Chronique littéraire « L’ETAT Z’HEROS ou LA GUERRE DES GAOUS » de Maurice Bandama : Hommes politiques ou monstres ?

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Dernère publication

Maurice Bandama est l’actuel Ministre de la Culture et de la Francophonie en Côte d’Ivoire. Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1993 avec son œuvre « Le fils-de-la-femme-mêle », il est auteur d’une quinzaine de livres. Lire cette dernière parution de Maurice Bandama m’a rappelé l’œuvre « Le Rebelle et le Camarade Président » de Venance Konan. A part le style d’écriture où Maurice Bandama utilise à la fois le roman et le conte, j’ai retrouvé quelques ressemblances comme la thématique, certaines thèses et positions que partagent ces auteurs, le sarcasme, la satire, l’ironie utilisés. La thématique porte sur la crise d’un pays imaginaire (Boubounie) qui ressemble à la Côte d’Ivoire. Pour ceux qui connaissent l’histoire de la crise sociopolitique et militaire ivoirienne, il y a des personnages politiques qu’on arrive à facilement identifier dans leur satire et sarcasmes, Il y a aussi des évènements qu’on reconnait systématiquement à travers les descriptions et codes de ces auteurs. Il y a d’une part ceux qu’ils louent, il y a aussi ceux qui sont la cible de leurs diatribes.
Le livre commence par un chant d’ouverture d’Akèdèwa qui conte sa tragédie (une sorte d’introduction) : pauvre qu’il était, Dieu l’avait rendu immensément  riche dans un rêve, et il jouissait d’une vie hédoniste. A son réveil, déçu de réaliser que ce n’était qu’un rêve, il part voir Dieu, et lui demande de réaliser absolument ce rêve. Dieu exauça son vœu en exigeant une condition : ne point abuser de son pouvoir, ne point écraser les pauvres et les faibles, ne point arracher à l’orphelin son dû, ne pas priver la veuve de son bien, ne pas dépouiller l’orphelin du fruit de son travail, ne pas le rendre apatride. Akèdèwa ne respecta pas son engagement pris envers Dieu. Il abusa de son pouvoir, et la punition de Dieu fut sa déchéance extrême. Depuis lors, il purge sa peine en se métamorphosant en conteur pour instruire le monde et faire comprendre la morale à travers les histoires qui sont contés sur lui.
A travers cette introduction, l’auteur ouvre la réflexion en posant la problématique du pouvoir et des valeurs morales. Les valeurs morales sont-elles compatibles à la gestion du pouvoir politique ? L’homme peut-il exercer le pouvoir sans abus ? L’exercice du pouvoir politique corrompt-il les valeurs humaines ? La suite du conte d’Akèdèwa sur l’histoire de son ami Kanégnon permet de comprendre la thèse de l’auteur.
Kanégnon, l’ami d’Akèdèwa est comme un ‘Tieni Gbanani’. Sa mère porta la grossesse de lui pendant 21 ans, et depuis le sein de sa mère, il était un redouté opposant qui allait animer des meetings politiques et haranguer des foules. L’auteur décrit Kanégnon avant sa naissance comme un bébé mystérieux, guerrier et belliqueux qui porte les germes de la violence, un homme dont au destin d’avalanches déviations. Dans les pages 20 et 21, l’auteur dit ceci: «  Kanégnon logeait dans le ventre maternel, comme un roi dans son palais. Bla Nan l’entendait chanter … mais Kanégnon ne chantait pas longtemps. Ce qu’il aimait le plus, c’était la danse. Et il dansait avec force le gbégbé, aloukou, ziglibity, abodan, adjémélé, toutes ces danses qui invitaient à frapper le sol de grands coups de pieds, à marteler comme pour le marquer de bornes sauvages, et à le conquérir. Alors le ventre de Bla Nan devenait une vaste plaie, un long boulevard de braise, un profond abîme de feu… Kanégnon sortait des entrailles profondes dorées de sa mère. Empruntant des chemins lugubres, il allait animer des meetings, organiser des syndicats d’étudiants, préparer des marches de protestation et des grèves, chauffer à blanc professeurs, lycéens et étudiants. Après les avoir fanatisés et endoctrinés, l’enfant terrible revenait prendre sa place royale dans le lit fangeux, chaud paisible du ventre de Blan Nan… »
Kanégnon naît enfin ! Mais il demeure un enfant très violent qui bat à sang son père. Pour l’aider à une maitrise de soi, son père décide qu’il fasse une initiation sacrée et il réussit toutes épreuves. Il abandonne souvent les cours mais parvient à obtenir une bourse d’étude en France qui lui permet d’être diplômé de doctorats en philosophie, économie et histoire. Il créa son parti politique. Avec comme première dame Gbagla Dodo, ils prirent le pouvoir par des pratiques mystiques après « sept tentatives infructueuses dont quatre coups d’Etats avortés et trois élections désastreuses et calamiteuses ».
Dans la suite de son récit, l’auteur décrit le règne de Kalégnon et son épouse. L’horreur des pratiques mystiques avec l’aide d’Akèdèwa, les sacrifices humains inénarrables, le sang d’innocents etc. caractérisent son pouvoir : comme cette femme rouquine enceinte de jumeaux enterrée vivante (pages 64, 65, 66) et cette petite rouquine vierge de 13 ans que le Président a abusé et sacrifié (de la page 78 à 83).
Pour l’auteur, le pouvoir du Président Kanégnon a sa source et ses racines dans les pratiques mystiques et de fortes activités sexuelles. C’est un homme sans cœur pour qui le bien-être du peuple est secondaire. Il dit à la page 77 : « Pour gagner la guerre, il fallait, en plus des armes à feu, renforcer la force mystique du Président. Les féticheurs lui avaient recommandé une activité sexuelle intense et volcanique, régulière et exemplaire. Tous les guerriers africains tirent leur force et leur puissance de leur exceptionnelle performance libidinale. Soudiata, Chaka, Samory, pour ne citer que les plus célèbres, possédaient des harems qu’ils satisfaisaient avec un courage historique, à la grande satisfaction de leurs centaines d’amantes et au grand étonnement de leurs lieutenants ». Son règne n’a produit que de malheurs à son peuple, ce qui justifie la rébellion armée qui divisa le pays en deux parties.
La première dame Gbagla Dodo a à peu près la même personnalité dans la description de l’auteur. Il la dépouille de toute humanité et la rend complice des sacrifices humains et pratiques mystiques de son époux. L’auteur la rend présente dans les débuts de son récit et son personnage s’efface au fur et à mesure. Il dit à la page 59 : « le sang arrose le pouvoir de Kanégnon comme la rosée les herbes le matin… Des mauvaises langues disent que le pouvoir de Kanégnon, né dans le sang, prospérera dans le sang et finira dans le sang. Elles poussent la méchanceté jusqu’à soutenir que dans son pacte avec le diable, dans sa soif brûlante de devenir première dame, Gbagla Dodo, femme comme toutes les femmes, connaissant la joie de porter lourdement un enfant dans les entrailles et la douleur d’accoucher dans le sang, a accepté, sept jours avant l’élection présidentielle, de faire enterrer vivante une femme enceinte, presque à terme, afin que les génies favorisent l’élection de son mari. »
Akèdèwa est décrit comme une personne mystique, un prêtre de sciences occultes qui a le don d’ubiquité. Il est le bras droit du Président Kanégnon, son conseiller spirituel, son espion, son homme de mission etc. Il se transforme en étudiant d’une fédération estudiantine pour espionner et venger sa fille violée par ces derniers, il se transforme en espion du pour infiltrer « les forces terribles », qui ont livré une rébellion sanglante au Président Kanégnon. Il a des pouvoirs spirituels qui lui permettent d’officier des messes noires et des orgies pour nourrir et maintenir le règne du Président. Il est le Juda qui provoquera la chute du Président. En somme, c’est un homme sans foi ni loi pour qui la fin justifie les moyens. Ce qui paraît incompréhensible et souvent incohérent dans le récit de l’auteur, est la puissance mystique qu’il décrit dans les débuts de son récit chez Akèdèwa qu’il utilise de moins en moins pour se sortir de situations difficiles et sortir des situations difficiles le Président.
L’un des intérêts de ce livre est découvrir ce que pense l’auteur de la crise ivoirienne et ses acteurs, de comprendre son analyse des évènements, le message qui se cache derrière ses satires et ses sarcasmes, les idées qu’habillent les images qu’il utilise, les valeurs qu’il défend etc. Puisqu’une œuvre dans les mains d’un lecteur n’appartient plus à son auteur, chaque lecteur donnera un sens personnel après lecture de l’œuvre de Maurice Bandama.

Yahn Aka
Ecrivain-Editeur-Promoteur culturel
yahn@yahnaka.com

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