LA CHRONIQUE DU LUNDI- Election présidentielle en Côte d’Ivoire:Dis-moi d’où tu parles,je te dirai qui tu soutiens

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Wakili Alafé,Dg de L’Intelligent d’Abidjan

Dernère publication

Je reprends, dans cette Chronique, les éléments de réponse qui ont été donnés par Wakili Alafé, le directeur de l’Intelligent d’Abidjan, dans l’interview qu’il a accordée à un site d’information à propos de la candidature d’Alassane Ouattara à la présidentielle de 2020.

Pour Wakili Alafé, « la candidature d’Alassane Ouattara à la présidentielle d’octobre 2020 peut être interprétée d’un point de vue constitutionnel, d’un point de vue idéologique, d’un point de vue politique et d’un point de vue moral. » Wakili Alafé, dont le rôle n’est pas de dire si cette candidature est légitime ou non, explore le champ des questions qu’elle soulève du point de vue constitutionnel, politique ou idéologique, ethnique et moral. En observateur Wakili Alafé pose les termes du débat. Il appartient à chacun de se forger une opinion, sachant que cette opinion se construit toujours depuis l’endroit où l’on parle.

Dis-moi d’où tu parles, je te dirai qui tu soutiens

Selon Mamadou Traoré, « le peuple devrait demander la démission de Ouattara pour parjure », mais Mamadou Traoré est un proche de Soro. En revanche, pour Adama Bictogo, « on ne peut gouverner un pays avec deux constitutions en même temps », ce qui signifie que la nouvelle constitution promulguée en 2016 rend légitime la candidature de Ouattara en 2020, mais Adama Bictogo est le directeur exécutif du Rhdp. Ce qui est intéressant, en dehors de de ce qui les oppose politiquement, c’est que Mamadou Traoré et Adama Bictogo ne sont pas les gardiens d’une même conscience, ni d’un même droit.
Mamadou Traoré se situe sur le plan moral, lorsqu’il parle de « parjure », le parjure étant une violation de serment, un manquement au respect dû à la divinité prise à témoin, la « divinité » étant, pour Traoré, le « peuple ». Même s’il ne peut prétendre parler au nom de tout le peuple, Mamadou Traoré est légitime, lorsqu’il exprime une opinion, Le journaliste-écrivain Serge Bilé se situe aussi sur le plan moral, lorsqu’il déclare que, pour de multiples raisons, « Bédié commet une faute morale en se présentant aux élections ».

Quant à Adama Bictogo, il se situe sur le plan constitutionnel : la nouvelle constitution, celle de 2016, parce qu’elle remet les compteurs à zéro, autorise le Président Alassane Ouattara à se présenter à un premier mandat sous la IIIè République. De la même manière, cette constitution de 2016, en supprimant la limite d’âge, autorise aussi au Président Bédié à se présenter en 2020. D’ailleurs, aucun dirigeant du Rhdp ne cherche officiellement à contester la légitimité de la candidature de Bédié.
Les arguments politiques et idéologiques qui peuvent conduire à dénoncer la candidature d’Alassane Ouattara sont souvent absents. L’« houphouétisme », qui n’a jamais été une doctrine figée, se définit avant tout comme une manière de gouverner très pragmatique. Alors qu’il avait été un compagnon de route du parti communiste, Houphouët-Boigny, lorsqu’il est élu Président de la République du jeune Etat ivoirien indépendant, se converti au libéralisme tout en mettant en œuvre une politique sociale des plus hardies. Si je devais paraphraser le Général de Gaulle, je dirais que, pour Houphouët-Boigny, ce n’est « ni le libéralisme, ni le socialisme, mais la Côte d’Ivoire. » Ce choix lui a permis d’unifier 60 ethnies en les inscrivant dans une destinée commune fondée sur une croissance inclusive.et le partage du français comme langue de travail et non pas comme langue de l’identité. Les Ivoiriens sont en droit d’attendre des candidats à l’élection présidentielle qu’ils disent clairement quel est l’endroit d’où ils parlent, quelle est l’idéologie qui structure leur programme de gouvernement. Parlent-ils depuis le socialisme ? Depuis le libéralisme ? Depuis l’âme marchande du monde et la « main invisible » du marché? Depuis une ethnie ? Depuis un hypothétique panafricanisme, alors qu’il existe 54 Etats africains mus par des intérêts divergents ?

Toute utopie finit par entrer en conflit avec la réalité

Toutes ces questions peuvent-elles être posées dans un cadre démocratique ? Rien n’est moins sûr, non pas parce qu’il s’agit de l’Afrique, mais parce que toutes les réponses se heurtent au mur des réalités. L’Houphouétisme, incarné par la figure charismatique du Père de la nation ivoirienne, est une manière de gouverner qui réussit, parce que Félix Houphouët-Boigny possède cette vision prospective de l’Histoire qui le projette hors de l’ethnie et du territoire pour imaginer le destin d’une grande nation, la Côte d’Ivoire.

À sa mort, l’houphouétisme devient une utopie et, pour reprendre l’analyse de l’économiste Jacques Sapir, « quand on forge des projets trop utopistes, on finit forcément par entrer en conflit avec la réalité. » Wakili Alafé a raison, lorsqu’il s’interroge sur la somme des fausses réconciliations, des demi-paix, des transitions qui ponctuent l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire est-elle vouée à subir la fatalité de l’instabilité politique et des affrontements ethniques ?

Le cas Ouattara

Peut-on contester la sincérité du président Alassane Ouattara, lorsqu’il avait annoncé qu’il ne serait pas candidat en 2020 ? Ou bien la brusque disparition d’Amadou Gon Coulibaly crée-t-elle un une situation qui l’oblige à un nouveau mandat, ce qu’il n’avait nullement prévu en promulguant une nouvelle constitution en 2016, soit quatre ans avant l’élection présidentielle de 2020 ? Récemment, Alassane Ouattara avait précisé que des circonstances exceptionnelles pourraient le conduire à briguer ce « troisième » mandat. Ces circonstances exceptionnelles existent-elles aujourd’hui ? Il appartient à chacun de se forger une opinion. Soit, 2016 représente un « tripatouillage » de la constitution, afin de permettre à Ouattara d’être candidat en 2020 et s’octroyer une présidence à vie ; soit, son départ était imminent et nous ne sommes pas dans le cas de celui qui, dans un climat insurrectionnel, modifie la constitution pour se maintenir au pouvoir. Peut-on voir dans la nouvelle candidature du président Ouattara les stratégies de certains présidents africains pour s’éterniser au pouvoir ? Bien sûr qu’il n’en est rien !

Question subsidiaire : de la limitation du nombre de mandats d’un président ?
Personne n’est favorable à l’idée de maintenir éternellement au pouvoir les mêmes dirigeants. Mais, il n’est pas sûr que la limitation du nombre de mandats soit un marqueur incontestable du niveau de démocratisation et de développement d’un pays. De grandes démocraties, comme l’Allemagne, ne limitent pas le nombre de mandats de leurs dirigeants. En France, ni Sarkozy, en 2012, ni Hollande, en 2017, n’ont pu se faire réélire pour le deuxième mandat que la constitution française les autorisait à briguer. Les indices de démocratisation d’un pays ne sont-ils pas à chercher ailleurs que dans la limitation du nombre de mandats ?

Christian GAMBOTTI, Agrégé de l’Université, Président du think tank Afrique & Partage-
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone – Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains

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