plusieurs années. Je m’y suis rendu personnellement à plusieurs reprises depuis l’année dernière et, à chaque fois, j’y ai trouvé des machines. Je m’en suis d’ailleurs inquiété auprès du Dr Sohou avec lequel il m’arrive souvent d’échanger lors de mes visites à Rita.

3 – En ce qui concerne la tarification de vos services.

Vous nous apprenez qu’ils sont forfaitairement fixés à 25 000F pour toute intervention à Abidjan. Vous ajoutez que ce service public est, de votre point de vue, abordable, compte tenu de la qualité de vos prestations. J’en prends acte.

Toutefois, permettez que j’attire votre attention sur le fait que, officiellement, le salaire minimum mensuel en Côte d’Ivoire est de 60 000F. Autant dire que les 25 000F de votre facture, qui représentent près de la moitié d’un salaire, sont une vraie fortune pour la grande majorité de vos concitoyens. Surtout, comme me l’a indiqué votre agent, que ce tarif est également le même en cas de transfert d’un malade d’un service à un autre au sein du même bâtiment d’un hôpital donné.

Je remarque enfin que pour justifier l’accessibilité et l’amélioration de la qualité de vos prestations vous vous soumettez à un exercice de nature politique. En effet, en choisissant à dessein de faire une comparaison du coût de vos prestations et de leur qualité entre les années 2010 et 2017 vous n’avez en réalité que pour objectif, à peine dissimulé, de comparer deux (2) périodes distinctes de gouvernance politique. Cet exercice ne me semble pas opportun tant il est malsain et inadéquat. L’Etat et son administration publique sont une continuité, nous a-t-on de tout temps enseigné. Quittons donc le domaine de la politique et tenons-nous en aux faits et à leurs aspects techniques.

La santé n’a pas de parti politique, d’ethnie ou de religion. Laissez les argumentations de ce type à la politique politicienne. Elles sont contre-productives et ne sont de toutes les façons pas de nature à justifier les graves défaillances de notre système de santé. Il est vrai que les origines du mal sont lointaines mais le chef de l’Etat s’était fermement engagé à y promptement remédier, notamment en 2010 et 2015 lors des campagnes électorales.

M. le Directeur Général,

Pour terminer, j’observe qu’au lieu de faire amende honorable face au calvaire qu’a vécu cette jeune fille qui était pleine de vie et qui, malheureusement, est décédée pour n’avoir pas été correctement prise en charge à temps, vous préférez vanter l’efficacité de vos services et faire preuve de cécité sur les causes profondes des défaillances constatés et avérés en les imputant à des boucs émissaires, dont notamment les autres services médicaux. Ce n’est pas confraternel.

Je regrette que vous ayez décidé d’adopter cette posture de la surdité et du déni des réalités, d’autant que les choses devraient donc, dans votre logique, rester en l’état. Vu que c’est à vous qu’il appartient, en tant que le 1er responsable, après Mme le ministre de la santé, de prendre les mesures correctives qui s’imposent en vue d’améliorer la productivité de vos service, votre apparent satisfecit face à leur rendement laisse présager que c’est le statut quo qui prévaudra. Dommage pour les usagers du service public hospitalier.

En tout état de cause, M. le Directeur Général, outre de la justice des hommes et celle de Dieu, notre conscience, reste par dessus tout notre propre et meilleur juge. Si le décès de cette jeune fille qui a eu la malchance d’être née dans une famille démunie ne vous pose pas un cas de conscience alors je ne peux que vous remercier et vous en féliciter.

M. le Directeur Général,

Pour ma part, sachez que je n’en resterai pas là. Nonobstant le décès de Rita, dont je ne suis ni un parent proche, ni lointain, mais juste un soutien moral et financier, je continuerais de me battre pour que, d’une part, les choses changent et que, d’autre part, notre système de santé n’engendre plus d’autres victimes innocentes. Nos hôpitaux publics ne doivent pas, alors que nous envisageons d’atteindre l’émergence à l’horizon 2020, demeurer davantage des mouroirs.

En tant que juriste, mais surtout potentiel malade et donc probable usager des hôpitaux publics, la fatalité d’une mort presque certaine dans nos hôpitaux m’est insupportable, intolérable et inacceptable.

Je ne me contenterai donc pas de déplorer et de m’en remettre à la seule volonté de Dieu quand je suis persuadé qu’avec un peu d’humilité nous pouvons significativement améliorer leurs choses.

Aussi, dès la semaine prochaine, j’initierai la création et le lancement du Réseau Ivoirien du Traitement des Anomalies (RITA) médicales pour prévenir et dénoncer les maux conjoncturels et structurels dont souffrent nos services publics hospitaliers.

J’exhorte donc les populations, en général, à soutenir cette initiative en y adhérant massivement, et en particulier, le personnel médical, les juristes et les associations de consommateurs à nous apporter leur appui technique afin qu’ensemble nous puissions unir nos forces et nos intelligences pour œuvrer à l’amélioration de la qualité des prestations dans nos différents services publics hospitaliers, d’autant qu’ils sont financés avec les impôts, taxes et redevances diverses que nous payons quotidiennement.

Jean Bonin.
Juriste
email : jkbonin1@gmail.com

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