Chronique Reconnaissance, Caractérisation et Gestion de la Douleur

1032

Dernère publication

La douleur est la plus vieille des vieilles compagnes de l’homme, banalisée par l’ancienneté de sa constance, malgré la large diversité des causes, la pluralité des mécanismes et la multiplicité des significations.

L’association de la douleur à d’autres paramètres cliniques a permis de mieux définir certains cadres évolutifs de maladies, de caractériser les processus pathologiques c’est-à-dire un enchaînement d’événements fortement corrélés, ainsi que de mieux comprendre les trajectoires et les aboutissements.

La meilleure illustration est celle donnée par CELSE au premier siècle post Christ : RUBOR, CALOR, TUMOR, DOLOR = Inflammation.

ARETEE DE CAPPADOS trace des descriptions rigoureuses des maux de tête désignés céphalalgies par leurs caractères accidentel et transitoire et nomme la céphalée par la persistance de la douleur avec des résurgences périodiques.

Il devient évident que seule l’écoute clinique permet de saisir les caractéristiques de l’état actuel et de l’évolution de la douleur, du territoire de distribution, de l’intensité et de la tonalité : migraine pour signifier la latéralisation de la douleur hemicrânienne et douleur globale en cas de typhoïde.

GALIEN classifie les douleurs par la forme de présentation de la sensation algique : pulsatile, tensive, poignante, burinant-coupant par des à-coups et térébrante- signifiant qui creuse, pénètre.

Au XVIIe siècle Sydenham introduit le laudanum pour soulager la douleur, pour procurer le sommeil et traiter l’hystérie.

Le XIXe siècle voit apparaître les anesthésiants :

L’Ether en 1819, le chloroforme en 1821 et le protoxyde d’azote -le gaz hilariant- et l’acide acétyle salicylique–AAS–en 1897, celui-ci pour supprimer la douleur chez un sujet conscient.

Le XXe siècle porte, par RAMON y CAJAL, la caractérisation de l’unité morphologique et fonctionnelle du système nerveux, le neurone, et dans les années 50 par EGAS MONIZ l’approche chirurgicale de la douleur et d’autres affections du comportement.

La douleur est ainsi un mécanisme de réaction défensive et de protection qui génère des comportements visant à la correction ou évitement de la cause ou au moins de limiter les

Conséquences et devient ainsi un signal d’alarme pour l’organisme et un symptôme d’appel au diagnostic.

Dans les voies d’accès au cerveau, les projections corticales frontales permettent l’identification de l’influx nerveux comme sensation désagréable ou angoissante et conditionnent les réactions motrices adéquates.

Les projections corticales pariétales permettent la perception et la localisation topographique de la douleur, la somapsie.

Les projections temporales par contre additionnent la mémorisation et l’appel à la mémoire actuelle de l’expérience vécue et pensée.

Le contour cortical temporo-pariétal–occipital réalise l’intégration compréhensive et la signification de la douleur.

Les structures sous corticales et du système limbique élaborent la composante émotionnelle et la résonance psycho affective du vécu douloureux.

La douleur chronique est différentiable par son comportement en tant qu’entité pathologique autonome : distante de sa cause initiale, à l’origine des perturbations physiques, psychiques et sociales caractéristiques, par la diminution de l’activité motrice avec apparition d’habitudes vicieuses, franche diminution de la réponse sympathique par développement d’accoutumance, baisse de la capacité idéative et intellectuelle et d’un état dépressif dans la durée.

L’évaluation d’une douleur de la personne X passe par l’écoute clinique, par l’analyse de l’histoire individuelle et communautaire, de sa trajectoire et mode d’intégration aux groupes sociaux spécifiques et la détermination des caractéristiques de la douleur à saisir par contre questionnaire orienté et par examen clinique.

La douleur a l’avantage d’affirmer, dans le passé ainsi qu’ici et maintenant, l’existence de son porteur. Le porteur étant lui et ses circonstances, il y aura de douleur manifestation secondaire aux interactions entre le sujet et ses circonstances, et de douleur mode de réagir de la personnalité et de douleur maladie en soi-même.

Un coup de marteau sur un doigt, une coupure de lame, une piqûre d’abeille ou d’aiguille, même le mort les a déjà eus. La douleur dans ces cas de figure est un symptôme, une manifestation secondaire corrélée. C’est une évidence presque immédiate, dans un délai de temps des transmissions, de la lecture et de la réponse.

La douleur symptôme de l’hypertension artérielle de localisation nucale, est d’installation plus longue, de manifestation plus tardive. Il y a entre les deux douleurs différence de caractères, de durée, de localisation et de mode d’apparition.

Une douleur d’apparition insidieuse lente et progressive exclut la goutte comme cause. Par contre une douleur sourde, pesante à l’épaule droite, s’aggravant aux efforts, impose la recherche de signes et de lésions intra- thoraciques et intra abdominales ayant toute probabilité d’être due à pathologie hépatique ou pulmonaire-tumeur de Pancoast au vertex pulmonaire intéressant le nerf cubital homolatéral.

Une douleur pénétrante à coups de couteau, pointade, caractérise la pleurésie.

Une douleur référée à la mâchoire et à la face interne du bras gauche avec ou sans précordialgie préalable est corrélée à l’angine de poitrine, ischémie myocardique. Toutefois il peut y avoir un infarctus du myocarde muet, sans expression d’alarme référée.

 

Il y a aussi la sensibilité douloureuse psychiquement conditionnée :

-Élévation du seuil algogène -des encaisseurs de douleur.

-Baisse du seuil algogène des personnalités plaintives -céphalée de la tension psychique ou d’un défi stressant.

 

Des exemples de la douleur maladie sont la névralgie primitive du trijumeau, le tic douloureux de la face, plus fréquente chez la femme, et la migraine, maladie héréditaire à pénétrance variable de large prédominance féminine 4 fois chez la femme contre 1 fois chez le jeune homme.

La maîtrise des techniques infirmières est impérative pour la reconnaissance de la douleur, par l’application de la fiche QTM -questionnaire orienté, tests et mensurations-, pour la caractérisation des propriétés par l’observation, l’enregistrement des variations dans la durée, l’identification des facteurs précipitants, de soulagement, d’aggravation ainsi que des symptômes prodromiques, ceux d’accompagnement ou de post événement.

L’agent sanitaire doit répondre aux exigences de connaître la localisation topographique, le mode d’apparition, la trajectoire, les zones de radiation, l’intensité, la tonalité ou le caractère de la douleur, les temps, la fréquence, la durée et régularité des épisodes, les facteurs déclenchants, d’aggravation ou de soulagement et les événements corrélés à la douleur.

La douleur est une donnée de l’objet verbal spatial, spontanément fournie ou mise en vue par le questionnaire et le contre questionnaire d’autant plus que tout n’est pas présent au même moment. Les crises d’épigastralgie d’une ou trois semaines, en cas d’ulcère duodénale, se voient écartées de quelques mois d’intervalle sans symptomatologie. De même que les attaques de rhumatisme palindromique de 2 jours de douleurs avec des espacements inter crises irréguliers.

Des facteurs, comme le volume, la composition des repas et l’effort, aggravent les douleurs de l’ulcère de l’estomac et de l’angine de poitrine.

Le repos et la défécation soulagent la douleur angineuse et celle de la maladie de CROHN

-entérite régionale, mieux granulomateuse ou ulcère constrictive.

Des symptômes associés peuvent conforter une hypothèse diagnostique. Les paresthésies associées à la douleur du type aiguilles / épingles aux doigts de la main, le 5ème doigt étant habituellement épargné, suggèrent le syndrome du tunnel carpien.  Par contre, dans le cas de la compression de l’artère subclavière, la paresthésie est ressentie au réveil, précisément au 5ème doigt et au doigt annulaire passant à la partie inférieure de l’avant-bras ou au bras tout entier avec absence du pouls radial.

Les troubles visuelles précédant les maux de tête suggèrent la migraine.

 

La douleur connue comme pointade précordiale d’Ascher n’est pas liée à aucune maladie et disparaît avec une forte inspiration.

Les douleurs psychogènes sont aussi fréquentes que celles dues à des lésions organiques bien définies. Il y a une atmosphère de troubles d’insertion groupale, situation de célibat ou de divorce, bas niveau socio-économique et tonalité agressive. Décrites avec emphases avec référence aux facteurs internes, à caractère continu et uniforme, situées à gauche mais sans localisation précise.  A l’examen du patient on ne trouve pas d’évidence de maladie.

Par contre la destruction de l’articulation avec dislocation pathologique n’est pas accompagnée d’aucune douleur dans le cas de la maladie de Charcot -Indifférence congénitale à la douleur.

 

Les tumeurs de l’antrum maxillaire méritent attention particulière puisqu’elles ne provoquent aucune douleur jusqu’aux stades tardifs de leur évolution

La main en griffe dans l’atrophie musculaire progressive, maladie plus que visible, se caractérise par l’absence de douleur et par une évolution lente vers la main de singe ou main du prêcheur par hyper extension du poignet.

Il n’y a pas de stimulus spécifique provoquant la douleur :

La douleur peut être d’origine et localisation superficielle, la plus connue et la plus fréquente, d’origine profonde, musculaire, viscérale, osseuse ou vasculaire, perçue sans localisation précise mais plutôt de zone et pas forcément coïncidente avec le siège réel du processus déclenchant.

L’expérience de douleur de la surface corporelle présente deux temps :

Une composante immédiate, à caractère lancinant, bien localisée, et l’autre différenciée, lente, tardive, à caractère brûlant, intense et de plus longue durée.

A savoir qu’au niveau de la peau il y a deux groupes de récepteurs de la stimulation conduisant à la douleur, les récepteurs nociceptifs à la base de sensations différentes :

– ceux qui conduisent à la douleur aiguë lancinante ;

– ceux qui conduisent à la douleur du type prurits ou du type brûlure.

C’est dans le système nerveux qui se font les transmissions, les réceptions, les interprétations, les modulations et l’élaboration de la réponse intégrée.

Tout cela en quelques dixièmes de secondes au plus d’intervalle entre la stimulation et l’expérience de la sensation douloureuse.

Il y a des récepteurs spécialisés aux stimulations mécanique et thermique pour des températures de 10°C et moins de 0° C.

Il y a d’autres, par contre polymodaux, meccano-thermiques ± 50% répondant aux stimulations mécaniques et thermiques, chimio-sensibles – ± 25%- répondant aux situations de production, libération et concentration de substances biochimiques cause d’inflammation, et d’autres récepteurs ayant une spécificité à la seule stimulation thermique ou à la seule stimulation mécanique – monomodal.

Au niveau des muscles il y a des récepteurs dont la stimulation provoque réaction algique monotone.La douleur résultant de l’ischémie musculaire est corrélée à une baisse du pH de la surface du myocyte de l’ordre de 0,7 à 1 unité passant du pH 7,5 à 6,8 ou 6,5. D’autre part la vitesse de conduction est variable d’un groupe récepteur à l’autre de15m/s à 0,6 m/s.

Certains récepteurs se dépolarisent dans des environnements acides produisant décharge maintenue quand le pH est bas  6,5. Des canaux ioniques sont ouverts par les protons à la membrane cellulaire la rendant perméable au Na +, K+ Ca+. Or le maintien de cet échange provoque un réflexe axonal vers les terminaux adjacents avec libération de peptides comme la substance P et autres. Des voies de conduction des informations, de la périphérie à la moelle épinière, sont étagées tout au long des cornes postérieures du cordon nerveux spinal. A ce niveau il y a triage, sélection et modulation poly synaptique des informations.

N’oublions pas que l’enveloppe de la cellule neuronale est formé de molécules de proteoglycans disposées en filaments carbohydrates liés aux lipides  et protéines membranaires  et baignés dans une solution saline aqueuse. Beaucoup des proteoglycans sont chargés négativement et de ce fait ils séquestrent des ions Ca2+. C’est pourquoi la diminution du calcium provoque modification du champ électrique membranaire créant une dépolarisation.

Ce sont la fréquence et l’intensité des stimulations thermiques, mécaniques et chimiques qui déterminent en fait la réaction individuelle, la formation de la douleur. La douleur est une construction complexe à composants agissant à des moments et à des niveaux structuraux différents et à des vitesses d’accélération et d’inhibition différentes.

Il y a production, libération, diffusion et action de neurotransmetteurs et de neuromodulateurs divisés en trois classes de substances biochimiques.

(voir tableau)

C’est la découverte des récepteurs morphiniques en 1973 et de son ligand, dont l’existence était postulée depuis 1953, qui permit le développement des connaissances sur la douleur et sur le fonctionnement du cerveau. Il y a une neurochimie de la douleur.

Il y a des thérapeutiques pour des douleurs déroutantes, jadis sans solution. Il y a des voies de recherche ouvertes à la découverte de nouvelles substances, de détection précoce à mettre au service de la personne humaine.

Seul le couard demandera la   mort pour s’enfuir de la douleur.

Seul l’ignorant se prêtera à un tel jeu d’ombres chinoises.

La vie est la seule valeur maîtresse à respecter strictement.

 

Par Professeur Borges

Commentaire

PARTAGER