Rencontre Tiburce Koffi-Franklin Nyamsi : un appel de l’Histoire et du destin

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Dernère publication

Commencer comme il se le doit : par la genèse. Car entre Franklin Nyamsi et moi, il y a eu une genèse des choses. Elle commence sur les réseaux sociaux, au hasard d’une navigation sur un site, en 2015. Comme à l’accoutumée, j’affronte, sur la toile, les ‘‘tiburcephobes’’ ; ce sont, en général, des ‘‘gbagbophiles’’ enragés et butés. A l’apologie de Laurent Gbagbo prétendu grand stratège politique, et à celle de « Ouattara la Solution miracle », j’oppose la technocratie avérée et la sagesse de Charles Konan Banny, mon patron. Qui est fou ? — chacun exalte la qualité de sa paroisse ! Je malmène la rébellion, disqualifie Guillaume Soro, son ex-porte parole. Soudain, une écriture fait irruption sur la toile. Nerveuse. Cinglante et chargée de mots violents. Franklin Nyamsi, que se nomme son auteur. « C’est qui ça encore ? » Bientôt je le saurai : c’est le Conseiller de Guillaume Soro. Nos échanges gagnent en offenses et agressivité d’une intensité généreuse. Fâché et vaincu par l’ardeur sans pareille de Nyamsi, je finis par abandonner le ‘‘combat’’ et par quitter la toile.

Plus tard, en septembre 2015, je le surprendrai en pleine diatribe contre M. Banny. Dégoûtant ! (C’est mon avis) Cela se comprend ! Ma conviction est alors faite : ce Nyamsi est un ennemi. Donc plus rien d’amical ne peut être possible entre nous.

Les hasards du chemin nous mettront cependant en présence, un jour d’hiver, à Paris. On se reconnaît tout de suite : je porte un béret, et lui, un chapeau. Il est habillé en costume sombre, comme moi d’ailleurs. Il porte un manteau qui fait classe. Grand, de port majestueux et impressionnant, il fait plutôt sénateur ou ambassadeur, ou représentant de l’Onu ; et moi, conspirateur en itinérances ! Il est le Conseiller du Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Ce n’est pas peu. Je suis, moi, un écrivain désavoué par l’autorité culturelle et politique de mon pays, ex-Dg déchu et tombé en disgrâce. Il a l’air sûr de lui ; moi, je suis plutôt méfiant, circonspect. Nos postures sont terriblement dissemblables…

Bref, on échange quelques mots… étonnamment amicaux, comme si nous étions de bonnes vieilles connaissances. Je lui dis (il n’a pas oublié ces propos) : « Pr Nyamsi, comment peut-on être si élégant et si agréable au physique, et être agressif et violent comme vous l’êtes, dans vos écrits ? » Il rit aux éclats ; moi de même. Il me promet de répondre plus tard, à cette question. On se sépare…

Belle rencontre, sans doute. Mais qui n’efface pas tout à fait en moi, l’image, loin d’être positive, que j’avais de Franklin Nyamsi. Et je ne m’étais pas tout à fait trompé non plus : il y a de cela quelques mois, à deux reprises, nous nous sommes ‘‘empoignés’’ de nouveau sur un site. « Trop, c’en était trop ! » Dans un de mes posts calmement colériques, j’interpelle alors le président Guillaume Soro sur le comportement verbal, agressif et répulsif de Franklin Nyamsi ; comportement susceptible de renforcer davantage en nous autres qui ne le (Soro) portions pas déjà dans nos cœur, le sentiment de rejet que nous éprouvions pour l’ex-chef de la rébellion que fut le PAN. Quelques semaines après, un sms sur mon smartphone. Signé Pr Nyamsi.

Répondre ou ne pas répondre ? Je choisis de répondre. Pas de trace écrite, mais une conversation orale. Sa voix est, à ma belle surprise, posée ; le propos donne dans le ton mesuré et cette sagesse qui habitent la langue de ceux qui ont envie de partager quelque chose de précieux avec l’autre. Et ce quelque chose que Nyamsi avait envie de partager avec moi (plutôt, me communiquer), c’est un message du Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire à mon endroit. Je n’hésite pas à apprécier la qualité de l’acte. Rendez-vous est pris avec Nyami.

Gare St-Lazare : pour remonter à la genèse et pour la transparence

Lui habite la Normandie, et moi, la Picardie. Il propose comme lieu de la rencontre, Longeau, puis finit par me donner toute latitude de choisir. J’aurais pu opter pour un hôtel intrigant, à Creil ou à Beauvais, ou un motel louche de Clermont Ferrand. Je propose Paris-St-Lazare. Une manière inconsciente (sans doute) de remonter à la genèse. St-Lazare. C’est là que les choses amicales et la communication transversale avaient commencé entre le Pr Franklin Nyamsi et moi. C’est là donc qu’aura lieu cette première et vraie rencontre.

Ce dimanche 4 juin. 11h 30. Je le vois, au sortir du métro, devant le restaurant indiqué. Tous les deux sommes à l’heure. Ponctuels. J’apprécie ce bon comportement — avec nos ‘‘frères noirs’’, ce n’est pas toujours évident !…

Nous n’avons pas vu passer le temps. Quand on regarde nos montres, on réalise que cela fait quatre heures que nous discutons. Il m’a parlé de son parcours socio politique, depuis le Cameroun natal, jusqu’à son arrivée en Côte d’Ivoire, au milieu des années 1990. C’est l’époque des grands conflits entre la Fesci et le pouvoir d’Henri Konan Bédié. Des noms de protagonistes de cette histoire sortent de sa bouche : Blé Guirao, Eugène Djué, Martial Ahipeaud, Damanan Pickas, Blé Goudé, et surtout Guillaume Soro. Nyamsi revit avec ces jeunes de son âge, l’épopée heurtée du syndicalisme estudiantin que ses compagnons et lui ont vécue, là-bas, au pays de Paul Biya. Rayé de la liste des étudiants camerounais sur tout le territoire national, il a fui le pays natal, pour se donner une chance de poursuivre les études en Côte d’Ivoire. C’est le havre de paix du défunt patriarche Houphouët-Boigny « le sage d’Afrique », lui-même éclairé par la sagesse philosophique d’Hampâté Bâ, initié parmi les initiés, et référence cognitive incontestable.

Hélas ! Pas de chance pour le jeune apprenti philosophe : à l’instar de son Cameroun, la Côte d’Ivoire est en plein dans la zone des turbulences. Les ravages de l’ivoirité, la querelle impossible à altérer entre Bédié et Ouattara, la récurrence des bavures policières, la rage de l’opposition contre le pouvoir du successeur d’Houphouët-Boigny, transforment l’oasis d’hier en un marécage à intrigues, ou une poudrière prête à exploser. Et, comme il est de coutume dans ce cas, c’est la jeunesse qui subit les infortunes des politiques et fait les frais de leurs rivalités. Nyamsi a déjà connu ça. Mais il connaît surtout, parmi ces étudiants et militants de la Fesci, Soro Guillaume, leader charismatique et bouillant ; un jeune homme pétillant d’intelligence, de générosité et d’audace. Alors, il le choisit comme camarade. Non : comme… parent ! C’est le commencement d’une amitié et d’une collaboration solide entre les deux jeunes gens. Et rien, apparemment ne semble pouvoir les désunir…

Je l’écoute. Son récit charrie un peu des effluves et turbulences de mon histoire. C’est une part de moi, éprouvant de l’admiration pour Laurent Gbagbo, Laurent Akoun, Ganin Bertin, Thomas Sankara, Che Guevara, mes héros d’hier ! C’est le récit de ma légende personnelle, en quelque sorte. Blé Guirao, Eugène Djué, Martial Ahipeaud, Soro Guillaume et autres, c’est Améa Jean, Sahiri Léandre, Jean-Paul Ndepo, Tapé Kipré, Boka Florent, Akou d’arrah,.., mes camarades d’hier, contestant le régime d’Houphouët-Boigny, rédigeant mille et un tracts incendiaires et souvent aux contenus mensongers, contre le Pdci-Rda et ses satrapes qui réveillaient nos aigreurs de fils de familles modestes ou pauvres, cultivant en nous, colères, frustrations et envie de révoltes ou de… rébellion contre ce régime que nous maudissions !…

J’ai alors compris tout le personnage (ou beaucoup du personnage) de Nyamsi : ses fureurs, ses écrits sans concession contre les adversaires et ennemis de Guillaume Soro, le souci permanent qui l’habite de défendre encres et plumes, l’image et la crédibilité de l’ami devenu leader d’envergure nationale, etc. J’ai surtout compris pourquoi Soro était si attaché à cet homme : Franklin Nyamsi lui est ce que fut Sennen Andriamiriado pour Thomas Sankara ! Ou ce que fut George Padmor pour Kwame Nkrumah. Ou, enfin, et plus proche de nous, ce que fut Ganin Bertin pour Laurent Akoun, J’ai aussi compris pourquoi on a fini par se rencontrer, lui et moi. Et j’ai, enfin, compris pourquoi Guillaume Soro et moi devions nécessairement prendre langue, un jour : c’est une rencontre inscrite dans nos deux parcours. J’accepte cette rencontre. C’est un appel de l’Histoire et du destin. Advienne que pourra ! Je l’assume.

Tiburce Koffi

Aulnay s/s bois. Jeudi 8 juin 2017.

Prochain article : Guillaume et moi, une rencontre nécessaire et inévitable.

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