LA CHRONIQUE DU LUNDI RESTITUTION DES ŒUVRES D’ART A L’AFRIQUE : LE RAPPORT SAVOY-SARR

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L’identité de l’Afrique doit s’affirmer aussi à travers l’émergence d’une diplomatie culturelle
Désireux de tracer le nouveau périmètre des relations entre la France et l’Afrique, Emmanuel Macron, le 28 novembre 2017, au Burkina Faso, à Ouagadougou, a annoncé la mise en œuvre, dans un délai de cinq ans, d’un processus de restitution du patrimoine africain aux Etats de l’Afrique subsaharienne. Selon les experts, 85 à 90 % du patrimoine africain se trouve hors du continent. L’absence quasi-totale de ce patrimoine prive l’Afrique subsaharienne d’une part importante de son identité. Deux universitaires français et sénégalais, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, se sont vu confier la rédaction d’un Rapport, dont l’un des objectifs a été de dresser un inventaire précis des dizaines de milliers d’objets ramenés d’Afrique entre 1885 et 1960. Selon un article publié sur le site du Point, le 23 novembre 2018, « le périmètre de la spoliation engloberait les biens pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires, sans commune mesure avec le marché de l’époque, par les marchands, militaires, missionnaires, voyageurs… ». La spoliation est évidente. La politique africaine de la France telle que la conçoit Macron englobe désormais ce processus de restitution dans le cadre « d’accords de coopération culturelle » entre « l’État français et un État africain ». Le Rapport Savoy-Sarr précise qu’il faudrait qu’ « une demande émane des pays africains concernés, grâce à l’inventaire que nous leur aurons envoyé ». Le Bénin est le premier pays à avoir fait une telle demande en réclamant la restitution des statues royales d’Abomey.

L’Afrique, un continent privé d’identité

Dans l’imaginaire occidentale, l’Afrique a longtemps été perçue comme un continent qui n’a ni Histoire, ni identité. Des esprits progressistes comme Victor Hugo ou Hegel, persuadés que l’Europe est investie d’une mission civilisatrice, vont nier à l’Afrique toute identité. Victor Hugo écrira : « Quelle terre que cette Afrique! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire; l’Afrique n’a pas d’histoire. » Il ajoute : « Cette Afrique farouche n’a que deux aspects: peuplée, c’est la barbarie; déserte, c’est la sauvagerie. » Il invite alors l’Europe à coloniser l’Afrique : « Allez, Peuples! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui? A personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. » Hegel, dans ses « Leçons sur la philosophie de l’Histoire », consacre de nombreuses pages à l’Afrique. Imbibé des préjugés de son époque, il considère lui aussi que l’Afrique n’a pas à proprement parler d’Histoire et que les Africains en sont restés au stade de l’innocence. Pour Hugo et Hegel, l’Afrique n’est pas encore entrée dans la grande marche de l’Histoire universelle et du progrès. On retrouvera, à l’arrière-plan du Discours de Dakar prononcé par Sarkozy le 26 juillet 2007, les thèses hugolienne et hégélienne : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. (…) Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. » Ces phrases suffiront pour condamner la maladresse condescendante d’un Discours qui contient cet éloge de l’art africain : « Je veux vous dire, jeunes d’Afrique, que le drame de l’Afrique n’est pas dans une prétendue infériorité de son art, sa pensée, de sa culture. Car, pour ce qui est de l’art, de la pensée et de la culture, c’est l’Occident qui s’est mis à l’école de l’Afrique. L’art moderne doit presque tout à l’Afrique. L’influence de l’Afrique a contribué à changer non seulement l’idée de la beauté, non seulement le sens du rythme, de la musique, de la danse, mais même, dit Senghor, la manière de marcher ou de rire du monde du XXème siècle. » Ni Hugo, ni Hegel, ni Sarkozy ne sont racistes. Mais, Hugo et Hegel rendent légitime, par leurs écrits, l’instauration d’un processus de domination qui sera celui de la colonisation au nom d’une supériorité supposée de la civilisation occidentale. Ce processus de  domination s’accompagne d’un processus de spoliation des œuvres d’art dans toute l’Afrique subsaharienne.

La diplomatie culturelle, un vecteur du rayonnement de l’Afrique

En 2015, du 14 Avril au 26 Juillet 2015 s’est tenue au musée du Quai Branly, à Paris, une remarquable exposition : « Les Maîtres de la sculpture de  Côte d’Ivoire ». Cette exposition, au travers de 200 œuvres historiques et contemporaines, a permis de faire connaître de grands sculpteurs africains et les écoles de sculpture. Elle a permis aussi de dire que les œuvres sont des créations de véritables artistes, capables d’abstraction  et de conceptualisation, et non pas la simple fabrication d’objets utilitaires ou rituels par des artisans. Le sculpteur africain est, comme l’archétype du sculpteur occidental, Rodin, en véritable créateur. L’ancrage religieux et stylistique des Ateliers du 19e et début du 20e siècle, notamment chez les Sénoufo, les Lobi, les Dan ou encore les Baoulé, n’enlève rien à leur force esthétique et à leur singularité. La Première Dame de Côte d’Ivoire, Madame Ouattara, dans le discours qu’elle a prononcé à l’occasion de l’exposition « Les maîtres de la Sculpture de Côte d’Ivoire », a exprimé sa «  fierté et [sa­] joie de voir [son] pays célébré et admiré pour son Art et sa Culture. » Elle a insisté sur le rôle de la diplomatie culturelle qui permet à l’Afrique d’exprimer une identité fondée sur la diversité et la richesse de sa culture, loin de l’exotisme d’un folklore convenu pour touristes. La restitution des œuvres d’art doit s’inscrire, pour l’Afrique, dans un processus de construction d’une diplomatie culturelle, tout aussi importante que la diplomatie économique ou la diplomatie traditionnelle.

La restitution des œuvres et les questions qui surgissent

Au lendemain des indépendances, les soubresauts de l’Afrique perçue comme un immense chaos ont empêché de poser la question de la restitution des œuvres d’art aux pays africains. Le moment est venu de poser la question de la restitution et d’y répondre. C’est ce que fait le Rapport Savoy-Sarr, un rapport suffisamment complet et précis. L’inventaire des biens spoliés existe désormais. Il est envoyé à chaque pays pour les œuvres qui le concerne. Il appartient à chaque Etat africain de faire une demande de restitution, comme a pu le faire le Bénin en réclamant la restitution des statues royales d’Abomey. Première question qui surgit : est-ce qu’il existe une volonté chez les dirigeants africains de de demander cette restitution ? Deuxième question : est-ce qu’il existe les structures, comme les musées, d’un bon niveau pour accueillir les œuvres ? On sait qu’un tel musée existe au Mali. Troisième question : le budget des ministères de la culture africains permet-il la conservation et la protection de ce patrimoine, mais aussi la sensibilisation à sa valeur ? Quatrième question : les dirigeants comprennent-ils que ces objets doivent retourner en Afrique, afin de perpétuer des identités culturelles et historiques ? Cinquième question : ces mêmes dirigeants comprennent-ils qu’ils ont la charge de transmettre aux générations futures ce patrimoine ? Sixième question : parmi les priorités que sont l’économie et le social, la culture peut-elle être une priorité absolue ? Ces questions servent d’alibi à ceux qui pensent que l’Afrique est incapable de conserver et valoriser son patrimoine culturel.
La question de la restitution se pose désormais et le processus de restitution doit être enclenché, car ces œuvres volées sont indispensables à l’identité et à l’histoire de l’Afrique. Elles doivent donc être restituées.

Christian Gambotti
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur général de la société ECFY
Directeur de la Collection
L’Afrique en Marche

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