Exclusif : souvenirs du 19 septembre 2002, 18 ans après (Wakili Alafé, Côte d’Ivoire, rébellion)

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Wakili Alafé Dg de L’Intelligent d’Abidjan

Dernère publication

Tous les ans, pendant plusieurs années en ma qualité de journaliste et de responsable de rédaction , je faisais moi même, ou faisais réaliser des pages spéciales dans L’Intelligent d’Abidjan pour marquer le 19 septembre 2002, intervenu un an après le 11 septembre 2001 aux États Unis. Un événement qui m’avait tout aussi marqué car l’attentat avait eu lieu le jour même où je prenais mon premier visa pour aller aux Usa, reportant mon voyage et me faisant dire que j’aurais pu être déjà arrivé dans le pays !

Ce jour là , ce 19 septembre 2002, j’étais de sortie avec des amis, et ceux-ci avaient souhaité qu’on veille , en restant dehors jusqu’au matin. Mais mon sixième sens me poussait à rentrer ! Ce que j’ai fait, même s’ils étaient mécontents que je les lâche !

Le 19 septembre 2002…, j’ai suivi presqu’en direct la mort de Boga Doudou avec au téléphone le journaliste disparu Guy André Kieffer. J’ai suivi presqu’en direct l’assassinat de Robert Gueï avec feu Tapé Koulou Laurent me disant au téléphone, « on vient de finir avec Gueï , on va chez Alassane . Vérifie s’il s’y trouve »….Pendant longtemps, une mallette prise chez Ouattara restera aux mains de feu Tapé Koulou Laurent.

Mon parrain feu Ben Soumahoro qui a témoigné un jour publiquement sur la question , était informé par moi en temps réel alors qu’il se trouvait à Paris et voulait savoir ce qui se passait. À travers lui en retour, je recevais les informations précises émanant du Palais présidentiel et du Président Laurent Gbagbo.

J’ai suivi les tractations pour faire sortir de chez l’Ambassadeur d’Allemagne, Alassane Ouattara dans le blindé de la gendarmerie, avec l’appui des forces françaises.

Durant un long moment , il n’a pas été pardonné à Lida Kouassi de n’avoir pas pris « ses responsabilités » pour ordonner l’assaut contre la résidence et « finir » avec Alassane Ouattara , en créant l’incident et ensuite laisser voir comment arranger la situation .

Face aux hésitations de Lida Kouassi qui exigeait un ordre du Président Laurent Gbagbo, avant de laisser sortir Ouattara (alors que des radicaux souhaitaient le contraire mais sous sa responsabilité), le chef de l’État avait été obligé d’appeler depuis l’Italie, Lida pour lui demander de garantir la sécurité de Alassane Ouattara, après les appels insistants de Jacques Chirac et l’ambassadeur de France à Abidjan de l’époque, sans oublier Nicolas Sarkozy, en sous main . (….)

L’histoire du 19 septembre c’est le rendez-vous d’une « certaine audace, d’une folie courageuse » d’un groupuscule de 20 personnes qui pensaient pouvoir obtenir des ralliements, qui espéraient que Laurent Gbagbo n’avait pas de soutien au sein des populations, ni d’adhésion au sein de l’armée. Ils avaient si peu d’armes lourdes. Ils n’avaient aucun blindé dans l’attaque d’Abidjan !

Leur atout principal était cette « folie courageuse » mue par un idéal en lequel ils croyaient. La bonne fortune , le coup de pouce diplomatique, et un peu de la main de Dieu ont fait le reste jusqu’à permettre que cette rébellion en réalité désargentée , parvienne à s’incruster à Bouaké, pour récupérer des armes et faire de la ville une base arrière en plus de Burkina Faso.

Comme la thèse de pieds nickelés à la tête d’une rébellion désargentée et si peu armée n’était pas bonne pour la propagande de la résistance qui se mettait en place , ni pour l’égo du pouvoir, le storytelling d’une rébellion hyper armée mise en déroute par une armée loyale et héroïque, a été préféré !

Cette rébellion n’a en réalité jamais eu les moyens militaires de son ambition, si on regarde encore ce qui s’est passé déjà en octobre 2002, avant le cessez-le-feu ! L’armée était alors aux portes de Bouaké pour la mater, et libérer le pays . En 2004, l’armée avait encore fait le travail, mais la France n’était pas loin de la gaffe du bombardement du camp français à Bouaké.

Après l’élection en 2010, la France aidera à achèver le travail après les échecs des tentatives avortées de faire partir Laurent Gbagbo. Dès le départ en 2002, une option résolue a été prise en France ( qui a fait partager sa vision à l’Union européenne et aux Usa ), d’empêcher Laurent Gbagbo de sortir de la crise par une victoire militaire.

L’échec de l’attaque des cibles à Abidjan en vue de renverser le pouvoir , de mettre en place une transition devant exclure Bédié, Ouattara de la vie politiques , après la chute de Gbagbo, a crée la mystique patriotique et renforcé l’adhésion populaire autour de Laurent Gbagbo frappé de la malédiction de ce qu’il avait lui-même qualifié d’élection calamiteuse, en 2000 avec son lot de violences et de morts ….

Lorsque des militaires un peu pro Bédié et même pro Ouattara ( pas informés du coup ), ont compris que c’était IB qui voulait être le chef de la transition après le coup d’État , et que ce ne serait pas Robert Gueï accusé à tort par Pascal Affi N’Guessan et qui en est mort pour rien, ils ont pris fait et cause pour Laurent Gbagbo.

Pour ma part, très vite, j’avais compris que plus rien ne pouvait être comme avant , avec cette attaque qui intervenait juste trois ans après le coup d’État de 1999, et après une série de tentatives depuis la transition de 2000 jusqu’à cette date du 19 septembre 2002, en passant par le complot de la Mercedes en janvier 2001.

Un an après l’attaque, je lançais le 3 septembre 2003 , lintelligent d’Abidjan , « le quotidien dont vous avez rêvé », en vue de m’inscrire dans la réconciliation et tirer les leçons pour sortir de la presse partisane pro Bédié , Pdci ( Démocrate Reveil Hebdo, Nouvelle République) d’une part, et d’autre part de la presse nationaliste et républicaine ( pro Bédié puis pro Gbagbo, ensuite pro Bédié et pro Gbagbo , mais toujours férocement anti Ouattara malgré des tentatives timides ou avortées de réconciliation et de rapprochement entre feu Tapé Koulou et Alassane Ouattara) , qu’était le National.

À 32 ans , encore marqué par les images et le souvenir du 19 septembre 2002 intervenu alors que j’avais 31 ans, j’ai décidé de prendre en main mon destin professionnel et de devenir un entrepreneur dans le secteur des médias ! Dans la crise, pendant la crise , alors que des entreprises fermaient , prendre le pari de créer un journal et de s’engager dans un tel projet , était pour moi une source d’espérance en l’avenir et la foi que la crise finirait bien un jour, et qu’il fallait bien vivre avec en attendant ….

La crise a pris officiellement fin en 2007 par l’accord de Ouagadougou après d’autres accords intermédiaires , mais l’accord de Ouagadougou n’était-il pas en réalité une pause eu égard à ce qui s’est passé ensuite en 2010 ?

Souvent le dialogue mal négocié, la paix sur des bases INSINCÈRES ou OPPORTUNISTES, et surtout avec la garantie de L’IMPUNITÉ ABSOLUE peut conduire à des conflits plus graves ! La crise post électorale est le signe refus et de rejet d’un sentiment d’injustice inacceptable ressenti par le camp Gbagbo. Après les immenses sacrifices consentis selon eux pour la paix, le Président Laurent Gbagbo et les siens ont trouvé injuste et inaccordable de devoir donné le pouvoir, aux alliés directs ou indirects de ceux qui qui n’avaient pas pu gagner par les armes, depuis 2000. Comment dix ans après tous les sacrifices , et toute la résistance accepter que tout cela avait été vain, et qu’une défaite dans les urnes, après l’échec des armes, était une réalité ?

À titre personnel, après avoir soutenu le principe du dialogue direct et l’accord de Ouagadougou, j’avais aussitôt commencé à émettre des réserves lorsqu’il s’était agi pour Guillaume Soro de devenir lui-même Premier ministre, et de dévoiler désormais un agenda personnel. Je fus à l’époque , l’un des rares médias à maintenir de la méfiance à l’égard de la relation Laurent Gbagbo-Guillaume Soro.

Aujourd’hui 13 ans après cet accord, aujourd’hui en 2020 Guillaume Soro est candidat à l’élection présidentielle, une réalité qui devait voir jour en 2015, sur la base de ce que Laurent Gbagbo aurait gagné l’élection en 2010. La victoire d’Alassane Ouattara , ou de Henri Konan Bédié qui n’était pas évidente, retardé de cinq ans l’échéance d’une candidature à l’élection présidentielle. Ceux qui ont souvent pensé que l’homme était pressé, n’ont pas intégré que c’est à 43 ans en 2015, et non à 48 ans en 2020, qu’il devait se lancer dans la course.

Au moment où est fait le débat de la bonne ou mauvaise sortie du Président Alassane Ouattara, la jeunesse apparente de Guillaume Soro, (48 ans ) ne peut pas faire cacher le fait que depuis 18 ans, il est l’un des acteurs majeurs de la crise dans le pays.

Avant la rébellion, Guillaume Soro avait été déjà dans les années 95 au devant de la scène publique, à travers la Fesci. Guillaume Soro a au moins 25 ans de vie publique entre syndicalisme, rébellion armée et politique.

Ma première rencontre avec Guillaume Soro date des années 94, si mes souvenirs sont exacts. J’avais 24 ans, lui 23 ans. Il dirigeait la Fesci et était dans la clandestinité avec Goré Sylvanus, Soul To Soul et d’autres amis. J’avais obtenu un rendez-vous pour une interview, avec l’accord de mon patron Yao Noël. Après l’interview avec Soro, j’ai aussi interviewé le ministre Saliou Touré. Une sorte de dialogue à distance qui a facilité le travail des autres médiateurs, et a permis la décrispation qui a suivi à travers la rencontre Bédié- Soro et les étudiants , alors que la Fesci était officiellement dissoute.

De 94-95, nos chemins ne sont pas pas trop croisés à part une ou deux rencontres au hasard dans la nuit abidjanaise , jusqu’à l’après 19 septembre 2002, avec l’apparition du visage de Guillaume Soro.

À l’époque en septembre 2002, Blaise Compaoré et Ib étaient soucieux de récuser les accusations du pouvoir d’Abidjan faisant état d’une attaque venue de l’extérieur.
Cette accusation d’Abidjan visait à obtenir le soutien de la France , et de la communauté internationale en vue mater la rébellion, car une rébellion ça s’est mate, ainsi que le fera Soro en son sein, et ainsi que sera nargué Laurent Gbagbo, pendant longtemps pour n’avoir pas pu mater sa rébellion .

18 ans après , l’on peut constater qu’après Kass, et d’autres jusqu’à IB, la rébellion continue de manger ses enfants, et ses bénéficiaires, quand on voit aujourd’hui la crise de la rupture entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro.

Enfin cet autre témoignage me donne l’idée de rassembler tous les écrits de l’époque , pour les actualiser , les compléter en vue de produire un livre témoignage sur mon 19 septembre 2002, qui fait partie de notre histoire, de l’histoire de la Côte d’Ivoire , et qui doit être pris pour ce qu’il représente pour chacun, avec la triste idée que les uns et les autres sont prêts à recommencer si nécessaire une rébellion.

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