Editorial : Guillaume Soro, n’est-il pas déjà trop tard ?

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Dernère publication

Il ne vient à l’esprit de personne en Côte d’Ivoire de nier la place éminente que Guillaume Soro occupe dans l’histoire récente du pays, depuis plusieurs années.
Se définissant lui-même comme homme de missions, porté par la lutte contre l’injustice et l’exclusion identitaire, il s’était mis au service de la construction d’une Côte d’Ivoire nouvelle, même s’il a pu être perçu un peu comme le dieu Janus, en montrant selon des observateurs, notamment l’éditorialiste Marwane Ben Yahmed de Jeune Afrique, qu’il était un homme aux deux visages, capable de construire la paix, mais aussi de prendre les armes ; ce qu’il avait fait avec les ex-rebelles pour mettre fin au régime de Laurent Gbagbo, d’abord en 2002, et lors de la crise postélectorale.
Depuis avril 2011, la Côte d’Ivoire a retrouvé une stabilité politique qui lui a permis d’avancer sur le chemin de la réconciliation nationale.
Avril 2011-octobre 2017 : près de 8 ans, 8 années pendant lesquelles Guillaume Soro devait se construire une stature irréversible d’Homme d’État abonné à la démocratie, et au langage des urnes, aux bonnes manières politiques, tournant le dos à un passé de violence et à une posture de rebelle. Il avait une extraordinaire opportunité, car personne ne semblait contester son autorité naturelle, son charisme, ni sa légitimité dans son engagement au service de la Côte d’Ivoire. N’était-il pas protégé par le Président Alassane Ouattara, puis par le Président Bédié aussi, après avoir été adoubé, et absous par Laurent Gbagbo, pour la rébellion ?
Avec ce qui arrive depuis l’arrestation de Soul To Soul , faut-il céder à l’explication facile autour des chefs , et dire qu’il n’a pas su s’entourer véritablement de bons conseillers, ni suivre les bons conseils ?
Autour de Guillaume Soro se sont affirmés les partisans d’un affrontement idéologique avec les anciennes générations ; à travers la thématique de la « transition générationnelle », voire aussi d’un affrontement armé, à travers ce que laisse désormais entendre l’arrestation de Soul to Soul, après la découverte des caches d’armes de Bouaké.
Guillaume Soro est-il en train de rater son rendez-vous avec l’Histoire et avec la démocratie ? On dit certes toujours que celui qui s’est imposé par les armes périra par les armes, et que les rébellions dévorent toujours leurs enfants, mais de nombreuses occasions de redevenir un « civil » fréquentable  ont été offertes à Guillaume Soro.
L’homme devait sûrement rompre avec le Président Alassane Ouattara, poussé qu’il était non par une simple ambition, mais sans doute par un appel intérieur qu’il ne trouvait pas illégitime et pas du tout précoce pour 2020 eu égard à son pedigree. Cependant cette rupture devait bien s’inscrire dans une stratégie de conquête du pouvoir par des voies pacifiques et démocratiques ; une perspective et une posture à présent véritablement mise à mal par les armes découvertes en mai dernier à Bouaké.
Le diable se niche toujours dans les détails : les détails ici, ce sont l’entourage de Soro et les réseaux sociaux, armes de séduction massive , mais aussi de destruction massive de l’adversaire.
Les « snipers » de la Sorosphère ont fini par inquiéter tous ceux qui se voyaient prendre la succession du Président Ouattara, aussi bien au RDR, comme au PDCI.
En jouant avec le feu , mais aussi avec le verbe , l’entourage de Guillaume Soro n’a pas su déterminer une ligne rouge à ne pas franchir. Il n’a pas décodé les signaux et les messages de retour au calme, lancé après la sortie de l’union des Soroistes. Il a alors affaibli le Président de l’Assemblée nationale, qui n’a pas pris de distances, ni moins mis en quarantaine les francs-tireurs de chez lui.
Alors qu’il avait la possibilité d’être maître de l’agenda politique du pays , la politique ivoirienne s’est pourtant déroulée ces dernières semaines, sans Guillaume Soro : congrès du RDR, 3è Anniversaire de l’Appel de Daoukro. Aujourd’hui, la brouille entre les Présidents Ouattara et Bédié semble ne plus exister,ou est dans une phase de trêve, sans qu’il ait pu contribuer à cela, entretenant une relation particulièrement et visiblement chaleureuse avec le Président Bédié, quand celui-ci, était en mode méfiance avec son jeune frère Alassane Ouattara.
Guillaume Soro n’est même plus maître de son propre agenda politique, puisqu’il dépend de la manière dont la justice instruira l’affaire Soul to Soul, sans pour autant tomber dans le piège de ceux ( adversaire comme partisans ) , qui souhaitent une réponse armée et violente pour ramener sur terre, ce que son conseiller Touré Moussa a désigné comme le camp Ouattara. Mais faire entendre des armes pour protester contre le sort de Soul To Soul et de Guillaume Soro , peut certes même dénoter une capacité de nuisance ( si cela existe encore ), mais ce serait alors donner raison à ceux qui l’ont toujours vu en Janus, avec son côté armurier, à ceux qui ont vu sa main derrière la rébellion de janvier, ainsi que sa reconduction à la Présidence de l’Assemblée nationale.
La vie politique n’est jamais un long fleuve tranquille, surtout en Afrique. Houphouët-Boigny a bénéficié d’un état de grâce qui lui a permis de bâtir la nation ivoirienne. Mais, il a traversé les premières grandes turbulences économiques connues par le pays. Comment s’est terminée la présidence de Bédié ? Le court mandat de Guéi ? La présidence de Gbagbo ? Le second mandat de Ouattara, même s’il reste encore 3 ans avant 2020, n’échappe pas aux turbulences que provoquent les circonstances économiques et sociales, mais aussi la concurrence et le trop-plein des candidats à la succession.
C’est au tour, de Guillaume Soro de traverser sa première grande épreuve de candidat à l’élection présidentielle dans un pays démocratique. Il lui faut désormais forger son destin sans les armes.  Contrairement à ce que pensent certains dans son entourage, personne ne veut empêcher Guillaume Soro d’être candidat en 2020. La situation actuelle le place devant ses responsabilités. Va-t-il écouter les « va-t-en guerre » de son camp, ou revenir à une stratégie qui s’inscrit dans un cadre démocratique ? Va-t-il redevenir lui-même ou subir l’influence pernicieuse de certains de ses conseillers?
Guillaume Soro devait se réconcilier avec la classe politique ivoirienne, aller à la rencontre des Ivoiriens et les convaincre qu’il est, non pas l’homme de la transition générationnelle (ce qui ne veut rien dire), mais l’homme qui parviendra à concilier efficacité économique et efficacité sociale, dans le droit fil de l’héritage du Président Alassane Ouattara. Mais, n’est-il pas déjà trop tard ?
Seul Dieu sait …
Wakili Alafé

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