Logements sociaux et Filose 2018 en Côte d’Ivoire : Sangaré Siriki fait des révélations

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Siriki Sangaré | Président de la Chambre nationale des promoteurs et constructeurs agréés de Côte d’Ivoire (CNPC-CI)

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Entretien avec le Président de la Chambre nationale des promoteurs et constructeurs agréés de Côte d’Ivoire (CNPC-CI), Siriki Sangaré, également Président du Comité scientifique et du Comité d’organisation du Forum international du logement social économique et standing (Filoses), dont la 2ème édition a lieu les 25, 26 et 27 juin 2018 à la Caistab, Abidjan-Plateau.

Monsieur le Président du comité d’organisation pouvez-vous nous dresser le bilan de la précédente édition du Filoses ?

Il y a exactement 2 ans que nous avons fait la première édition du Forum, qui est une plateforme d’échanges entre les différents acteurs dans le bâtiment, dans la construction, tout ce qui rentre en tout cas dans le Btp (Bâtiment et travaux publics), et toute la chaîne de production, même les financements. D’ailleurs, nous avons baptisé cela la loi des ‘’3F’’ pour parler un peu du Foncier, du financement et de la fiscalité.  Nous avons eu affaire à des experts qui sont venus d’un peu partout, des États-Unis, de la France, de la Tunisie… Et nous avons rappelé à travers ce Forum au gouvernement, le déficit criard que tout le monde constate. Mais il fallait aussi rappeler au gouvernement, qu’il appartenait et au gouvernement et au secteur privé, de prendre des mesures pour pouvoir palier vraiment à ce déficit-là. Donc notre rôle en tant qu’acteur dans le secteur et acteur privé, c’est d’apporter notre contribution tout en vendant le produit à l’extérieur. Parce que nous avons un constat simple : c’est qu’il y a la demande. Il y a 17 000 ménages qui se créent chaque année. Selon un rapport de la Banque mondiale, ces 17 000 ménages ont besoin d’être logés. Il y a des déguerpissements, il y a des gens qui sont logés dans le secteur anarchique. Il y a vraiment de façon conjoncturelle 600 000 logements certes de déficit mais de façon structurelle, 50 000 à 60 000. Donc nous pensons que pour la demande, il y a aucun problème. Et notre rôle, c’est d’appeler évidement des investisseurs étrangers qui chez eux, ont l’offre mais non plus de demande. Je prends par exemple le cas de la Tunisie, même du Maroc. Aux États-Unis, en Europe, il y a une saturation. Donc il faut que ces acteurs-là puissent aller vers de nouveaux horizons ; et nous, nous voulons les consuire vers la Côte d’Ivoire. Mais il y a d’autres pays aussi qui se battent pour ça. Pour nous aider, il faut que le gouvernement mette en place un cadre institutionnel attrayant. C’est dans cette optique que nous avons organisé le Forum. Il y a tous les ministères qui sont liés à notre activité qui se sont expliqués.  Nous  avons donc le ministère des Finances qui s’est expliqué à travers la conservation foncière, il y a le ministère du Budget qui s’est expliqué à travers le cadastre. En tout cas, pour expliquer aux uns et aux autres que dans le domaine du foncier, il y a la sécurité. Maintenant les banquiers se sont aussi expliqués pour essayer de trouver un compromis concernant les taux des crédits. Évidemment , l’État devait accompagner ce processus en mettant en place le CDMH (Ndlr : Compte de mobilisation de l’habitat) qui est un levier qui existait depuis mais surtout , l’alimenter pour que les banques puissent se refinancer à travers ce compte-là qui permet de faire des prêts à 5.5%. Le ministère du Budget aussi nous a éclairés sur les mécanismes d’exonérations fiscales. Donc en gros, cette plateforme a permis quand même de réunir un bon monde, et le résultat était vraiment satisfaisant. Nous avons eu pendant 3 jours, entre 15 000 et 20 000 visiteurs.

Pour la deuxième édition cette année, à quoi doit-on s’attendre? Quelles seront les innovations et les problématiques débattues….?

Au cours de la 2e édition, nous allons faire un constat des questions que nous avons soulevées, et des problèmes que nous avons soumis aux différents ministères pour faire le constat, s’il y a évolution ou pas. À travers ce constat-là, nous allons toujours œuvrer de sorte que le déficit soit diminué, et que même dans les prochaines années , on puisse permettre à chaque Ivoirien d’avoir un toit. Parce qu’on a toujours dit : ‘’mieux vaut un petit chez soi qu’un grand chez les autres’’. Donc l’innovation principale cette année, c’est permettre aux industriels dans le domaine du bâtiment, de venir industrialiser la chaîne de production. Parce que si vous remarquez avec moi, les coûts des matériaux sont très chers, et cela impacte négativement sur le coût des maisons. Alors, nous nous sommes dit qu’il était mieux, que ces acteurs-là viennent produire localement. Nous avons pris contact avec plusieurs acteurs dans le domaine de l’industrie de matériaux de construction…notamment en Egypte, en Tunisie, en Espagne…Donc ces acteurs-là seront là. Aujourd’hui, il faut renter dans le système technique qui permet d’éviter la construction classique où en faisant les briques à la main qui ne permette pas aussi d’avoir un rendement meilleur dans le domaine de la construction. Il y a des systèmes de construction très rapide avec des panneaux. Et ces panneaux-là sont très cotés et permettent même d’avoir des rendements très satisfaisants en matière d’énergie. C’est-à-dire que ce sont des maisons iso-thermiques et antisismiques. Elles durent plus de 100 ans et ont une durabilité vraiment efficace. Vous voyez un peu en Europe, c’est ce qui se passe. Aujourd’hui il y’a un constat amer ; nous voyons des jeunes fuir la Côte d’Ivoire ou l’Afrique subsaharienne pour aller chercher un rêve hypothétique en Europe ; face à cette situation, nous nous sommes dit qu’il fallait quand même que nous, en matière de bâtiment, mettions une stratégie en place de sorte que ces jeunes puissent travailler ici. Il fallait créer ce qu’on appelle le transfert de technologie pour leur permettre de travailler localement. Ce sont de ces volets-là qu’on va débattre à ce Forum : la formation professionnelle et puis l’emploi-jeunes.

Pourquoi avez-vous choisi la Turquie, l’Egypte, l’Espagne et le Burkina Faso comme pays invités ? Qu’est-ce qu’ils (ces pays) vous inspirent ?

Nous avons fait des tournés par-ci et par-là. Nous avons regardé l’expérience vécue par ces pays-là. Par exemple si nous prenons les pays en Europe, nous avons l’historique de ces pays. On a vu que ce sont des pays qui, à un moment donné, avaient des problèmes de logements. Et à force de persévérance, ils ont surmonté la barre aujourd’hui. Ils ont l’offre mais, ils n’ont pas de demande en face. Ils connaissent donc nos problèmes. La Tunisie et le Maroc ont mis en place des systèmes que nous pouvons imiter,  sans faire forcement de copier-coller, et adapter cela à notre environnement. Ces deux pays, au-delà des prêts classiques, ont mis en place des fonds de garantie pour permettre au secteur informel de travailler et d’avoir des prêts auprès des banques. Ce sont-là, des mesures d’accompagnement. Ce sont donc des expériences comme ça que nous voulons ici. En Europe, c’est pareil. Ils ont leur manière à eux, de faire des crédits hypothécaires. Et nous nous sommes dit, qu’il faut regarder l’expérience de tout le monde pour que nous puissions ensemble bâtir au tour de ce programme de logements sociaux, une vraie efficacité. Nous nous sommes également dit qu’il fallait privilégier le dialogue et la coopération Sud-Sud. C’est pour cela, qu’avec nos frères du Burkina-Faso, il était très intéressant que nous puissions mettre ensemble nos synergies pour  pouvoir s’entraider. Parce que ce sont les mêmes peuples, et nous avons les mêmes problèmes. Nous avons des taux de bancarisation très faibles de part et d’autre. Nous avons les mêmes cultures en matière foncière. Je pense que l’expérience que nous avons ici, peut profiter au Burkina Faso. Et le Burkina-Faso aussi peut nous permettre de profiter de son expérience. Donc c’est un peu dans ce sens-là que nous avons demandé aussi que le Burkina-Faso soit partie prenante.

Depuis plusieurs années vous dites que les problèmes des logements en Côte d’Ivoire sont minés par le foncier, le financement, la fiscalité…Les 3 F… Mais on a l’impression que vous prêchez dans le désert, puisque rien ne bouge concernant ces 3 points…

‘’On a l’impression’’, c’est très bien dit. Parce que j’ai toujours dit que dans le domaine du bâtiment, la sortie des immeubles ou des logements, etc, c’est l’aboutissement d’un processus. Alors, c’est vrai que nous nous avons commencé évidemment en annonçant à tort ou à raison  de faire 60 000 ou 150 000 logements rapidement, sans toutefois faire l’audit du secteur. Malheureusement ça dû prendre un peu de temps. Parce que comme je l’ai dit, il fallait d’abord assainir la filière. Il fallait prendre le temps de bien sécuriser le foncier, parce que c’est la base. Donc le ministère qui est en charge de ce dossier, qui est le ministère de la Construction, du logement, de l’assainissement et de l’urbanisme, a mis en place un certain nombre de réformes. Ce sont ces reformes-là qui ont permis de pouvoir assainir…Et ça commence à aller du point de vue foncier. Maintenant, cela a pris un certain nombre de temps. Il fallait aussi, que l’État non seulement,  trouve des sites qui sont appropriés au programme,  mais également qu’il fasse ce qu’on appelle des Vrd primaires. Ce sont des travaux et aménagements  d’eau ,  d’électricité ; les infrastructures de base. Et évidemment, cela implique non seulement le ministère de la Construction mais d’autres ministères : le ministère de l’Énergie  par exemple, le ministère des Transports. Il faut pouvoir créer des cadres de vie adéquats. Donc l’État a beaucoup investi dans le secteur de Vrd primaires. Ça pris un peu plus de temps, mais cela trace en fait les sillons des prochains logements qui seront livrés. Nous avons quand même livrés un certain nombre de logements, même si c’est très minime par rapport aux objectifs. L’État a dû faire cet état des lieux là. Nous avons même amené le ministère de la Construction à créer un cadre de concertation. Chaque mercredi, nous nous réunissons avec le Directeur de cabinet adjoint de ce ministère, sur instruction de Monsieur le ministre Claude Issac Dé. Le Dircab adjoint recense tous les problèmes que nous avons. En tant que Président de la Chambre nationale des promoteurs et constructeurs agréés de Côte d’Ivoire, nous lui soumettons les problèmes des promoteurs. Et à chaque fois, nous passons en revue ces problèmes-là. Cela est une innovation,  et veut dire que nous sommes écoutés. En matière de financement, nous avons aussi posé des problèmes pour l’accélération de l’attribution des Acd. D’ailleurs, vous allez vous rappelez qu’il n’y a pas très longtemps, il y a une circulaire qui a été signée au ministère des Finances et de l’Economie pour pouvoir mettre en place le fonctionnement réel du CDMH (Ndlr : Compte de mobilisation de l’habitat). Je l’ai dit tant tôt, ce CDMH permet aux banques de se financer à 2% ou 3% et faire un financement auprès des acquéreurs à 5, 5%. C’était aussi une des clés de nos discussions. Parce que si les logements sont là, et que les acquéreurs n’ont pas la possibilité de financement avec les banques pour acheter, ça pose problème. Si nous aussi, nous n’avons pas des garanties hypothécaires pour pouvoir avoir des financements, il y a un problème.
Donc en fait, nous n’avons pas prêché pas dans le désert. Nous nous sommes battus. Vous savez les réformes souvent, nous ne les voyons pas tout de suite et c’est le résultat qui compte. Et aujourd’hui cela est en train de prendre forme. Nous allons continuer à nous battre, et l’État certes fait ce qu’il devait faire. Mais nous allons demander davantage.

Dites-nous, à 2 ans de la fin du 2ème mandat du Président Ouattara, quel est le réel bilan en ce qui concerne les logements sociaux, l’un de ses projets phares ? Peut-on parler d’échec à l’heure actuelle?

Je ne crois pas qu’on puisse parler d’échec. Comme je le dis, c’est vrai que nous sommes à 2 ans de la fin du deuxième mandat du Président de la République, qui en avait fait (Ndlr : projet des logements sociaux) son cheval de bataille depuis le premier mandat. Il a annoncé évidemment sa volonté de pouvoir loger le maximum d’Ivoirien. Cela a été une volonté politique qui devait se produire en acte de terrain. Il a lancé d’ailleurs le Programme présidentiel de logements sociaux. Il y a eu des accompagnements qui ont été faits par le gouvernement. Mais je peux vous dire qu’il y a eu beaucoup de difficultés. Elles nous ont permis en fait, de nous battre pour pouvoir trouver des solutions. Et ces solutions-là viennent mais, en annonçant 600 000 logements de déficit conjoncturel avec un déficit structurel de 60 000, et qu’on se retrouve à faire 10 000 logements, c’est vrai que c’est très peu…Mais les logements comme je l’ai dit, sortiront à partir de l’année prochaine. Parce qu’il a fallu quand même prendre le temps de bien ficeler les réformes. Parce qu’il ne s’agit pas de construire les logements pour les construire, il faut tenir compte du cahier des charges. Donc le ministère a actualisé le cahier des charges pour permettre aussi aux acquéreurs d’avoir de bonnes conditions de financements. Et les promoteurs doivent faire des logements de qualité. Donc le ministère, avec le BNETD et les structures de contrôle, sont sur les chantiers pour le faire. Aujourd’hui, vous avez constatez avec moi depuis le début, que le ministère a commencé aussi à livrer des maisons. Nous avons livré, en décembre 2017, en présence du Premier ministre et du ministère de la Construction, 4 000 maisons. Bien avant nous livré un certain nombre de maisons. Je pense qu’aujourd’hui, il y a entre 10 000 et 15 000 logements  qui ont été livrés. Mais c’est très peu ! Je pense que le mandat du Président Ouattara n’est pas encore fini… Et en matière de logements, si les bases sont bien ficelées, je pense qu’on peut arriver à faire le maximum.

Qu’en est-il des souscripteurs de l’entreprise que vous dirigez ?

Au-delà de mon entreprise, je suis aussi le Président de la Chambre nationale des promoteurs et constructeurs agréés de Côte d’Ivoire. Je parle également au nom des promoteurs. Les souscripteurs, lorsqu’on a lancé le Programme, se sont inscrits massivement. Il y a eu en l’espace d’une semaine, près de 60 000 qui ont été pré-souscrits. Vous voyez l’engouement quand on parle de logements. Malheureusement, il y a eu des mécanismes de financement qui n’étaient pas adaptés à l’attente de la masse. Cette masse-là s’attendait à de la location-vente. Elle sous-entend que l’acquéreur de la maison paie ses loyers et à la fin, en fonction de la valeur résiduelle, solde la maison et il en devient le propriétaire. Et ça peut être sur 15, 20 ou 25 ans, car cela dépend de la quotité cessible. Malheureusement, le mode de règlement qui est passé en mode de financement direct, n’a pas pu satisfaire tout le monde. Iy a beaucoup qui n’avaient pas la quotité cessible nécessaire pour pouvoir s’octroyer des crédits, compte tenu du fait que les taux dans les banques aussi ne suivaient pas le programme. Mais il y avait aussi ceux qui n’avaient pas du tout de comptes en banque. Ça veut dire qu’il y a certains qui travaillaient dans le secteur informel. Parce que de mémoire, vous devez savoir que le taux de bancarisation en Afrique subsaharienne ne reflète pas les 20%. En Côte d’Ivoire, cela tourne autour de 15%  à 20%. Il y a beaucoup qui n’ont pas de comptes en banque. Donc les souscripteurs ont cotisé sur un compte séquestre qui est géré par le ministère et le promoteur. Cela veut dire que la main levée est faite par l’autorité de tutelle qui est le ministère, à chaque livraison de maison ou à chaque désistement. C’est normal que vous constatiez qu’il y a beaucoup de personnes qui ont dû désister parce que les maisons tardaient à venir. Nous, à notre niveau, nous avons essayé de rassurer le maximum de personnes. Nous avons lancé le programme de Bingerville, là je parle en tant que PDG de Opes Holding. Il y a des livraisons qui ont été faites. Et il y a des souscripteurs, évidemment, qui attendent des prochaines programmations de nouveaux chantiers que nous sommes en train de lancer. Donc en gros, on ne peut pas dire que les souscripteurs étaient globalement contents, mais je peux vous dire que généralement, ceux à qui on explique comprennent qu’il est nécessaire d’attendre de pouvoir avoir des logements. Parce que l’objectif pour nous, c’est de permettre à chaque souscripteur d’avoir un logement. Le maximum de souscripteurs, en tout cas chez nous, est satisfait. On se bat pour que ce soit l’ensemble pour tous les promoteurs. Le ministre Claude Issac Dé, lors de la remise des clés en décembre 2017, a demandé aux souscripteurs de ne pas se retirer du programme. Parce qu’il était en train de mettre en place un mécanisme qui leur permettra d’avoir chacun  un logement. Donc j’abonde dans le même sens pour dire que ceux qui n’ont pas eu de logement dans la première phase auront leur logement dans la deuxième phase. C’est un processus, le Président de la République tient vraiment à ce que ce processus aboutisse. Il y a aujourd’hui 150 000 logements à construire, je demande aux souscripteurs d’être patients. Parce qu’on dit toujours : ‘’un petit moment de patience vaut mieux que 1 000 moments de regrets’’. Parce que ceux qui ont souscrit, c’est à des conditions évidemment déterminées. En se retirant et en revenant, les conditions pourront changer avec le temps. Donc autant patienter,  et suivre le programme.

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