Bédié a-t-il décidé de gouverner la Côte d’Ivoire sans les dioula?Quand Ben Soumahoro interpellait son ami

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photo montage :Ben Soumahoro ,Seydou Diarra et Bédié

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Ci-dessous une lettre de Ben Soumahoro à Henri Konan Bédié lui expliquant pourquoi il fallait nommer Seydou Diarra, Premier ministre, quelques mois avant le coup d’état de décembre 1999. Bédié ne l’a pas fait, mais Robert Gueï le nommera, et par la suite, appel lui sera fait à nouveau après Marcoussis.

Dans cette lettre dévoilée dans l’ouvrage Mon histoire avec Laurent Gbagbo (Mai 2013,Harmattan Paris, de Alafé Wakili ) , le défunt député dénonçait aussi le sentiment de marginalisation du Nord, que le Rdr instrumentalisait, et il proposait à l’ex chef de l’État d’y remédier.

20 après ans, les différentes alternances violentes post Houphouët que la Côte d’Ivoire a connues ( de Bédié à Gueï, de Gueï a Gbagbo, de Gbagbo à Ouattara) , n’ont pas mis totalement mis le pays à l’abri des vieux démons !

Alassane Ouattara réussira-t-il le pari de vaincre définitivement le signe indien en 2020, ou bien va-t-il simplement de reporter l’échéance de nouvelles violences attendues ?

« Monsieur le Président,

Avant votre voyage en Algérie, en France et au Maroc, je me suis permis de faire quelques réflexions sur l’usure du temps qui avait atteint l’image et les réalités de votre Premier ministre, Monsieur D. Kablan Duncan.

L’opinion que je vous avais alors donnée sans acrimonie aucune pour le Premier ministre est, je dois le dire, assez largement partagée par votre entourage immédiat, par les membres du gouvernement eux-mêmes et par l’opinion publique ivoirienne.

En plus de l’avis que j’ai essayé de défendre, il y a le fait que l’opinion nationale accepte difficilement l’idée d’un Premier ministre qui s’incruste (7 ans déjà), et qui donne l’impression de détenir un mandat électif en dehors de l’autorité du Président de la République.

Même s’il donne l’impression de ne pas faire de la politique, l’autonomie réelle que lui confère cette durée au pouvoir agace la majorité de nos compatriotes.

Et puis, comment expliquer aux Ivoiriens et à l’opinion internationale que vous avez l’intention de renforcer la lutte contre la corruption et renforcer celle de la moralisation de la société, c’est-à-dire changer de politique sur ces sujets essentiels sans mettre en cause l’existence de celui qui a incarné la période antérieure incriminée par votre propre discours.

On a vu le ministre de l’Economie, et parfois celui des Affaires étrangères monter en première ligne pour défendre la République pendant les périodes de tensions intérieures intenses mais à aucun moment, votre Premier ministre n’a marqué l’opinion par ses réactions personnelles. C’est pourtant logiquement sa responsabilité qui s’est chaque fois trouvée engagée.

De surcroît, le mythe de sa capacité à gérer nos relations avec les institutions de Brettons-Woods a vécu. Du reste, vous n’ignorez pas qu’Alassane Ouattara présente Duncan comme son homme et son bras armé au gouvernement qui ne saurait se passer de ses services à cause de cela.

La Côte d’Ivoire ne saurait survivre à Duncan parce qu’il serait encore aujourd’hui, le seul homme à être admis dans les cercles les plus fermés de Washington grâce à l’appui supposé d’Alassane.

Or voici que chaque jour s’affirme à la face du monde et du pays, le talent et la capacité d’un ministre des Finances qui a ma sympathie certes, mais qui montre non seulement la justesse de votre choix, mais sa capacité à faire mentir l’affirmation selon laquelle Duncan serait le seul homme à même de discuter avec le F.M.I et la Banque Mondiale.

D’ailleurs, aucun Premier ministre au monde ne s’attribue les fonctions qui reviennent tout naturellement au ministre de l’Economie et des Finances.

Monsieur le Président, si la formation du nouveau gouvernement que vous avez annoncé a pour but de marquer une rupture avec les pratiques que réprouvent vos compatriotes, le changement devrait commencer par le remplacement de votre Premier ministre.

Or les rues d’Abidjan bruissent de rumeurs de plus en plus crédibles sur l’éventualité de la reconduction de Monsieur Daniel Kablan Duncan à la tête de votre nouvelle formation gouvernementale.

Je puis vous assurer que si cela devait s’avérer exact, vous causeriez une très grande déception à votre peuple qui vous soupçonne au demeurant, de ne maintenir Daniel Kablan qu’au motif que sa femme est Baoulé de Bouaké, rapprochant ainsi les raisons de sa protection de votre Premier ministre des vieux démons du tribalisme.

Monsieur le Président, pardonnez d’avance ma témérité mais les Ivoiriens, vos compatriotes attendent tout sauf la reconduction de Monsieur Duncan à la tête du gouvernement qui s’annonce pour les jours prochains.

La vieille idée selon laquelle ‘’Rien pour un chef ne doit se faire sous la pression’’ ne pourrait justifier ce qui aux yeux de la majorité des Ivoiriens, peut apparaître comme une Erreur politique.

Ensuite Monsieur le Président de la République, vous avez un problème avec le Nord. Il est possible que vous ayez hérité des effets des actes posés par votre prédécesseur en 1963 mais il est incontestable que vous avez un problème avec les ressortissants du Nord du pays.

En dehors des conflits intérieurs au Pdci et qui ont fait naître le Rdr, la rumeur insidieusement entretenue depuis des années vous a attribué une volonté de ‘’dédramanisation’’ de l’administration dès votre arrivée au pouvoir en 1993.

Le sentiment largement partagé par les dioulas est que vous avez brimé leurs cadres et que vous les avez spoliés au profit de ceux d’autres régions mais surtout au profit de vos parents Baoulé.

Peu importe que ce sentiment confus soit justifié ou non.

Le problème est là, lancinant, résistant et de plus en plus insupportable. Pourtant je puis vous dire qu’une très grande partie de cette communauté a pour vous une réelle affection.

Elle aime votre calme, votre pondération, l’intelligence avec laquelle vous avez résolu maints problèmes depuis votre accession à la Magistrature Suprême.

Ils aiment surtout l’élégance de votre force. Mais tous ces gens sont bloqués par des apparences qui ne vous servent pas.

La question qu’ils se posent tous est simple et se résume ainsi : ‘’Bédié a-t-il décidé de gouverner la Côte d’Ivoire sans les dioula’’ ?

Cette idée fixe crée des frayeurs de marginalisation chez les gens du Nord.

Deux attitudes sont générées par cette situation : ou la révolte qui les précipite au RDR ou la résignation qui fait le lit à une violence sur laquelle comptent les dirigeants du RDR pour vous renverser.

Les raisons de ces vilains sentiments sont là, sous vos yeux, évidents, énormes, gênants et difficiles à défendre. Plus la fonction est élevée dit-on, plus devient héroïque – pour ne pas dire surhumain – d’écouter ce que l’on peut se dispenser d’entendre.

Monsieur le Président de la République, regardez bien la composition des grandes institutions du pays :

-La présidence de la République est occupée par un homme du Centre

-l’Assemblée nationale par un homme de l’Est

-La Cour suprême par un homme de l’Ouest

-Le Conseil constitutionnel par un homme du Centre

-La Primature par un homme du Sud

-Au Conseil Economique et social est annoncé un homme du Centre-Ouest

-La grande chancellerie est occupée par un homme du Centre

Parmi les sept postes les plus élevés de l’Etat, de la nation, il n’y a pas un seul homme du Nord. C’est bien la première fois que cela se produit dans ce pays.

Du même coup, les apparences se retournent contre vous, même si cette situation doit tout au hasard.

L’attachement que vous avez pour la géopolitique achève de convaincre même les plus sceptiques que vous avez un problème avec le Nord.

Ce sont ces arguments qu’utilisent vos adversaires pour donner de vous à l’étranger, l’image d’un Chef d’Etat sectaire, ce que vous n’avez jamais été pour ceux qui vous connaissent.

Les plus meurtris par cette situation sont ceux de votre propre parti qui appartiennent à la partie septentrionale du pays.

Cette géopolitique sélective les gêne terriblement, les fragilise dans leur volonté de vous aider à normaliser la situation dans leurs terroirs et les rend presque ridicules devant leurs frères qui ont fait le choix de l’opposition.

C’est également sur cette contraction que le Rdr assoie chaque jour davantage sa logique de guerre et sa volonté de déstabiliser votre régime.

Tous ceux qui aiment ce pays et qui croient en votre action doivent vous le dire. C’est ce que je fais.

Pour casser cette dynamique de l’insurrection et de la guerre civile prônée par ADO, il me semble impérieux de vous suggérer la nomination d’un homme du Nord au poste de Premier ministre.

Cette décision qui va rallier à votre personne la majorité des gens du Nord aura aussi la qualité de mettre fin à la mascarade et à l’illusion ADO.

Alassane était tout simplement à leurs yeux, le fils du Nord qui avait occupé les fonctions les plus élevées dans la hiérarchie gouvernementale. Les incompréhensions et les préjugés ont fait le reste.

Pour résoudre le problème en ramenant le Nord et le RDR il suffit de faire pièce à ADO en proposant un autre homme du Nord au même poste.

Non pas parce que le Président est redevable de quoi que ce soit au Nord quant à la désignation de son Premier ministre, mais parce que c’est aujourd’hui, le seul poste disponible dont l’attribution pourrait redresser une telle situation. La normalisation que vous souhaitez tant est, me semble-t-il, à ce prix.

Mais quel homme vous proposer ? De l’avis général, y compris parmi vos proches collaborateurs l’homme qui correspondrait le mieux au profil du nouveau Premier ministre est l’ambassadeur Diarra Seydou. Il est originaire d’Odienné.

Il a plus de 60 ans et il a derrière lui une brillante carrière de diplomate. Parfaitement trilingue (Portugais, Français, Anglais) Seydou Diarra qui est agronome, s’est construit un énorme réseau d’amitié extérieure allant du Brésil à l’Europe où il a notamment occupé le poste de représentant de notre pays près la CEE pendant de nombreuses années.

Ça vous le savez. Ce que vous savez aussi, c’est qu’il a une position bien enviable aujourd’hui d’homme neutre et neuf pour la qualité de ses relations avec la société civile, les leaders de l’opposition tels Laurent Gbagbo, Francis Wodié, Zadi Zaourou Bernard.

Ce que vous ne savez peut-être pas parce qu’on essaie de persuader tout le monde du contraire, c’est qu’il a de très mauvaises relations avec le RDR et son mentor ADO.

Il n’y a jamais cru et trouve même dangereuses les positions d’Alassane qu’il ne fréquente plus. Par ailleurs, je crois savoir que Seydou Diarra vous est personnellement proche.

L’ambassadeur qui est un bon musulman entretient avec les autorités islamiques des rapports excellents mais distants. L’homme fait presque l’unanimité dans les milieux des cadres du Nord, de Séguéla à Touba en passant par Mankono et Odienné.

L’évocation simple de son nom pour un tel poste fait trembler les dirigeants du RDR qui sont persuadés que cela pourrait sérieusement perturber les militants de leur parti et les amener à se repositionner dans un paysage politique alors plus équilibré.

La nomination éventuelle de Seydou Diarra pourrait constituer l’autre alternative à la présence d’ADO. Autant, il est dangereux de marginaliser le Nord, autant le Nord a peur d’être laissé-pour-compte par le pouvoir.

Monsieur le Président, donnez à cette masse énorme de Dioula une raison de venir vers vous.

Tout Premier ministre a une mission majeure. Celle de Seydou Diarra pourrait être principalement de procéder à la normalisation des rapports du Nord avec votre personne, et votre régime avant les élections de l’an 2000.

Je l’en sais parfaitement capable. De surcroît l’homme vous apprécie au plus haut point et a pour vous un très grand respect. Cet homme peut être un Premier ministre idéal de transition sur un ‘’deal’’ précis avec une limite arrêtée à l’avance en accord parfait avec vous.

Seydou Diarra offre un autre avantage, celui de donner aux leaders de l’opposition l’occasion de consolider leurs positions dans le gouvernement d’ouverture (F. Wodié, Bernard Zadi) ou d’y faire leur entrée à la faveur de sa nomination.

Cela pourrait fournir au leader du FPI l’occasion de donner à sa base de bonnes raisons de participer enfin à l’action gouvernementale.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes sentiments dévoués ».

PS : Y’a t’il encore des conseillers et proches de nos chefs d’état à même de leur dire des vérités de ce genre , même s’ils n’en tiennent pas toujours compte forcément ?

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