LA CHRONIQUE DU LUNDI LE CHEMIN PARCOURU PAR LA CÔTE D’IVOIRE PETIT TABLEAU HISTORIQUE: AVANT-HIER, HIER, AUJOURD’HUI, DEMAIN

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Politiquement
Avant-hier: 1960-1993, ce sont les années Houphouët-Boigny. Le Père de la nation ivoirienne parvient à unifier un pays qui comprend 60 ethnies, chacune parlant sa propre langue. Houphouët-Boigny parviendra à éviter tout conflit ethnique, permettant même l’intégration d’immigrants venus de pays voisins. Le PDCI-RDA et alors le parti unique du pays. Malgré quelques crises (1963-1964, 1970, 1973), la stabilité politique est réelle.
Hier: 1993-2011 : ce sont les années Bédié et Gbagbo. A partir des années 1990, on constate la rupture du « consensus national » pour deux raisons : le retour au multipartisme avec l’émergence du FPI (Front populaire ivoirien) et la crise économique. Elu Président de la République en 1995, Henri Konan Bédié développe le concept de l’ « ivoirité », concept qui sera utilisé par la suite pour empêcher l’opposant Alassane Dramane Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle. Sur fond de tensions politiques, économiques et sociales, Bédié est renversé par un coup d’Etat en décembre 1999. Bédié s’exile en France. Les troubles militaires et politiques se multiplient. L’élection présidentielle de 2000 voit la victoire de Laurent Gbagbo. Bédié et Ouattara ont été empêché de se présenter. Le Général Guéï est assassiné dans des circonstances mystérieuses. Les années Gbagbo (2000-2010) se caractérisent par de graves crises politico-militaires qui vont entraîner la partition du pays (2002). L’élection présidentielle de 2005 ne peut avoir lieu. Lors de l’élection présidentielle de 2010, Gbagbo et Ouattara se qualifient pour le second tour. Bédié apporte son soutien à Ouattara. A l’issue du second tour, Ouattara et Gbagbo se déclarent tous les deux vainqueurs. Il va s’en suivre une grave crise post-électorale qui fera 3000 morts. Laurent Gbagbo sera arrêté par les forces onusiennes appuyées par l’armée française qui agit sous mandat par l’application de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Laurent Gbagbo sera transféré à la CPI (Cour Pénale Internationale).
Aujourd’hui: 2011-2020 : ce sont les années Ouattara. En avril 2011, Ouattara peut entrer en fonction et diriger le pays appuyé par une coalition de 5 mouvements politiques, le RHDP. L’entente entre Ouattara et Bédié est au beau fixe, Bédié acceptant, à travers l’Appel de Daoukro, qu’Alassane Ouattara soit le candidat unique du RHDP à l’élection présidentielle de 2015. Le RHDP va d’ailleurs remporter toutes les élections, Mais, les tensions qui existent entre le PDCI et le RDR vont s’aggraver, jusqu’à provoquer, en cette année 2018, une rupture entre Bédié et Ouattara. La situation politique est aujourd’hui particulièrement confuse. Les dernières élections municipales et régionales du 13 octobre 2018 ont ajouté à cette confusion.
Demain: 2018-2020 et après ? Demain commence aujourd’hui avec la rupture consommée entre Bédié et Ouattara. Que va-t-il se passer entre 2018 et 2020. Qui sera candidat à l’élection présidentielle de 2020 ? Tous les scénarios s’écrivent : Bédié candidat ? Ouattara candidat ? Un candidat unique RHDP-Parti unifié ? Que pèse encore le FPI ? Le scénario le plus probable est que les deux grands partis de l’ex-RHDP, le PDCI et le RDR, présentent, au premier tour, chacun leur candidat. Des alliances nouvelles vont-elles émerger ? Un candidat n’apparaît pas dans ces analyses, celui de Guillaume Soro, dont personne ne doute qu’il sera candidat en 2020. Sa stratégie de la parole rare sur ce sujet lui permettra-t-elle de créer un « désir de Soro » au sein de la population, même si ses opposants restent nombreux ? L’âge de Bédié et l’usure du pouvoir qui frappe Ouattara peuvent-ils jouer en sa faveur ? Mais, comme lors de toutes les échéances électorales, ce n’est pas le vide qui menace la scène politique ivoirienne, mais le trop-plein. Les populations redoutent le retour d’une instabilité politique mortifère, dont elles sont les premières victimes.

Economiquement
Avant-hier: on a pu parler, pendant les années Houphouët-Boigny, du moins jusqu’en 1990, de « miracle ivoirien ». Appliquant les recettes de l’économie libérale, afin de créer des richesses, Houphouët-Boigny ne renonce pas à mener une politique sociale hardie.
Hier: entre 1993 et 2010, l’instabilité politique va impacter négativement l’économie ivoirienne En 2000, le taux de croissance est négatif : -2,3 %. Il tournera ensuite autour de 1,5 % (+1,6 % en 2004, +1,8 % en 2005, 1,2 % en 2006). Les exportations chutent, ce qui fait que l’État ne peut pas tenir ses engagements extérieurs. Ces difficultés vont persister jusque dans les années 2005-2010, des pans entiers de l’économie ivoirienne étant en faillite.
Aujourd’hui: pour le représentant de la Banque mondiale, Jacques Morisset, « la Côte d’Ivoire est sur la bonne voie. Elle occupe le deuxième rang en Afrique en matière de performance économique, et le quatrième rang dans le monde ». Personne ne conteste la réussite d’Alassane Ouattara dans ce domaine. La croissance est forte et durable (7,3 % en 2016). Est-elle suffisamment solide ? Les performances de la Côte d’Ivoire en matière d’exportations de matières premières agricoles restent fragiles, avec des difficultés qui vont s’aggraver d’ici 25 ans, à cause du réchauffement climatique. Beaucoup de défis restent à relever, en particulier la transformation locale de sa production agricole. La diversification de l’économie reste insuffisante. Il n’existe pas encore un réseau dense de PME-PMI, créateur d’emplois et de valeur ajoutée.
Demain: le défi économique est immense. Le gouvernement ivoirien doit orienter les politiques publiques vers la création de ce réseau dense de PME-PMI. L’urgence : diversifier l’économie en libérant l’initiative privée. L’Etat doit être un Etat-stratège et promouvoir une croissance plus inclusive.

Socialement
● Avant-hier ● Hier ● Aujourd’hui ● Demain : le constat reste le même. Riche sous Houphouët-Boigny, redevenu riche sous Ouattara, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui un pays riche avec une population pauvre. Les réformes ont permis de doter le pays des infrastructures dont il avait besoin, même si beaucoup reste à faire. Les Ivoiriens attendent des réformes pour leurs assiettes. Une étude récente montre que le taux de pauvreté en Côte d’Ivoire est de 47 %. Il existe une rupture entre les revenus des personnes vivant en ville et ceux des populations des zones rurales. En ville, 60 % des habitants vivent dans des conditions précaires. La question de la redistribution des fruits de la croissance par l’Etat reste un problème constant en Côte d’Ivoire. Depuis 2016, Ouattara doit faire face à une grogne sociale, dont l’acmé aura été les manifestations contre l’augmentation des tarifs de l’électricité, les mutineries des ex-rebelles et les grèves des fonctionnaires. Le programme des candidats à l’élection présidentielle de 2020 devra mettre l’accent sur la question sociale.
Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est redevenu le fer de lance de l’économie de l’Afrique de l’Ouest. Le pays a retrouvé la confiance des investisseurs et des bailleurs de fonds internationaux. Son rôle géopolitique et géostratégique sur la scène internationale s’affirme. Les turbulences électorales des années 2018-2020 risquent de favoriser le retour des anciens démons de la scène politique ivoirienne. Ouattara et Bédié ont entre leurs mains, plus que d’autres, le maintien de la stabilité politique et de la paix intérieure. Le pays est en marche vers l’émergence. Les femmes et les hommes politiques du pays sont déjà en train d’écrire l’histoire de la Côte d’Ivoire de demain. Cette histoire sera-t-elle apaisée ou conflictuelle?

Christian Gambotti
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur général de la société ECFY
Directeur de la Collection
L’Afrique en March
Pour réagir : intelligentdabidjan@gmail.com

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