La Chronique du Lundi : Faut-il se débarrasser du FCFA ou le conserver ?

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Dernère publication

Créé en 1945, le FCFA est-il un instrument de domination néocoloniale, reste inavoué d’une Françafrique qui continue, à travers cette monnaie unique, à asservir les pays africains ? Faut-il rappeler que FCFA signifie « Franc des Colonies Françaises d’Afrique » ?

Est-il, au contraire, un facteur de stabilité pour les économies de 15 pays africains? Le débat est ouvert. Pour ceux qui veulent le maintien du FCFA, cette monnaie est, pour l’instant, un atout. Pour ceux qui veulent s’en débarrasser, c’est un handicap.
Définition
La « zone Franc » est un espace monétaire, mais aussi  économique, entre la France et 15 pays d’Afrique. 14 pays sont regroupés dans deux unions monétaires, 8 au sein de l’UEMOA (1), 6 au sein de la CEMA  (2), l’Union des Comores est le 15ème pays africain membre de la zone Franc. Pour tous ceux qui ont fait du discours anti-France leur fonds de commerce, ils accusent cette monnaie d’être un reliquat de l’empire colonial français et de pénaliser l’économie de pays membres de des « zones franc ».

Problématique
Le débat mérite d’être ouvert à partir des 4 questions suivantes :

1.Une union monétaire entre les pays africains de la zone franc est-elle un avantage pour l’économie et le développement de ces pays?

2.Un système de taux de change fixe entre ces unions monétaires et la France présente-t-il un véritable intérêt économique ?

3.Les termes des accords du maintien de cette parité fixe sont-ils favorables aux pays africains ou avantagent-ils outrageusement, voire scandaleusement, la France ?

4.Les pays concernés devront-ils, un jour (quand et comment ?) abandonner le FCFA ?

———— Réponses————
QUESTION 1 – Une union monétaire entre les pays africains de la zone franc est-elle un avantage pour l’économie et le développement de ces pays ?

REPONSE ECONOMIQUE – Dans une zone géographique donnée (UEMOA et CEMA), une monnaie unique se justifie, car elle est facteur de forte intégration économique, de libre-circulation des hommes, des marchandises et des capitaux et elle permet la mise en place de mécanismes d’ajustement face aux chocs asymétriques. Or, le commerce intra-zone dans la zone Franc reste à un niveau très faible. Tous les pays étant essentiellement exportateurs de matières premières (70% pour l’UEMOA et 90% pour la CEMAC), les échanges restent très faibles, car les économies n’étant pas diversifiées, les pays n’ont rien à vendre à leurs voisins. Autre handicap : la mobilité géographique des travailleurs de la zone Franc reste faible. Autre handicap encore : les chocs asymétriques sont nombreux, car les économies sont extrêmement dépendantes des cours des matières premières (Exemple : le pétrole). Afin de compenser les chocs asymétriques, le budget de la zone de la zone monétaire doit être suffisamment important pour favoriser l’intégration financière et permettre une redistribution de l’argent en faveur des pays affectés par une crise budgétaire, comme dans la zone euro. Les budgets des deux zones francs étant très faibles, il n’est pas possible de procéder à une redistribution suffisante des richesses entre les pays membres.

REPONSE POLITIQUE
Les difficultés économiques rencontrées par les pays de la zone Franc ne sont pas provoquées par l’existence du FCFA. Entre 2000 et 2015, la croissance y est supérieure à celle du reste de l’Afrique, malgré des troubles graves (crise politico-militaire en Côte d’Ivoire, lutte contre le terrorisme au Mali, conflits ethniques au Darfour, communautaire en Centrafrique. Les faiblesses des économies de la zone Franc sont des faiblesses structurelles, sans rapport réel avec la politique monétaire, car le « climat des affaires » reste défavorable, la corruption n’est pas maîtrisée,  l’instabilité politique demeure et les politiques publiques ne favorisent pas la diversification des économies.

QUESTION 2 – Un système de taux de change fixe entre ces unions monétaires et la France présente-t-il un véritable intérêt économique ?

REPONSE ECONOMIQUE – L’intérêt d’une monnaie unique qui dépend d’une banque centrale, et non pas du pouvoir politique, est de permettre la stabilité des prix et de juguler l’inflation.  C’est le cas dans la « zone euro », c’est le cas au sein de l’UEMOA ou de la CEMA. Au sein de la zone Franc, l’inflation est restée limitée entre 2% et 3%, alors qu’elle atteint près de 10 % dans le reste de l’Afrique subsaharienne. Cela est dû en grande partie au taux de change fixe adopté avec l’euro, et à l’engagement de la France à convertir à taux fixe les FCFA en euro, cette caractéristique fait même du CFA une valeur refuge pour certains investisseurs africains dont les monnaies nationales sont plus volatiles. Cette stabilité monétaire sécurise les principaux partenaires commerciaux, or les pays membres de l’UE restent les premiers partenaires commerciaux de la zone Franc (30% des exportations).

REPONSE POLITIQUE – Des monnaies nationales plus faibles ou une dévaluation de FCFA permettrait aux économies des pays de la zone franc d’être plus compétitives sur le marché mondial. Pour les pays de la zone franc producteurs de matières premières libellées en dollar (pétrole non raffiné, cacao, café, arachides, etc.), une dévaluation du CFA permettrait ainsi d’améliorer la compétitivité. Mais, ces mêmes pays, qui n’ont pas une économie diversifiée, verraient le coût des biens importés (automobile, pétrole raffiné) augmenter considérablement, ce qui pénaliserait le consommateur obligé d’acheter des biens importés. La dévaluation du CFA n’est pas à l’ordre du jour, les ministres des finances de la zone Franc s’étant prononcés à l’unanimité pour le maintien de la parité actuelle lors du dernier sommet des ministres de la zone Franc en avril 2017. La dévaluation brusque de 1994, sans préparation en amont, a eu des effets catastrophiques. CE sera encore le cas si les politiques publiques ne favorisent pas la production de biens locaux.

QUESTION 3 – Les termes des accords du maintien de cette parité fixe sont-ils favorables aux pays africains ou avantagent-ils outrageusement, voire scandaleusement, la France ?

REPONSE ECONOMIQUE – La réponse est ici complexe, car elle suppose une explication très technique. L’Institut Choiseul-Abidjan publiera une note complète sur la question du FCFA, rédigée par un spécialiste des questions monétaire. Je reprends certains points de son analyse.

RAPPEL : en échange de la garantie accordée par la France quant à la parité du Franc CFA avec l’Euro, les pays membres  la BCEAO, la BEAC et les pays membres de la zone Franc doivent placer une partie de leurs réserves de change sur un compte d’opération du Trésor Public. Selon les termes des accords garantissant la parité entre le Franc CFA et l’Euro, la BCEAO, la BEAC et les Etats membres de la zone Franc doivent centraliser une partie (50%) de leurs réserves de change au Trésor public français. Ce placement est rémunéré et rapporte des intérêts aux pays de la zone Franc

a. Les détracteurs du Franc CFA accusent régulièrement la France d’appliquer des conditions qui ne sont pas favorable aux pays de la zone Franc.

b. Les réserves de change (or, créances en or, créances sur le FMI, devises étrangères) détenues par la France pour le compte des pays de la « zone franc » permettent de crédibiliser la valeur du CFA.

c. Ce ne sont pas la BCEAO et la BEAC qui doivent ajuster leur politique monétaire, afin d’aligner le Franc CFA sur l’euro, mais la France qui fournit cette garantie et prend à sa charge le risque de change pour le compte des pays africains.

d. Grâce à cette garantie, les pays de la zone franc n’ont pas besoin de disposer d’importantes réserves de changes pour faire face aux évolutions du marché ou aux attaques spéculatives.

e. Les intérêts que paie le Trésor français sont supérieurs aux intérêts que les pays de la zone franc obtiendraient s’ils plaçaient librement leurs réserves de change sur les marchés

f. De plus, grâce à la garantie fournie par le Trésor Public Français, le montant des réserves de change que les pays membres doivent conserver se révèle même plus faible que si les banques centrales cherchaient chacune à maintenir la fixité de leur taux de change par leur propre moyen tout en offrant une meilleure rémunération.

g. Ce financement n’est pas « intéressant » pour la France, car il lui coûte plus cher de rémunérer les réserves des pays africains que de s’endetter sur les marchés.

REPONSE POLITIQUE – On voit donc s’opposer deux prises de position, celle de ceux qui ont fait de la dénonciation de la colonisation un fonds de commerce et qui, « en sautant comme des cabris », demandent l’abandon immédiat du FCFA, et celle des ministres des finances des deux « zones francs » qui, parce qu’ils sont confrontés aux réalités économiques, se prononcent, à l’unanimité, pour le maintien du CFA et de la parité actuelle avec l’euro.

QUESTION 4 – Les pays concernés devront-ils, un jour (quand et comment ?) abandonner le FCFA ?

REPONSE ECONOMIQUE – Chacun souhaite, y compris la France, que les pays africains puissent disposer de leur propre monnaie unique. La question est de savoir quand et comment. Le retour à des monnaies nationales n’est pas, à l’évidence, la bonne solution. Au Nigeria, le naira n’a cessé de perdre de la valeur, le pays et les entreprises croulent sous les dettes, l’inflation atteint un niveau record avec plus de 18 %, la croissance en 2016 est proche de zéro. Les théoriciens de la dévaluation du CFA ou du retour à des monnaies nationales, évoquant la compétitivité des produits africains sur le plan international, sous-estiment la réalité de la faiblesse des économies africaines et de la nature des exportations des zones CFA, essentiellement des matières premières (pétrole) et des produits agricoles (café, cacao, coton, etc.), dont les cours sont très fluctuants et, aujourd’hui, à la baisse. Les effets conjugués de la baisse des recettes (taxes sur l’export) et des prix d’achat garantis entraînent automatiquement, l’exemple de la Côte d’Ivoire le montre, un déficit budgétaire accru et un cycle d’endettement dangereux pour l’avenir.

REPONSE POLITIQUE – La marche de l’Afrique vers son indépendance économique et financière est inéluctable. La disparition du FCFA est évidemment un objectif qui s’inscrit dans la construction d’une Afrique nouvelle. Cela n’est envisageable que si les économies africaines se diversifient, afin de transformer et produire des biens consommables localement. Les politiques publiques vont-elles suffisamment dans ce sens ?

Les prises de position sur la question du FCFA
POUR
Le Président du Bénin, Patrice Talon s’est prononcé, d’abord contre la dévaluation du FCFA, ensuite contre sa suppression. Le Sommet de crise des pays de la communauté monétaire et économique des Etats de l’Afrique centrale (CEMAC), qui s’est tenu à Yaoundé, le 22 décembre 2016, a montré que Patrice Talon n’était pas isolé. ‎Son point de vue est aussi celui de Paul Biya ou d’Alassane Ouattara. Pour les Chefs d’Etat de l’UEMOA, le niveau de production des économies de la zone franc n’est pas encore suffisant pour aller vers une dévaluation ou un abandon du FCFA.

Patrice Talon
« La dévaluation du Franc CFA va générer pour l’espace ouest-africain beaucoup de pauvreté et de misère dans une situation déjà assez difficile (…).  Le fait que le franc CFA soit en parité fixe avec l’Euro n’est pas un handicap. »

Lionel Zinsou
Selon Zinsou, les banques centrales africaines ont, aujourd’hui,  la totale responsabilité de la gestion des avoirs logés dans le Trésor français : « Demandez au gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale,  au gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. C’est eux qui gèrent les devises de nos pays. Le Compte des opérations de trésor est un fantasme. Il y a 50 ans, le Trésor français gérait les avoirs en devises des pays de la zone franc. Il y a eu de grandes réformes. Ce n’est plus le cas. Le Gabon comme mon pays le Bénin sont libres de gérer leurs devises.»
« Quand vous savez que votre monnaie est stable, vous avez un facteur qui facilite la croissance, les investissements et les échanges. »

CONTRE
La guerre contre le FCFA est déclarée.

  • L’activiste et chroniqueur Kemi Seba
    A son appel, les panafricanistes se mobilisent pour faire disparaitre le Franc CFA, la monnaie commune de la plupart des anciennes colonies africaines francophones. Une mobilisation a lieu le 7 Janvier 2017 dans plusieurs pays pour dire NON au FCFA, en France (Paris), en Belgique (Bruxelles), en Grande Bretagne (Londres), au Mali (Bamako), au Bénin (Ouidah), à Haïti, en République démocratique du Congo (Kinshasa), en Guinée (Conakry), au Sénégal (Dakar). Les organisateurs ont réclamé « la fin de la servitude monétaire » et des « effets pervers de cette monnaie postcoloniale».
  • L’économiste Kako Nubukpo, ancien ministre togolais de la prospective
    Tout en affirmant qu’il est impossible pour les pays de la zone franc d’abandonner pour l’instant, le FCFA, Kako Nubupko veut ouvrir le débat sur la gestion monétaire.
    « La question de la souveraineté qui sous-tend ce débat est plus que légitime. Car, il est inconcevable que 55 ans après les indépendances, les pays de la zone franc continuent d’avoir une monnaie physiquement fabriquée en France, d’avoir leurs réserves de change déposées auprès du Trésor public français. (…) On ne peut pas en même temps revendiquer notre indépendance et attendre que ce soit l’ancien colonisateur qui nous donne l’autorisation d’agir. »

Christian Gambotti
Directeur général de l’Institut Choiseul (Paris, Abidjan)
Directeur de la rédaction du magazine Afriki Presse
Directeur de la collection L’Afrique en marche
Editorialiste, politologue

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