Dernère publication
Ce sont des femmes démunies, dont le charme et quelques touches de maquillage ont balayé la précarité dans laquelle est plongé leur quotidien depuis plusieurs années. Ce sont des femmes de soldats ayant opté pour une retraite anticipée en 2017.
Dans cet après-midi du mercredi 8 décembre 2021, nous avons rendez-vous avec elles dans un espace public, dans la commune de Yopougon, pour une causerie à bâton rompu. Ces dames disent vivre un désespoir qui les pousse à se tourner vers Dominique Ouattara, la Première Dame ivoirienne, après avoir frappé en vain à plusieurs portes pour plaider leur cause.
Leurs conjoints étaient au nombre de 1048 soldats, ex-FDS (Force de Défense et de Sécurité) qui ont adhéré au programme de départ volontaire à la retraite, décision issue de la loi de programmation militaire décidé en 2016, par l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. A ces derniers qui avaient accumulé 15 ans dans l’Armée, il avait été promis la pension totale puisque la demi-pension est, entre-temps, abrogée. Moins d’un an après le départ à la retraite de leur époux, selon GUEI Désirée, la porte-parole du «Mouvement des Femmes des ex-militaires, partis à la retraite depuis 2017 ».
«Nos maris dorment dans des églises, dans des garages, dans des voitures, dans des marchés. Ça fait vraiment pitié »
« Nous vivons des moments difficiles vraiment avec nos maris. Depuis 4 ans qu’ils ont fait valoir leurs droits à la retraite, leurs pensions ne sont jamais versées. Les premiers mois des départs volontaires de nos maris à la retraite, les propriétaires de maisons nous ont chassés de nos loyers que nous n’arrivions plus à payer. Nous sommes dans la rue. Nos enfants ne vont plus à l’école. Ils sont déscolarisés. Il y a même des femmes qui ont quitté leurs maris et ces maris-là sont désormais livrés à eux-mêmes. Les parents aussi les ont chassés, ils dorment dans la rue. Nos maris dorment dans des églises, dans des garages, dans des voitures, dans des marchés. Ça fait vraiment pitié. Nous n’avons plus un sous. Nos maris sont toujours dans les rues, en train de revendiquer leurs droits et ils sont gazés. Nous sommes là, nous pleurons derrière eux. Certains sont incarcérés et après, on les libère. Nous prions Dieu pour que vous puissiez nous aider. (…) Et puis, parmi ces retraités-là, il y a des invalides, des handicapés de guerre. Lorsque vous les écoutez sur leur plate-forme évoquer leurs difficultés quotidiennes, vous ne pouvez pas vous empêcher de couler des larmes. C’est donc un cri de cœur que nous lançons en direction de la Première Dame, Maman Dominique Ouattara. Nous vous prions de porter haut notre voix, vers cette grande dame».
Dans la même veine, Tatiana LOGBO renchérit : « Il y a également des époux qui sont décédés et les enfants sont là, livrés à eux-mêmes, dans la rue, parce qu’il n’y a plus personne pour les prendre en charge. La famille est disloquée parce que la pauvre dame, veuve, ne sait même plus où donner de la tête pour venir en aide à ses enfants. C’est l’avenir de nos enfants qui en dépend. Même s’ils sont malades, on ne peut même pas payer les médicaments. C’est pour cela que nous interpellons la Première Dame, Maman Dominique Ouattara, nous avons besoin de vous. Nos maris dorment dans des garages, dans des maisons inachevées… C’est terrible ! »
Pour dame Kanaté, tous ces faits sont des situations qu’elles vivent au quotidien. «Si nous les femmes, nous sommes levées c’est que ça pèse sur nous. C’est arrivé jusqu’au sous-sol. Nous en pouvons plus. Nous sommes dans la souffrance. La pension c’est un droit. Et à cause de cette pension, nous sommes dans les difficultés, depuis quatre ans. Nous en pouvons plus », a-t-elle dit .
Pour Sao Dassé Kangné, il faut que l’Etat qui est une continuité se souvienne. « Ce sont des hommes qui ont donné leurs poitrines pour leur pays. Ils auraient pu mourir et laisser leur famille. Même si, ils ont pêché, je ne sais pas, quelque part, il ne faudra pas qu’on oublie que l’État est une continuité. Ils ont défendu leur patrie. On se réveille et on ne peut même pas donner le petit déjeuner à nos enfants. Nous, nous avons tous eu des petit-déjeuner et des dîners, mais nos enfants, non ! Lorsque ton enfant se réveille le matin, tu as peur qu’il te demande de l’argent, parce que tu n’as même pas un sou pour lui donner pour aller à l’école. Pourquoi ? Ce n’est pas normal. Quel avenir allons-nous donner à nos enfants? Un enfant qui a vu son papa aller au travail, en tenue militaire et revenir, aujourd’hui, celui-ci est cloitré à la maison. Les enfants mêmes nous posent des questions : tu n’arrives plus à satisfaire nos besoins. Ce n’est pas normal, que cette discrimination s’arrête ! Ils n’ont rien fait pour mériter cela. Pendant que d’autres ont la pension, nos maris, non ! Pourquoi cette discrimination », raconte-t-elle.
«Mon fils de 11 ans est en prison parce qu’il partait ramasser du fer sur un chantier et il s’est fait arrêter. Il est à la brigade des mineurs, à la MACA »
Madame Abagou qui raconte la l’histoire arrivée à son enfant : « Mon fils de 14 ans est en prison parce qui partait ramasser du fer sur un chantier et il s’est fait arrêter. Il est à la prison des mineurs à la MACA, naturellement, il ne va plus à l’école. Et son père et moi, ne pouvons rien faire. (…) Même ma fille aînée qui est en terminale cette année et qui doit passer le Bac a aussi des problèmes. Son papa est allé négocier et ils l’ont reprise à l’école qui n’est pas soldée mais je sais que dès le retour des congés de fin d’année, ils vont la chasser encore parce que l’école n’est pas soldée »
Des faits presque similaires pour Mme Togbo Toto Hyacinthe : «C’est vraiment difficile pour nous. Voyez-vous, pas plus tard qu’hier (mardi 7 décembre 2921 : NdlR), mon fils de 14 ans me disait : « maman, je vais aller travailler pour t’envoyer de l’argent. L’enfant même va à peine à l’école. J’ai demandé de l’argent un peu partout pour l’inscrire mais son école n’est pas soldée et il le sait. Les matins, je suis obligée de me rendre au portail de son école et passer par des moyens détournés pour l’introduire au milieu des autres élèves pour qu’il rentre à l’école qui n’est pas soldée. Je suis obligée de faire tout cela tous les matins, c’est la même ces gymnastiques. Il dit maman, je veux travailler (…) Même lorsque ma fille de CE2 devait passer sa composition, je suis allée voir la maîtresse pour lui expliquer mon problème et elle m’a ramenée au fondateur de l’établissement parce qu’elle a dit que le problème n’était pas à son niveau. Devant ce dernier où je me suis rendu, j’ai pleuré à chaudes larmes en lui expliquant tous mes problèmes avant qu’il ne l’accepte pour la compo de Noël. C’est vraiment difficile ».
Madame Loukou, ces fêtes de fin d’année qui avancent à grand pas, lui remémorent un bien triste souvenir : «habituellement, lorsque mon mari était en fonction, lors des fêtes, il venait à la maison avec au moins 5 poulets ; Mais l’année dernière, il n’était plus possible pour lui d’obéir à ce même rituel. Grâce à Dieu, comme j’ai pris mon argent de la tontine, j’ai acheté deux poulets à la veille de la fête de Noël. Et mon fils qui a 11 ans m’a dit : «maman, comme il n’y a pas d’argent et que tu as envoyé deux poulets, on va prendre un, pour la fête de Noël et on va garder l’autre pour le 1er janvier ». Voyez-vous le raisonnement d’un enfant de 11 ans qui dit cela à sa maman ? Alors qu’un seul poulet ne peut pas suffir. Et c’est effectivement ce que nous avons fait. Cette situation révolte les enfants ». Puis, cette dernière de poursuivre : « nous sommes obligés de déménager chaque six mois, une fois la caution de la maison épuisée. On rentre chez les parents et si on a encore un peu d’argent, on prend une nouvelle maison, on verse la caution de six mois et on fait la même chose. Une fois qu’on rentre dans la maison, on ne paye plus le foyer jusqu’à ce que les six mois de caution soient épuisés. Chaque fois nos problèmes sont au palais de Justice. Face aux huissiers. Un enfant qui se réveille le matin et qui dit à son père : « papa il faut te cacher parce que le monsieur qui arrive avec le papier-là, arrive encore »
« Et le comble conclut Madame Kanaté , c’est que le propriétaire te dit, c’est bon, il ne faut plus payer la maison mais il faut quitter ma maison. Mais là encore, tu n’as pas d’argent pour déménager. C’est vraiment pathétique. C’est fort ».
Par Claude Dassé