À l’épreuve de la fatalité du désordre : la Côte d’Ivoire entre puissance et vulnérabilité

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La Côte d’Ivoire est, aujourd’hui, un important pôle régional, fer de lance de l’économie au sein de l’UEMOA. Pour devenir une véritable puissance régionale, il lui faut encore réussir dans trois domaines : la stabilité politique, l’efficacité économique en lien avec l’efficacité sociale et la réforme de son armée. Or, aujourd’hui, le pays donne l’impression de dormir sur une poudrière avec la forme violente que prennent la contestation sociale et les débats politiques. Existe-t-il une fatalité du désordre en Côte d’Ivoire ?
 1) Brève histoire de la Côte d’Ivoire
On peut distinguer, dans l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, 4 périodes : 1960-1980, 1980-2000, 2000-2010 et 2010-2017, tout en rappelant que le pays a vu sa population décupler en 50 ans et qu’il a connu, pendant 30 ans, la croissance démographique la plus élevée du monde, passant de 3 millions d’habitants à plus de 23 millions. C’est donc, pendant près de 60 ans, des défis successifs que la Côte d’Ivoire a dû relever, celui, certes, des soubresauts souvent violents de la politique contingente, mais aussi celui dont on parle moins, la croissance démographique. Conséquence du « boum » démographique : le million d’emplois créé par Ouattara n’est pas suffisant ; le taux de chômage des jeunes en milieu urbain atteint les 75 %.
    1960-1980 : le « miracle ivoirien »
Au lendemain de son indépendance, la Côte d’Ivoire, pour des raisons multiples, va connaître, pendant 20 ans, ce que l’on a appelé le « miracle ivoirien ». L’intelligence de Félix Houphouët-Boigny est d’avoir fondé la nation ivoirienne avec l’aide de l’ancien colonisateur, L’accumulation des richesses passe par le tamis de la régulation étatique, ce qui permet de financer, pendant que les capitaux affluent, une politique sociale ambitieuse. Le contexte économique favorable, doublé d’une vision prophétique de l’Histoire, permet au Père de la Nation d’unifier 60 ethnies et de créer ce sentiment patriotique d’appartenance à la nation ivoirienne et à un Etat souverain.
    1980-2000 : crise économique, sociale et instabilité politique
Le temps du « miracle ivoirien » s’achève et la crise économique va entraîner une chute de moitié du revenu par tête d’habitant. L’instabilité politique se nourrit de l’instrumentalisation du concept d’« ivoirité » pour aboutir au coup d’Etat de 1999 sur fond de clivages ethniques et de conflits fonciers.
    2000-2010 : ni guerre, ni paix, mais la guerre et la paix
Ces dix années, qui seront ponctuées par la crise politico-militaire de 2002, la partition du pays, une guerre civile et la crise postélectorale de 2010, voient la Côte d’Ivoire devenir un Etat failli qui disparaît de la scène internationale. Ce cycle se termine par le transfert à la Cour Pénale Internationale (CPI) de l’ex-Président socialiste Laurent Gbagbo. Le bilan des années 2000-2010 reste négatif. En 2010, le revenu par tête d’habitant se retrouve au niveau de celui de 1960.
    2010-2017 : de l’espoir à l’entrée dans une période de turbulences
L’élection d’Alassane Ouattara, qui ne sera effective qu’en avril 2011, après une grave crise postélectorale qui fera plus de 3000 morts, va permettre au pays de renaître et de créer les conditions d’une meilleure stabilité politique. L’appui de la communauté internationale et la diversification des partenaires permet à l’économie ivoirienne de repartir. L’effet « ADO-Solutions » joue à plein. La coalition au pouvoir, le RHDP, remporte toutes les élections. La Côte d’Ivoire redevient le fer de lance de l’économie de l’Afrique de l’Ouest. Les voyants économiques sont au vert, la croissance est forte. Une activité diplomatique intense permet au pays de revenir sur la scène internationale.
Mais, la croissance économique n’est pas suffisamment inclusive. Plus de la moitié des Ivoiriens vivent sous le seuil de pauvreté. La grogne sociale est latente. Elle éclatera en janvier 2017. Mutineries, grève des fonctionnaires, crise du cacao,  baisse du budget de l’Etat : la Côte d’Ivoire entre dans une période de turbulences sur fond de revendications financières. Les revendications de mutins, portées par les armes, seront satisfaites. Les démobilisés n’obtiennent rien. Parallèlement aux mutineries, les fonctionnaires se mettent grève et réclament des augmentations et des arriérés de primes.  La crise du cacao entraîne une chute des recettes internes. Le budget  de l’Etat connaît une forte baisse. Le 20 avril, Alassane Ouattara annonce une cure d’austérité.

     2) De la crise économique et sociale à la crise politique
Alassane Ouattara a-t-il épuisé le capital de sympathie qu’il avait auprès de la population ? Est-il en train de perdre la confiance de ses anciens alliés, Bédié et Soro, qui ne regardent pas 2020 avec le même prisme politique que celui du Chef de l’Etat ? Bédié demande que l’alternance en 2020 se fasse en faveur d’un candidat issu du PDCI, un « vrai » PDCI, disent les noyaux durs et non un PDCI « ouattarisé » (déclaration de KKB). Soro estime être le successeur légitime de Ouattara. Ouattara, qui ne voit pas d’un très bon œil l’activisme des uns et des autres, a commencé à réagir en limogeant des « bédiéistes » et des « soroïstes ». Une « guerre des tranchées » est enclenchée sur fond de crise politique, mais, pour Bédié, malgré les tensions actuelles, rien n’est grave.
Les Ivoiriens se prennent à rêver d’un affrontement loyal au premier tour de la présidentielle de 2020 entre un candidat RDR, un candidat PDCI, un candidat FPI, un Soro « en marche », afin de pouvoir choisir. Mais, quelles sont les figures charismatiques capables, dans chaque parti, d’endosser les habits de l’homme d’Etat présidentiable ?
Ouattara et Bédié, qui ont montré qu’ils avaient le sens de l’intérêt général, ne laisseront pas la crise politique s’envenimer. 2020 est encore loin. La Côte d’Ivoire a encore 3 ans pour sortir de la vulnérabilité et consolider sa puissance retrouvée, car il n’existe pas de fatalité du désordre.
Mais, en politique, ceux qui attendent perdent du temps. Ceux qui se dévoilent trop vite risquent d’être battus.

Christian Gambotti
                        Directeur général de l’Institut Choiseul                                                                             Directeur de la Collection L’Afrique en marche.

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