Débat africain sur Rfi : quelle rentabilité pour la presse en Afrique ?

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Mahamadi Tiegna, Alafé Wakili, Aïcha Tamboura et Lancine Camara s’expriment
Mahamadi Tiegna (Directeur général des éditions Sidwaya), Alafé Wakili (DG de l’Intelligent d’Abidjan), Lanciné Camara (président de l’Union internationale des journalistes africains) et Mme Aïcha Tamboura Diawara (directrice générale de l’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication du Burkina Faso) étaient les invités de l’émission “Le débat africain“, diffusée le dimanche 16 septembre 2O18, sur les antennes de Rfi. Emission réalisée à Abidjan à l’occasion de Abidjan Forum Media organisé par l’Intelligent d’Abidjan dans le cadre de la célébration de ses 15 ans.
Ils ont donné leurs avis sur les raisons pour lesquelles la presse n’est pas rentable en Afrique. Ils ont évoqué les ressources publicitaires qui se font de plus en plus rares, avec la concurrence que livrent aux journaux, les nouveaux types de presse tels que la presse en ligne. « La difficulté réside dans le fait que les recettes publicitaires sont en baisse. Il y a beaucoup de demandes, la pression est donc forte. C’est vrai qu’il y a la presse en ligne qui nous fait la concurrence », a lancé Alafé Wakili.
Pour lui, les difficultés sont aussi dues au manque de ressources pouvant permettre aux responsables d’entreprises de presse de faire, à la création, une planification sur une longue durée. « Je dis que nos entreprises n’ont pas, à la base, les ressources nécessaires pour entamer un développement durable sur 2 à 3 ans, sans attendre les bénéfices de façon immédiate. C’est aussi cela la difficulté. On ne peut pas tenir sur 3 à 6 mois, si l’on n’est pas un grand groupe, un media d’État ou si l’on n’a pas de grands moyens. Pour mon expérience, c’est cela la difficulté de la presse africaine. Nous, l’Intelligent d’Abidjan, sommes là depuis 15 ans et nous n’avons jamais eu de bénéfices, de rentabilité absolue. Parce qu’au départ, nous avons tablé sur 3 à 6 mois, avant de commencer à avoir des bénéfices. Et nous n’avons jamais eu ces bénéfices. Nous n’avons jamais eu l’investissement nécessaire. Nous essayons donc toujours de vivoter», a-t-il ajouté.
L’analyse du Directeur général de l’Intelligent d’Abidjan a été amplifiée par Mme Aïcha Tamboura Diawara, Directrice générale de l’Istic (L’équivalant de l’Istc en Côte d’Ivoire. Ndlr). Pour elle, le problème se trouve à la création même de l’entreprise de presse. « Il y a un problème de conceptualisation de la notion même d’entreprise de presse. Il faut respecter un certain nombre de conditions dans la création d’une entreprise de presse. Il y a des fondements qui doivent être posées au préalable, il y a des garantis à avoir. Même au niveau de la gestion, il y a des conditions à remplir. Une entreprise de presse doit fonctionner comme toute entreprise, peut-être à quelques exceptions, pour être rentable pour s’auto-suffire. Cet aspect-là, manque au niveau des entreprises de presse en Afrique. Il faut faire un calcul sur la base du lectorat que l’on vise et aligner le nombre de ses tirages sur les résultats de cette étude. Sinon, on court à des pertes causées par un grand nombre de journaux invendus », a-t-elle averti. Mahamadi Tiegna, directeur général des éditions Sidwaya (le journal public au Burkina Faso), lui, a affiché une sorte de sérénité quant à l’avenir des médias d’État. Il a même pris l’exemple de son organe qui selon lui, peut vivre sans l’apport financier de l’État Burkinabè. « Il est tout à fait possible de rendre Sidwaya rentable sans les fonds de l’État. C’était la volonté politique au départ. Ce que je voulais dire, c’est que l’État a délégué ses obligations d’information à Sidwaya. Aujourd’hui, nous pouvons rendre ce journal rentable. Le journal fonctionne tant bien que mal. Nous sommes déjà en ligne. Je ne parlerai donc pas de concurrence avec le net. Mais, il faut que nous puissions changer dans les mentalités. Car, là où le journaliste de Rfi a besoin d’un ticket de métro pour un reportage, nous avons besoin d’un véhicule et 4 personnes. La machine est trop lourde», a-t-il interpelé.
Lancine Camara, président de l’Union internationale des journalistes africains résidant en France, a pointé du doigt un manque de sérieux de la presse africaine, dans le traitement de l’information. Pour lui, en plus d’avoir des patrons de presse trop soumis aux leaders politiques et avec une gestion qui laisserait à désirer, les journalistes, eux, ne sont pas de qualité. « J’ai souvent rencontré des chefs d’entreprises de presse. Ils m’ont toujours dit que le premier facteur de rentabilité d’une entreprise de presse, c’est son efficacité et être une structure de bonne gestion. Quand il s’agit de rendre compte, c’est-à-dire, lors qu’il faut acheter un tel ou un tel autre papier, ou rémunérer un journaliste, tout dépend de la manière dont le journal est structuré. Dès lors que l’entreprise est bien structurée avec des journalistes sérieux, cela attire les annonceurs. En dehors du monde anglophone, il n’y a pas d’entreprises de presse sérieux en Afrique. Parce que nous avons énormément de journalistes qui ne sont pas de bons journalistes . En même temps, les patrons ne sont pas de bons gestionnaires. C’est pourquoi, on ne nous prend pas au sérieux. Il faut sortir de cet état calamiteux, pour que le journalisme africain devienne un journalisme national et international, sans pour autant se vendre à quelqu’un qui finance au départ le journal. Il faut se dissocier de cela. Même si un sponsor ou même un Chef d’État vous donne un pécule, il faut lui dire dès le départ que ce n’est pas du tout pour devenir le griot », a-t-il interpelé.
Alafé Wakili a, par ailleurs, été invité à se prononcer sur les raisons pour lesquelles les patrons d’entreprises de presse en Afrique ne prennent pas le temps de réaliser des études de marché et un business-plan, avant de lancer leurs entreprises. Ceci, afin de donner plus de chances à leurs entreprises de durer dans le temps et faire des profits. Le DG de l’Intelligent d’Abidjan a justifié cela par les difficultés pour les patrons de presse d’avoir le soutien des banques. «C’est vrai qu’il faut avoir un éditeur, un imprimeur qui dira que faire pour que ça va marcher. Mais, en tant que journaliste, quand on devient éditeur, patron de presse, on intègre tout. Si on doit faire l’étude, le business-plan et tout ce qui va avec, cela fait beaucoup d’argent à dépenser. Il faut aller voir les banques. Or, ce sont des investissements que les banques ne font pas, de façon évidente. On se débrouille avec nos moyens. On se lance avec ce qu’on peut trouver comme partenariat. On se dit qu’à la bonne fortune. Ça marche 3 mois ou 6 mois et on voit jusqu’à où on peut aller. Il y a une idée, une vision. On veut créer un journal. Mais, si on devait prendre en compte tous les paramètres qu’a évoqués Mme la Directrice pour mettre sur place une entreprise de presse, on ne ferait jamais rien. Certes, il s’agit d’une entreprise de presse. Mais, moi, je vois le journal comme un livre qu’on veut écrire. C’est donc la liberté d’une pensée et celle d’une expression », a fait remarquer le DG Alafé Wakili.

J-H Koffo

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