Côte d’Ivoire : les partis politiques peuvent-ils sortir de l’ancrage ethnique et territorial ? (L’éditorial de Wakili Alafé)

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Photo Montage :Houphouët, Bédié, Gueï, Gbagbo, et Ouattara.

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Dans une interview récente accordée au magazine Jeune Afrique, le Président Alassane Ouattara constate, avec regret, qu’il est plus difficile qu’il ne l’imaginait de parvenir à assimiler toutes les composantes qui ont intégré le RHDP en un mouvement trans-parti ( moi ( je dirai trans-ethnique et transgéographique). « Certains continuent de raisonner par rapport à leur formation d’origine. », déplore à cet effet le chef de l’État.

Si l’on prend le cas grands partis politiques ivoiriens, l’Histoire montre qu’ils se sont développés sur une base ethnique et géographique à partir de la création du multipartisme, dans les années 1990, pour attaquer le Pdci Rda, parti unique creuset de tous, qui n’était pas à l’origine un parti tribal, un part ethnique, un parti régional, pour ne pas dire un parti Baoulé, les baoulés n’ayant pas été des soutiens spontanés et des alliés naturels au Président Fekix Houphouët Boigny.


[ L’exemple par le Président Félix Houphouëtistes Boigny ]

En effet , de 1960 à 1990, l’existence d’un parti unique et le discours fédérateur du Père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, l’adhésion des cadres et populations du Nord, de l’Ouest , de l’Est et du centre et du Sud à sa vision, ( en dehors des contestations du début et des velléités de démocratie ) ont pu faire croire que la question de l’ethnie et du territoire allait disparaître dans l’euphorie de l’indépendance et de la création de la nation ivoirienne. À la mort de Félix Houphouët-Boigny, le pluralisme partisan et les fractures territoriales ont exacerbé les divisions ethniques. Les nouveaux partis politiques que sont le FPI et le RDR se sont alors développés sur des bases pas uniquement idéologiques, après la fin du parti unique, et au delà l’euphorie du multipartisme.

J’ai publié, en 2016, dans L’Intelligent d’Abidjan, une Contribution intitulé « Vie et mort des partis politiques ». L’auteur, Christian Gambotti, écrivait : « La forme purement partisane des trois grands partis ivoiriens (PDCI, RDR et FPI) tire encore une partie de sa légitimité, – et c’est de là que vient le danger -, de l’ancrage ethnique et géographique lié à l’histoire de la Côte d’Ivoire. On associe ainsi le vote PDCI à l’univers socioculturel akan, plus spécialement baoulé, implanté dans les parties orientales et centrales du Sud ivoirien. Le vote RDR renvoie à un monde Dioula dominé par l’islam en donnant du Nord une image qui serait extérieure à la Côte d’Ivoire. Le vote FPI s’appuie sur l’ethnie Bété, un groupe pourtant hétérogène, qui posera la question de l’origine comme pierre angulaire de l’identité ivoirienne. » .

Cette distribution ethnique dans l’appartenance à un parti politique va engendrer soubresauts tragiques, une rébellion sanglante , et des crises post-électorales dans le but de s’empareer du pouvoir ou dans le but de s’y maintenir. Jusqu’en 2010, lors de l’élection présidentielle, les rivalités ethniques impactent encore très négativement la politique ivoirienne. Sans oublier que le concept d’« Ivoirité », sera constamment instrumentalisé.

[ Ce que la création du Rhdp fait naître comme espérance ]

Il faut attendre la création du RHDP pour assister à la naissance d’un mouvement qui se veut transethnique et transgéographique. On a cru à ce moment-là que le projet de parti unifié voulu par Ouattara et l’Appel de Daoukro lancé par Bédié allait consolider une alliance électorale, faire discréditer définitivement les anciennes formations politiques partisanes, renouant ainsi avec l’héritage du Premier Félix Houphouët-Boigny qui avait voulu créer une identité ivoirienne et consolider le jeune État-nation ivoirien, alors que la Côte d’Ivoire comprenait plus de 60 ethnies. Signe des temps, jusque dans les années 1990, l’houphouétisme, qui a comme ligne d’horizon la construction de l’unité nationale, est adossé à la structure du parti unique. Ailleurs, en Afrique, ce sont les régimes militaires autoritaires qui dominent rapidement la scène politique.

Le Botswana, et la Gambie font figurent d’exceptions avec la naissance du multipartisme dès les années 1960. Le multipartisme va se répandre sur tout le continent dans les années 1990. Des causes structurelles, aggravées par la faiblesse des Etats, mais aussi l’ancrage ethnique, l’illettrisme et la corruption, empêchent l’épanouissement démocratique que pouvait laisser espérer le multipartisme.

Si les partis politiques sont des acteurs nouveaux de la politique à partir des années 1990, ce ne sont pas les acteurs d’une manière nouvelle de faire de la politique. Leurs dirigeants s’appuient sur l’ethnicité, la solidarité des membres de l’ethnie et le clientélisme pour « gagner » les élections. Ce qui n’est pas encore tranché en Afrique, ce sont les relations entre les ethnies et l’État, entre les territoires et l’État, entre la propriété finciere, l’individu et l’État.


[ La démocratie est-elle en voie de consolidation avec la création du RHDP ? ]

Dans sa réponse à la question que lui pose Jeune Afrique, Alassane Ouattara s’inquiète de ce que la « mayonnaise » RHDP ne prend pas aussi vite qu’il le souhaiterait. Le RHDP est en cours de reconstruction. L’erreur serait de ne pas ouvrir la nouvelle direction à la diversité ethnique et géographique, à la diversité des origines politiques. Le RHDP ne peut se construire comme parti hégémonique, qui ressemblerait trop à un parti unique, monocolore. La démocratie respire, vit et se consolide à travers les débats contradictoires que portent différents partis sur les grandes orientations des politiques publiques. Les dirigeants, qui sont les figures d’un vieux monde politique africain, sauront-ils sortir leurs mouvements politiques de leur ancrage ethnique, tribal et géographique pour penser et constituer la Nation ? Nous devons insister sur ce qui nous rassemble et nous ressemble, et nous sur ce qui nous rend différents et peut nous rendre méfiants.

Wakili Alafé

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