Interview exclusive – Gnagra Nazaire, ex loubard, alias le bûcheron de l’Ouest : « C’est moi le créateur du “Nouchi”-Magic System doit me payer »

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Gnagra Nazaire alias ‘’Le Bûcheron de l’ouest’’ est l’homme qui a régné à Treichville dans les années 70 par la force de ses muscles. Bagarreur de rue, la force de frappe de Gnagra faisait de lui un redoutable titan. Il affirme être le fondateur du langage ivoirien appelé communément le Nouchi. Nous l’avons rencontré.
Pendant votre apogée, quelles sont les personnes que vous avez terrassées ?

À l’époque, Treichville était le quartier le plus animé, la plaque tournante de tout Abidjan. On se retrouvait chaque soir dans la rue, et il fallait montrer sa capacité. Je me battais tous les soirs et j’étais toujours le vainqueur. Les gens venaient de Koumassi, Port-Bouët, Cocody et Yopougon. À leur arrivée, ils s’empressaient de voir qui est ce Gnagra qui avait le vent en poupe. Celui qui veut se faire voir en jouant au dur je le mets ‘’langue dehors’, c’est-à-dire je l’étale de tout son long après une bagarre.

Les Abobolais ne vous ont-ils pas effrayés ?

On n’entendait pas parler d’Abobo, Yopougon et des autres communes, parce que Treichville était la plaque tournante. Quand tu es dans la rue, il faut savoir où mettre les pieds parce qu’on trouve des drogués, des gangsters et toutes sortes de vices. Mais, nous étions des bagarreurs et on se battait sans les armes blanches. Nous ne dormions pas dans les rues. Mais ceux qui dormaient dans la rue, on les appelait les ‘’Bakoroman’’.

Avez-vous connu John Pololo ?

Oui, c’est un petit frère, je l’ai connu à l’allocodrome de Cocody. Notre époque était déjà passée et c’était maintenant celle de John Pololo. Nous disions s’il dit qu’il est fort qu’il aille gifler telle personne, et il le faisait. Quand cette personne réagissait et le frappait, nous venions à son secours pour prendre sa défense. Nous étions ses vieux pères.
Quand est-ce que le Nouchi a été créé ?

Le Nouchi a été créé dans les années 70 à Treichville devant les cinémas le Rio et El Mansour. C’est un langage codé des jeunes qui voulaient faire des sales besognes. Quand ils avaient à faire à toi, ils utilisaient ce code. L Quand tu ne maîtrises pas ce code, tu es mort avec eux. Quand les gars disent par exemple : « le Braiso arrive. Dja moi, pierre au poids à riano ou le pierre est mort» tu ne peux rien comprendre. Le Ziguehi fut créé et a aussi ajouté son langage au Nouchi. C’est un langage qui date de longtemps. Personne ne peut dire maintenant qu’il est le fondateur du Nouchi. C’est moi, le fondateur du Nouchi. Je suis encore vivant. Que ce soit Nash ou Billy Billy, personne des deux ne maîtrise le Nouchi. C’est un langage très profond qui date de longtemps, tout objet a un nom en Nouchi. Je détiens le dictionnaire Nouchi. Même le billet de dix mille francs, on l’appelait le ‘’Oulémani’’ ( le rouge en dioula , la couleur de l’ancien billet NDLR ; le bus, le pagne, le poulet, tout a un nom en Nouchi. J’ai le dictionnaire et ne le donne à personne.

Votre dictionnaire Nouchi est-il numérique ou physique ?

Je veux dire que le Nouchi a été créé en Côte d’Ivoire, et j’en suis le fondateur. Aujourd’hui, les gens chantent bien en Nouchi, et cela me fait plaisir mais ils oublient que ce n’est pas arrivé par hasard; ils chantent dans ce langage pour avoir de l’argent, mais qu’ils sachent qu’il y’a des personnes qui l’ont créé. Ce sont tous des tricheurs qui ne connaissent rien du Nouchi. Il faut que ces artistes pensent au fondateur de cette langue.

Quel sentiment vous anime quand vous entendez les gens chanter en Nouchi ?

Je suis content de les entendre chanter en Nouchi, et j’en suis fier. Au début c’est un langage que bon nombre de personnes ne voulaient pas sentir. Mais, aujourd’hui on entend le Nouchi sur des chaînes étrangères, des panneaux publicitaires, et un peu partout. Regardez le cas de Magic System, c’est le mot ‘’Gaou’’ qui a fait leur force et le groupe a eu ce qu’il a. C’est moi qui ai créé le mot Gaou et Magic system a commencé à ‘’daba’’(Ndrl : manger) sur ça, mais je me demande si Magic System a pensé un jour au fondateur du mot Gaou. Que Magic Sytem pense au fondateur. Je suis le créateur du mot Gaou donc, Magic System doit me payer des droits.

Comptez-vous poursuivre le groupe Magic System ?

Non, je ne le ferais pas à partir du moment où je n’ai pas mis quelque chose en place. En tant qu’un war (Ndrl : Guerre), je peux leur dire c’est moi le vieux père Gnagra, le fondateur, pensez à moi et je sais qu’ils vont penser à moi.

Avez-vous le brevet ?

Le brevet, c’est moi qui le donne. C’est moi qui dois dire que telle personne peut enseigner le Nouchi à l’université.

Avez-vous déposé vos dossiers de propriété au Burida ?

Non, le Ziguéhi est négligeant sur les bords.

Ne pensez-vous pas que le Nouchi a un impact négatif sur l’apprentissage de la langue française à l’école ?

Aujourd’hui je crois qu’il faut reconnaitre que le Nouchi a pris une allure qui a dépassé lesfrontières. Et on ne prend pas cela en compte dans nos écoles, dans nos universités. Pourtant c’est le nouchi qui est parlé par l’ensemble des Ivoiriens. Une fois en classe, les enfants parlent le français. En dehors des classes tous les jeunes parlent le nouchi. Et c’est une langue nationale. Je crois que nous devons voir ça de près. C’est la fierté de la Côte d’Ivoire. C’est-à-dire, ce langage a pris une proportion et l’Ivoirien s’y reconnaît . J’en suis fier. Il faut qu’on étudie le Nouchi dans les écoles et à l’université.

Vous voulez que le nouchi tombe dans le patrimoine culturels ivoiriens. Mais vous qui êtes le dépositaire, qu’est-ce que vous faites déjà pour cela ?

Ecoutez. Vous savez comment ça se passe. Moi je dois saisir mon avocat, faire des papiers pour dire que je suis l’un des fondateurs du Nouchi qui a pris de l’ampleur parce que là ça devient sérieux. Quelque chose dès le départ, on n’a pas pensé un instant que cela allait prendre. Aujourd’hui lorsque tu parles le Nouchi, on sent que tu es un Ivoirien. Même les Européens sont fiers de nous, pour preuve le mot ‘’enjailler’’ se trouve dans le dictionnaire. C’est pour vous dire que c’est un grand pas déjà.

Quand allez-vous éditer le dictionnaire Nouchi?

Je crois que c’est maintenant que je vais le faire sortir. J’ai pris tout mon temps pour le rédiger et je signale que le Nouchi se conjugue à tous les temps.
Avez-vous une académie en vue de mettre en place le dictionnaire Nouchi?
Une académie, c’est trop dire. Mais, c’est quelque chose que je maîtrise. Un enfant qui naît dans une famille, parle forcement sa langue maternelle sans effort. À partir du moment où je suis l’un des fondateurs, je suis très à l’aise parce que c’est quelque chose que tu maîtrises , ton cœur ‘’coupe pas’’.

Avez-vous des grammairiens Nouchi ?

La grammaire nouchi existe parce que quand je dis : « je vais te ‘’daba’’, je vais te ‘’verser’’ », on peut les conjuguer.

Conjuguez alors !

Il va me dire, tu ne peux pas me “daba” et moi je réplique, je peux te ‘’daba’’. Le nouchi est tellement simple et les Ivoiriens le savent. Aujourd’hui les petits frères qui sont arrivés, n’ont pas compris qu’il faut aller à la source de quelque chose. Pourtant c’est quand tu vas à la source, qu’on sait que tu as fait des recherches. Et quand tu viens, ‘’le vieux père’’ te regarde et il est ’’enjaillé’’ parce qu’il sait que tu as fait des recherches. Mais tu ne fais pas de recherches, et tu tombes carrément au milieu d’une chose comme ça, et tu dis que tu maîtrises , c’est là le problème.

En tant que dépositaire du Nouchi, avez-vous pensé à la succession pour sauvegarder ce patrimoine ?

Le langage est pratique. C’est ce qui manque au Nouchi que je suis venu apporter. Je suis prêt à faire sortir le reste du langage.

Avez-vous la face cachée du Nouchi ?

Pourquoi pas ? Quelque chose qui s’est passé à Treichville. À l’époque c’était le langage codé qui aujourd’hui est devenu populaire. Il faut l’enseigner partout et je suis venu présenter tout le contenu. Tout ce que les gens connaissent, c’est ‘’krika’’, mais, il y a le ‘’oulémani’’ ‘’le double-gbon’’. Le gbon, c’est 5000 francs. Le ‘’you’’, c’est le policier. ‘’Le double you’’ c’est le gendarme. Donc, aujourd’hui quand on parle le Nouchi, je suis très fier, mais que les gens comprennent que le Nouchi est né quelque part à Treichville devant le cinéma Rio et El Mansour dans les années 1970.

N’a-t-il pas une histoire autour du Nouchi à cette époque-là ?

Nouchi signifie voleur et à l’époque quand on te traite de nouchi, tu es frustré. Les voyous utilisaient ce langue codé pour opérer. Par exemple lorsque le gars te dit ‘’dja-moi’’ cela veut dire, barre-moi. Le ‘’brésilien’’ ou le ‘’braizo’’, c’est celui qui ne connaît pas la ville, donc ne comprend pas le code. Devant la salle de cinéma, il était foutu. Pour prendre un ticket de cinéma à l’époque qui coutait 75francs on lui vendait le ticket à 150francs. Quand le Braiso se retrouve dans une foule qui parlait le Nouchi, il était foutu.
Aux Etats-Unis, il y a ce qu’on appelle l’argot américain. En France, il y a l’argot français. En Côte d’Ivoire, il y a le nouchi. Comment faites-vous pour promouvoir cet argot ivoirien ?
Vous voyez, par ignorance, nous avons négligé le Nouchi qui est une valeur sûre. On aurait dû déposer les dossiers au Burida pour récolter aujourd’hui les fruits. Mais comme chez nous les ‘’Ziguéhi’’ rien n’est tard, tous les derniers secrets seront déposés et tout rentrera en ordre.

Quel appel avez-vous à lancer ?

Le Nouchi n’est pas venu du hasard. Je veux dire aux jeunes frères, que l’un des fondateurs du Nouchi, Gnagra Nazaire est encore en vie. C’est moi qui dois enseigner, mettre sur la voie et si possible donner le brevet pour dire que tu es apte à enseigner le Nouchi. Il faut que ce soit moi qui donne le brevet.

Réalisée par M. Ouattara

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