D’Houphouët à Ouattara, petit tour des expressions similaires à « jeune homme » : « les vielles personnes quittez ! »

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En Afrique, ou même ailleurs en Europe, il arrive de qualifier les personnes en fonction de l’âge : on retrouve les expressions « fils » « frère » « jeune frère », « aîné », « doyen ». Ces termes sont courants en Côte d’Ivoire, comme dans d’autres pays du continent . Aucun n’entre dans le registre du mépris, de la condescendance, ou de l’impolitesse.

Chaque terme installe une forme de rapport respectueux, mais amical, fraternel et affectif, fondé sur le critère de l’âge. Il ne faut pas du tout y voir, une forme d’anthropophagie politique, avec des aînés dévorant les plus jeunes, comme le dieu Cronos dévorait ses enfants par peur d’être détrôné par ses propres fils, comme il avait détrôné son père.

Tous ces termes relèvent du respect, de l’affection ou da familiarité de connivence, à la différence du vouvoiement, qui est souvent synonyme de distance, de respect. À l’inverse, le tutoiement exprime une certaine forme de proximité, de fraternité, et non forcément de la condescendance. Dans le même registre l’usage d’expressions qui empruntent au langage familier, et non au langage officiel et protocolaire, n’est pas du tout synonyme de manque de respect ou de savoir-vivre.

Bien comprendre les codes du langage

Existe-t-il une différence de fond entre « jeune frère » et « jeune homme », deux expressions que le Président Alassane Ouattara a déjà pu employer à propos de Guillaume Soro ? Le Général Guéi ne qualifiait-ils pas les mutins de 1999 de « jeunes gens » ? Etait-ce du mépris ? Quand tout va bien entre les Présidents Bédié et Ouattara, on entend mon « jeune frère », on entend mon « aîné ». En revanche, quand les désaccords font jour, on entend « Monsieur le Président ». On quitte le registre de la proximité, de la complicité fraternelle pour celui de la distance froide et protocolaire.

Pourquoi le registre familier et fraternel pose-t-il problème quand justement le Président de la République et le Président de l’Assemblée nationale disent que tout va bien entre eux, l’un s’exprimant à l’aéroport d’Abidjan à son retour après plus de deux mois d’absence, l’autre à Niamey, alors qu’il est rare qu’un Président de la République s’exprime à l’étranger sur la situation individuelle de l’un des concitoyens ? En évoquant Guillaume Soro depuis Niamey, alors qu’il ne l’avait pas fait à New York, Alassane Ouattara a simplement voulu ramener à de plus justes proportions la guerre des nerfs , et apporter son soutien à la volonté d’apaisement exprimée « en toute humilité », 48 heures plus tôt, par Guillaume Soro lui-même .

L’expression « jeune homme » fait le buzz à tort

Pour Guillaume Soro lui-même, « On a beau être fâché ou mécontent, on finit toujours par s’asseoir pour discuter et dialoguer ». Le Président Ouattara aurait-il dû, dans l’esprit de certains qualifier Guillaume Soro de « jeune homme courageux », ou de « jeune homme de conviction », dire « le meilleur d’entre les jeunes gens autour de moi », dire encore « Monsieur Soro est un jeune homme qui a le sens du respect des aînés, un grand charisme, et un leadership indiscutable », pour qu’ils ne trouvent rien à redire sur l’usage de l’expression ? Oui sans doute ! Certains y auraient même trouvé la confirmation de leur thèse : Soro, leader générationnel.

Par le passé, le Chef de l’État a déjà eu à souligner les qualités de Guillaume Soro. Il ne l’a pas fait ce jour-là, car il a simplement voulu rappeler que Guillaume Soro est un « jeune homme » de 45 ans, alors que lui, Chef d’État , il en a 75 ans. Plus d’une fois d’ailleurs, il a présenté Guillaume Soro comme son « fils », son « filleul ». Guillaume Soro ne disait-il pas « mes doyens Bédié et Ouattara », en décembre 2016 ? Sans doute, les tensions qui existent aujourd’hui, suite à la découverte de la cache d’armes, conduisent à interpréter de façon négative le groupe de mots « jeune homme », à y voir du mépris. Ce n’est pas faute, mais une simple erreur qui doit éviter de conduire à la faute !

Ouattara considéré comme jeune par Houphouët-Boigny alors qu’il avait 48 ans

Qu’est que Houphouët-Boigny avait dit en 1990 ? À l’époque, Alassane Ouattara avait 48 ans, Guillaume Soro aujourd’hui en a 45. Le Père de la nation avait à l’époque 42 ans de plus que Ouattara, contre 30 entre le Président de la République et Soro. Papa Houphouët-Boigny avait dit : « J’ai fait venir auprès de moi, un -jeune- compatriote. Mais parce que beaucoup d’entre vous ne le connaissent pas, on parle d’étranger. C’est Alassane Ouattara. C’est un originaire de la grande métropole de Kong. ». Alassane Ouattara a donc été traité à 48 ans de « Jeune compatriote » ! Houphouët-Boigny l’a dit et fait ! Il a ensuite insisté un jour pour dire que le « jeune » Ouattara est un jeune qui apprend vite et bien. Guillaume Soro est aussi un « jeune homme » qui apprend vite et bien.

Sans aucune chaleur, ni affection particulière dans le ton, d’une manière froide et très protocolaire, le Président de la République aurait bien pu parler ainsi de Guillaume Soro : « Son Excellence, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale de mon pays, est une personnalité (sans préciser « jeune personnalité ») avec qui je m’entends très bien. Et il ne saurait y avoir de dissension entre Son Excellence Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, et moi qui suis quand même Président de la République ». Mais sans doute aurait-on encore immédiatement parlé d’arrogance et de mépris ironique. Et s’il avait ajouté qu’il est le seul à avoir été élu au suffrage universel direct, et qu’il est le détenteur de tous les pouvoirs exécutifs, on aurait dit qu’il voulait installer Guillaume Soro au rang subalterne de politicien. Or il n’a pas dit tout cela !

Une manière de surjouer le psychodrame de la politique politicienne

En réagissant violemment à l’emploi de l’expression « jeune homme » pour désigner Guillaume Soro, certains cherchent à surjouer le psychodrame d’un affrontement politicien entre Ouattara et Soro, qui n’existe que dans leur esprit. Le Président Alassane Ouattara appartient déjà à l’Histoire après deux mandats et le redressement spectaculaire du pays. Il est en fin de carrière politique. Malgré une résilience sur la scène politique depuis 2002, qui contraste avec la thèse de virginité et de nouveauté, Guillaume Soro a tout le chemin de l’avenir devant lui. Alassane Ouattara aura dirigé une grande nation qu’il a ramenée sur le devant de la scène. Avec le Président Bédié, il a réuni les conditions d’une stabilité politique nécessaire au développement. En allumant sans cesse des incendies, certains font montre une grande fébrilité, ainsi que d’une peur du débat démocratique.

Des femmes et des hommes politiques, les ivoiriens et les ivoiriennes attendent plutôt qu’ils sortent des petites guerres de personnes pour enfin parler de leurs programmes ! Ce n’est plus une question de « jeune homme » et d’« aîné », mais de responsabilité face à l’Histoire et face au peuple ivoirien. Passons donc à des choses plus sérieuses ! Et souvenons-nous de la colère des fans de Didier Drogba, lorsqu’ils ont eu le sentiment que l’expression les « vielles personnes quittez », dite au stade FHB , s’adressait à leur fan, considéré comme vieux et dépassé par rapport à Yaya Touré, encore plus jeune et frais.

Wakili Alafé

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