LA CHRONIQUE DU LUNDI : LES 15 ANS DE L’INTELLIGENT D’ABIDJAN OU LE COMBAT DE WAKILI ALAFE POUR FAIRE VIVRE SON JOURNAL

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Dernère publication

A propos du Forum sur la liberté de la presse du 7 septembre et du concert du 8 septembre 2018
Si j’ai choisi de consacrer ma Chronique de ce lundi 3 septembre aux 15 ans de L’Intelligent d’Abidjan, qui seront célébrés les 7 et 8 septembre 2018, à Abidjan, c’est pour deux raisons : d’abord, pour apporter mon soutien à une manifestation en faveur de la liberté de la presse ; ensuite, pour mettre en lumière le combat que mène Wakili Alafé, depuis 15 ans, afin de faire vivre son journal malgré les difficultés de tous ordres. La liberté de la presse est un marqueur fort de la démocratie avec, pour les journalistes, le droit d’informer et, pour les lecteurs, le droit d’être informés. J’ai toujours en mémoire cette citation de Thomas Jefferson, le troisième Président des Etats-Unis : « Notre liberté dépend de la liberté de la presse, et elle ne saurait être limitée sans être perdue. » Défendre la liberté de la presse, c’est donc défendre la démocratie. Le 3 mai, tous les ans, sous l’égide des Nations unies, se tient la Journée mondiale de la liberté de la presse. Cette journée permet d’évaluer cette liberté à travers le monde, défendre l’indépendance des médias et rendre hommage aux journalistes qui risquent leur vie et aux publications qui sont censurées ou interdites dans certains pays. Pour l’Association Reporters Sans Frontières, 72 pays sur 180 recensés connaissent une situation « difficile »  ou « très grave » sur le plan de la liberté de la presse.

L’Afrique et la liberté de la presse

Dans son rapport publié le 25 avril 2018, Reporters Sans Frontières note les progrès accomplis en Afrique en matière de liberté de la presse, même si la situation reste difficile dans de nombreux pays. Huit pays africains figurent dans le Top 50 (classement 2017) des pays qui respectent le plus la liberté de la presse : Ghana (1er pays africain, 23è mondial), Namibie (2ème pays africain, 26è mondial), Afrique du Sud (3ème pays africain, 28è mondial), Cap Vert (4ème pays africain, 29è mondial), Burkina Faso (5ème pays africain, 41è mondial), Botswana (6ème pays africain, 48è mondial), Comores (7ème pays africain, 49è mondial), Sénégal (8ème pays africain, 50è mondial). Bien entendu, ces classements sont fluctuants, sachant que les dérives autoritaires, les dictatures et les guerres transforment l’information en un immense « trou noir ». On sait que l’une des pires menaces qui pèsent sur la démocratie est la libération de la haine contre les journalistes. Les mouvements populistes, aujourd’hui, sur la planète entière, attisent cette détestation du journalisme. Trump, alors que l’Amérique peut se définir comme la plus grande démocratie du monde, est l’exemple parfait du dirigeant politique qui nourrit cette détestation. Mais, dans une Afrique qui évolue, se transforme, avec des populations connectées à la planète entière, des générations nouvelles avides de démocratie, les progrès en matière de liberté de la presse sont, dans certains pays, indéniables. On notera que, dans le classement 2017 de Reporters Sans Frontières, la Côte d’Ivoire ne figure qu’à la 82ème place. Faut-il y voir la conséquence d’un retard pris pour l’amélioration de la qualité du cadre légal et de la sécurité des journalistes dans le pays ? Les violences liées à la crise électorale de 2011 font que les médias sont restés sous surveillance. Reporters Sans Frontières note cependant qu’« en décembre 2017, l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire a adopté une nouvelle loi sur la presse qui précise qu’aucun motif n’est recevable pour la détention de journalistes. Un progrès qui doit mettre fin à la détention provisoire de journalistes, pratique régulière dans le pays malgré la dépénalisation de la plupart des délits de presse depuis 2004. En 2017, huit journalistes en ont été victimes. »

Les 15 ans de L’Intelligent d’Abidjan

15 ans après son lancement, L’Intelligent d’Abidjan, grâce à la volonté farouche de Wakili Alafé, existe toujours. Le pari est pris pour tenir encore les 15 prochaines années. Le journaliste, Wakili Alafé, s’est transformé en patron de presse, ce qui signifie qu’il est confronté tous les jours aux obstacles qui se dressent devant lui, s’il veut sortir son quotidien. Les obstacles sont d’abord économiques, liés aux coûts fixes (l’argent reste le nerf de la guerre) ; ils relèvent ensuite de la difficulté de distribution (un problème qui est loin d’être résolu en Côte d’Ivoire) ; ils proviennent, ces dernières années, de la concurrence des plateformes d’information qui siphonnent les valeurs des articles.

La question de l’indépendance économique

Pour Wakili Alafé, « La question de l’indépendance économique se pose sans cesse, puisqu’un journal doit informer librement, sans aucune soumission à des intérêts privés ou étatiques, en privilégiant l’objectivité de l’enquête, et non pas  l’émotion du moment. Or, un patron de presse se heurte aux prosaïques réalités économiques, la rentabilité d’un journal étant la seule garantie de son indépendance, ce qui suppose une fidélité des acheteurs. La rentabilité a des conséquences sur la qualité des articles, la liberté économique étant une condition indispensable pour assurer une authentique liberté de la presse. »

La question du travail des journalistes de la presse quotidienne

Selon Wakili Alafé, « le journaliste de presse est aujourd’hui en situation de concurrence. Il n’est plus le seul qui détient l’information. L’avènement d’internet, des réseaux sociaux et des smartphones a tout changé. L’information est captée par de nombreux acteurs qui peuvent la diffuser sans vérification, ni discernement, d’où la prolifération, volontaire ou non, des « fake news ». Face à cette concurrence, la presse quotidienne écrite doit se différencier par son sérieux, sa qualité et le respect des règles déontologiques.»

La concurrence des plateformes d’information

La concurrence est, pour Wakili Alafé, toujours une bonne chose. Cette concurrence a obligé la presse quotidienne à aller vers plus de professionnalisme. D’ailleurs, la concurrence tient moins à la rapidité avec laquelle l’information est traitée. L’immédiateté est du côté d’internet. La concurrence relève de l’économie des médias. Les plateformes d’information ne respectent pas la propriété intellectuelle et siphonnent la valeur des articles. Pour Wakili Alafé, « comment lutter contre Internet où la reproduction est instantanée et gratuite ? » Il est évident que l’économie immatérielle induit pour la presse écrite une concurrence déloyale. Selon Olivier Bomsel, un économiste des médias, « seule l’introduction d’un droit de propriété peut rétablir un équilibre. » Ce droit de propriété existe dans l’édition.
La cérémonie des 15 ans de L’Intelligent d’Abidjan, à travers l’Abidjan Media Forum (AMF), qui se tiendra le 7 septembre, à l’hôtel Ivoire, permettra d’aborder toutes ces questions. Rappelons que l’AMF se déroule sous le Haut patronage du Premier ministre ivoirien, Monsieur Amadou Gon Coulibaly, les co-parrainages du ministre d’Etat, Monsieur Hamed Bakayoko, ministre ivoirien de la Défense, et  du ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, Monsieur Alpha Barry.

Christian Gambotti
Agrégé de l’Université
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur général de la société ECFY
Directeur de la Collection
L’Afrique en Marche

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