La chronique du lundi-premier bilan de la décennie Ouattara:bilan social

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«Certes, nous ne sommes pas un pays socialiste, mais notre ambition est de réaliser (…) un social des plus hardi » (2)
Avec cette deuxième Chronique consacrée au bilan de la décennie Ouattara, j’aborde la question sociale, une question qui, selon de Gaulle, était toujours posée, jamais résolue. J’ai repris la phrase de Félix Houphouët-Boigny, prononcée le 23 septembre 1965 : « Certes, nous ne sommes pas un pays socialiste, mais notre ambition est de réaliser (…) un social des plus hardi ». 55 ans plus tard, cette phrase permet d’interroger la décennie Ouattara sur la question sociale.

Ouattara, qui a été le premier et le seul Premier ministre d’Houphouët-Boigny (1990-1993), se réclame de l’héritage houphouétiste. Le Père dea Nation, converti au libéralisme, savait qu’il fallait créer des richesses avant de les distribuer. Mais, il n’oubliait pas le social. Dans le droit fil de l’héritage houphouétiste et formé au moule du FMI, Alassane Ouattara a conduit et réussi une politique de consolidation de l’économie. Avant la crise sanitaire de la Covid 19, la Côte d’Ivoire est estée, en 2019, l’une des économies mondiales qui affiche la croissance la plus rapide. Dans une analyse publiée en octobre, le FMI prévoyait une croissance économique de 7,5% en 2019, un taux supérieur au taux de 7,4% enregistré en 2018, ce qui confirme une tendance haussière qui a vu l’économie ivoirienne croître de 8,6% en moyenne annuelle depuis 2012. Mais, Ouattara a-t-il oublié le social ?
Conférence de presse du ministre Sidi Tiemoko Touré sur le Programme Social du Gouvernement


La question sociale : l’impensé radical de la décennie Ouattara?

La logique néolibérale, dont les marqueurs sont connus, a permis, comme je l’ai montré dans ma dernière Chronique (21 septembre 2020), de faire de la Côte d’Ivoire « le pays le plus riche de l’Afrique de l’Ouest ». Mais, cette logique tend à privilégier l’économie et le long terme au détriment des facteurs sociaux qui, pour les populations, relèvent du court terme, voire de l’urgence. Le constat est évident : en matière sociale, le gouvernement n’a pas fait suffisamment, les attentes sociales sont loin d’être satisfaites. Les crises importantes et les remous sociaux des années 2016-2017 (grève des fonctionnaires, mutineries dans l’armée, etc.) traduisent, selon Jeune Afrique (3), « des impatiences légitimes dans la population, qui ne voit pas son niveau de vie progresser au rythme du produit intérieur brut. » L’ONU, l’OCDE, la Banque Mondiale, le FMI, la BAD, une Agence comme Bloomfield Investment, tous font le même constat : la croissance forte et régulière que connaît la Côte d’Ivoire n’est pas suffisamment inclusive. L’offre sociale, dans de nombreux domaines, « pâtit de grosses lacunes ». Selon l’agence Bloomfield Investment, « le principal problème demeure l’insuffisance de l’offre de soins (…) avec la stagnation du budget de ministère de la santé, l’ampleur de la pauvreté et l’inexistence d’un dispositif de couverture du risque maladie. »
Nous sommes en 2017, la crise sociale se double d’une crise politique qui déstabilise la famille politique du RHDP. Amadou Gon Coulibaly est alors nommé, le 10 Janvier 2017, Premier ministre. Alassane Ouattara sait qu’il est urgent d’aller vers « un social des plus hardi », afin de répondre aux attentes des populations. Désigné par Ouattara comme son successeur, Amadou Gon est chargé de mettre en œuvre un ambitieux « Plan Social du Gouvernement – 2019-2020 ». Tous les domaines sont concernés : la santé, l’éducation, l’eau potable, l’électricité, le logement, les transports publics, etc. Ce Plan Social met l’accent sur l’aide à apporter aux populations les plus démunis avec l’accès gratuit aux soins de santé, à l’éducation des enfants et le financement d’actions génératrices de revenus pour les mères de famille les plus démunies. Il s’agit de donner accès, à chaque Ivoirienne et à chaque Ivoirien, aux services publics de base.
A 34 jours de l’élection présidentielle, la crise sanitaire et sociale provoquée par la pandémie de la Covid 19, – des pans entiers de l’économie, dont le tourisme, sont à l’arrêt -, rend encore plus urgente la mobilisation des ressources budgétaires du pays, afin de venir en aide à tous les secteurs de l’économie et aux populations. Le gouvernement a mis en place un plan de soutien économique, social et humanitaire, afin d’atténuer l’impact de la Covid 19 sur les acteurs de l’économie formelle et informelle à travers des aides, ainsi que sur les populations à travers des mesures sociales.


La réponse sociale afin d’éviter le scénario de 1995

L’appel de l’opposition à boycotter l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 vise à créer une situation d’instabilité politique. Le scénario de 1995, avec Bédié candidat face à Wodié,après avoir éliminé ses principaux adversaires, – il sera élu au premier tour avec 96,44 % des voix -, peut-il se répéter ? On sait ce qu’il advint du régime de Bédié, chassé du pouvoir par le coup d’Etat de décembre 1999, sur fond de crise sociale et politique. Si Ouattara est élu dans un contexte identique, il devra prendre de vitesse l’opposition. Un seul moyen : conduire dès le début de son mandat une politique sociale des plus hardies. Pour le ministre Sidi Toué, « le programme social du gouvernement comporte 156 actions qui visent à transformer le vécu social des Ivoiriens ». Un impact social fortement perceptible de l’action gouvernementale contribuera à redonner à Ouattara une légitimité que lui conteste l’opposition à travers l’appel au boycott de l’élection présidentielle d’octobre 2020. Seule la réponse sociale lui permettra de renouer avec la philosophie politique du Père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny.

Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank
Afrique & Partage-
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone – Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains

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1) Je consacre 4 Chroniques au bilan de la décennie Ouattara : (1) Le bilan économique, 21 septembre ; (2) Le bilan social, 28 septembre ; (3) Le bilan politique, 5 octobre (4) Le bilan à l’international, 12 octobre.
(2) Phrase prononcée par Félix Houphouët-Boigny lors du 4ème Congrès du PDCI-RDA, le 23 septembre 1965.
(3) Jeune Afrique, article d’Alain Faujas, 26 juillet 2017, issu du Dossier « Que veulent les Ivoiriens?»

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