LA CHRONIQUE DU LUNDI Éthiopie, de l’Etat failli au développement exemplaire : quelles sont les recettes ?

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Première recette : instaurer une paix durable dans la Corne de l’Afrique

Ce que l’on retient de l’Ethiopie, ce sont trois choses : 1) il s’agit de l’un des berceaux de l’humanité, riche d’une culture ancestrale remontant à plus de 3 millions d’années 2) il s’agit d’un Etat autrefois failli qui a connu en 1984-85 une grave famine (on se souvient de la chanson SOS Ethiopie écrite en 1985 par Renaud)  3) il s’agit du seul pays en Afrique n’ayant jamais été colonisé dans son histoire (le cas du Liberia est différent).. Il faut désormais ajouter un autre fait marquant à l’histoire de ce pays de la Corne de l’Afrique : depuis dix ans, l’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique avec 100 millions d’habitants, connaît un développement économique exemplaire, fondé sur un marqueur traditionnel, le protectionnisme autoritaire, et un marqueur du monde nouveau, la libéralisation de l’économie. L’actuel Premier ministre Ethiopien, Abiy Ahmed, nommé en avril 2018, s’est  engagé à pacifier la corne de l’Afrique, afin d’attirer les investisseurs. Abiy Ahmed veut aller vite. Le 9 juillet 2018, l’Ethiopie et l’Erythrée, les deux pays voisins en guerre depuis vingt ans, ont signé une « déclaration d’amitié » au cours d’une visite historique du Premier ministre Abiy Ahmed à Asmara. Entre l’Ethiopie et l’Erythrée, la paix peut-elle être durable ? L’Ethiopie connaît, depuis ces dernières années, une croissance économique à deux chiffres. Enclavée,  elle a besoin, en dehors de Djibouti, de l’ouverture sur la mer que pourraient lui offrent les ports érythréens modernisés. Mais, l’Erythrée reste l’un des pays les plus fermés au monde avec un régime dictatorial qui a bloqué l’économie et effrayé les investisseurs. Si l’Erythrée, sous l’influence de l’Ethiopie, s’ouvre à la démocratie et aux réformes libérales, toute la Corne de l’Afrique s’inscrirait dans une logique de forte croissance économique. Le défi de la paix est rendu possible par la convergence des intérêts entre des Etats africains devenus moins guerriers, et entre l’Afrique et les puissances étrangères. L’état de guerre est bien arrivé à sa fin entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, pourquoi n’en serait-il pas de même entre l’Ethiopie et l’Erythrée, appelée « la Corée du Nord des sables » ?

Deuxième recette : la réconciliation nationale

Abiy Ahmed a été nommé ¨Premier ministre dans un contexte de crise sociale ponctuée par de violentes manifestations antigouvernementales. Il arrive à la tête d’un pays meurtri par une guerre civile qui hante encore les esprits. De père musulman et de mère orthodoxe, lui-même converti au protestantisme, il appartient à l’ethnie des Oromo, majoritaire dans le pays, mais qui n’a jamais accédé au pouvoir, un pouvoir longtemps confisqué par ceux qui toujours entretenu les tensions ethniques et qui n’ont jamais accepté l’indépendance de l’Erythrée. A l’instabilité interne, s’est ajouté un état de guerre sans fin aux frontières avec la Somalie ou l’Erythrée. En Afrique, le plus souvent, celui qui arrive au pouvoir se retrouve enfermé dans le carcan du vieux système présent dans tous les rouages de la politique, de l’administration et de l’économie. Des pays comme l’Angola et le Liberia montrent que le changement est possible.  En Ethiopie, Abiy Ahmed est en train de réussir le pari du changement en mettant fin à l’état de guerre aux frontières et en pacifiant les tensions inter-ethniques qui avaient poussé le gouvernement à décréter l’état d’urgence en août 2017. Dans une Afrique qui se transforme et évolue, Abiy Ahmed incarne une nouvelle page de l’histoire de l’Éthiopie, une histoire moins guerrière, moins fermée au monde. Dans son discours d’investiture, Abiy Ahmed a déclaré : « Nous sommes en train d’entrer dans une nouvelle ère, une période de transformation de notre pays en un État plus inclusif. Nous avons maintenant la responsabilité de transformer ces espoirs en réalité ». Parler d’« Etat plus inclusif » signifie deux choses : d’abord, le partage du pouvoir, ensuite, le partage des fruits de la croissance dans un pays qui, malgré une croissance forte de plus de 8 % depuis plus d’une décennie, reste parmi les pays les plus pauvres du monde. Malgré les difficultés internes et les tensions externes, l’Ethiopie, sur ces dix ans, a réduit le taux de pauvreté de moitié, permis la baisse du taux de mortalité infantile et multiplié par quatre le nombre d’enfants scolarisés. Abiy Ahmed veut accélérer cette transformation du pays en s’appuyant sur les réformes libérales de l’économie.

Troisième recette : la libéralisation de l’économie

L’économie éthiopienne est encore portée par l’agriculture qui représente 38 % du PIB, 80 % des emplois et 85 % des exportations. L’ancien Premier ministre, Meles Zenawi, à travers le Premier plan GTP (Growth and Transformation Plan) avait commencé à doter le pays des infrastructures nécessaires à son développement économique (routes, chemins de fer, parcs industriels avec 60 % des objectifs déjà atteints), afin de faire de l’Ethiopie un véritable hub industriel et un pays exportateur. Abiy Ahmed, à qui il appartient de réaliser les objectifs du Second Plan, le GTP II (2015-2020), veut aller vite en renforçant l’attractivité du pays pour les investisseurs. Son objectif : transformer l’Éthiopie en un pays à revenus intermédiaires d’ici à 2025. L’Ethiopie, qualifiée désormais de « tigre africain », ne manque pas de ressources. A cela s’ajoutent un Code des investissements révisé dès 2002, des mesures d’incitations fiscales très favorables pour les entreprises qui s’installent dans les « parcs industriels dédiés », une lutte contre la corruption. Le dirigisme politique fortement protectionniste, longtemps d’inspiration marxiste, s’ouvre à l’économie libérale, l’Éthiopie ayant signé des accords économiques avec l’Europe et les États-Unis, supprimant les droits de douane.

Quatrième recette : l’émergence d’une ChinEthiopie

Loin devant les Européens et les Etats-Unis, la Chine est aujourd’hui le premier partenaire économique de l’Éthiopie. Pékin, à travers l’Exim Bank of  China, a financé 40 % des 4 milliards de dollars pour la reconstruction de la voie ferrée Addis-Abeba-Djibouti, qui est la première étape d’un vaste réseau ferroviaire de 5 000 km de voies ferrées que l’Ethiopie entend réaliser d’ici 2020. Les Chinois construisent la majorité des grandes infrastructures du pays, dont 6 des 13 « parcs industriels dédiés » qui existent déjà. Ils sont les premiers investisseurs dans le secteur du textile éthiopien en raison d’un coût de la main-d’œuvre nettement moins élevé qu’en Chine (500 dollars par mois en Chine contre 50 dollars en Éthiopie). . L’Ethiopie est devenue l’Eldorado de la chaussure chinoise. Pékin envisage de délocaliser 85 millions d’emplois industriels dans la région.

L’Ethiopie,  avec 8,5 % de croissance en 2018, est devenue l’une des vitrines d’une Afrique nouvelle qui se transforme. Mais, devenir une puissance économique, un hub industriel, à travers la stratégie gagnante des « parcs industriels dédiés », ne suffit pas pour Addis-Abeba qui ambitionne de devenir aussi une puissance diplomatique. Addis-Abeba n’est-elle pas le siège de l’Union Africaine, où se construit le projet d’une Afrique unie ? Une femme, Hirut Zemene Kassa,  ministre des Affaires étrangères, en lien avec le Premier ministre  Abiy Ahmed, s’est vu fixer l’objectif suivant : donner de l’Ethiopie une autre image. Tout un symbole.

Christian Gambotti
Président du think tank
Afrique & Partage
DG de la société Easy Concept For You
Directeur de la Collection
L’Afrique en Marche

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