Côte d’Ivoire : La question des candidats Indépendants, un défi pour la discipline des partis politiques (contribution)

Kouyaté Abdoulaye aborde la question préoccupante des candidatures indépendantes en Côte d’Ivoire, dans cette contribution. Pour lui, ce phénomène constitue un défi pour la discipline des partis politiques.

Au fil des élections, le paysage politique ivoirien voit émerger une tendance préoccupante : l’essor des candidats indépendants. Dans cette contribution, Kouyaté Abdoulaye, Secrétaire National chargé des Enseignants du RHDP, explore les divers types de candidats indépendants et les conséquences potentielles de cette indiscipline pour les partis politiques. Il souligne la nécessité d’une réponse ferme pour maintenir la discipline au sein du parti au pouvoir.

La Démocratie moderne a ses règles et nul ne peut le nier et préconiser autre chose que le respect desdites obligations. Cela étant, lors des élections présidentielles, les Partis Politiques légalement constitués postulent pour conquérir le Pouvoir d’État. Tout comme eux, des individus, au regard de leur conviction, voire de leur idéologie, peuvent également candidater pour briguer la Magistrature suprême. Dans un tel cas, il est rare de voir un militant sortir des rangs d’un Parti Politique pour postuler sauf un seul cas que nous avons constaté en 2015 et en 2020 avec le PDCI-RDA. Généralement, c’est pendant les élections législatives, régionales et municipales que l’on constate une profusion de candidatures indépendantes qui sortent des Partis Politiques. Pourtant, dans les textes fondateurs desdites formations politiques, la discipline occupe une place de choix. Des commissions de choix des candidats sont instituées. Pourquoi alors cette violation des règles auxquelles l’on a adhéré délibérément ? Quelles sont les motivations, ou du reste, qu’estce qui suscite une telle indiscipline au sein des partis politiques ? De ces interrogations, on peut identifier la typologie de cette indiscipline qui commence à devenir endémique et donc paralysante pour l’épanouissement des partis légalement constitués. Quelles peuvent être les implications de tels actes ?

I — TYPOLOGIE DES CANDIDATURES INDÉPENDANTES.

Si nous scrutons l’histoire des partis politiques dans le monde, particulièrement celle de la France, on peut dire que la trop grande liberté, au lieu d’être un facteur de bonne structuration, a plutôt constitué la base de l’effritement voire de l’émiettement des Partis gaulliste et Socialiste. Le GAULLISME existe — t — il encore tel qu’on l’a connu dans les années 1960, 1970 et 1980 ? Qu’en est-il du Parti SOCIALISTE français après le rappel à Dieu de François MITTERAND ? En France, la trop grande expression de la liberté n’est-elle pas en train de tuer la démocratie ? Comparaison n’est peut-être pas raison, mais on peut retenir qu’avec notre jeune démocratie en Côte d’Ivoire, il y a une similitude.
Au vu de notre histoire récente sur cette voie, que tout le monde connaît pratiquement, on peut dire qu’elle commence à partir de l’an 2000. En effet, en 2001, lors des élections municipales, des personnes, hors de toutes obédiences politiques postulent et gagnent des mairies. Ces véritables Maires INDÉPENDANTS se constituent en Maires Libéraux et fonctionnent. Ce Libéralisme étant proche du Centrisme et du Libéralisme à visage humain incarné par le RDR, ces Maires se rapprochent de ce parti pour former une coalition. SEM l’ambassadeur de la Côte d’Ivoire à Paris, le Ministre KOUAKOU BANDAMAN MAURICE est l’un des pionniers de cette alliance. Il finira du reste par devenir un militant du RDR. On pourrait dire que cette alliance est l’embryon de la coalition entre les élus Indépendants et les Partis Politiques. Puis, vint 2013 et les premières élections municipales de l’ère OUATTARA. À cette occasion, de véritables candidats indépendants, sans étiquette politique en apparence, postulent et gagnent. Certains, parmi eux, prétendaient être venus pour essuyer les larmes des militants de l’ancien régime en déliquescence à cette époque. En fait, il s’agissait en réalité de militants de partis politiques qui se présentaient sans s’afficher officiellement pour le compte desdits partis politiques, notamment du FPI qui avait boycotté toutes les élections depuis la fin de leur règne. Ces candidats indépendants, une fois élus, se trouvent face à la réalité de la gestion communale. Eux qui pensaient naïvement qu’ils pouvaient se passer des nouveaux pouvoirs publics se retrouvent face à des défis insurmontables. En effet, ils se rendent compte qu’aucun investissement dans une localité, même dans le cadre d’une coopération internationale, ne peut se faire sans l’aval du pouvoir d’État ? Face à ce dilemme, même d’anciens militants du FPI, une fois élus, se tournent vers le Pouvoir RHDP pour bénéficier de sa largesse. Voilà donc le deuxième type de candidats indépendants qui, une fois élus, viennent vers le Parti au Pouvoir. Par ailleurs, dans sa quête de positionnement politique et surtout de la paix sociale et de réconciliation, le Parti au pouvoir se lance à la recherche de Maires indépendants pour gonfler ses rangs. Jusque-là, tout va bien. Mais aux élections suivantes, tous les partis politiques opèrent des choix de candidats devant les représenter soit aux élections législatives, soit aux élections régionales et Municipales. Après cet exercice, des cadres sont priés de patienter, car ils n’ont pas été choisis. Ceux-ci estiment avoir été frustrés, car ils auraient la légitimité au regard de leur passé de militants. Quelquefois, ce sont des nouveaux venus, de nouveaux militants qui se plaignent. Eux aussi estiment que le parti auquel ils viennent fraichement d’adhérer n’a pas tenu compte des services qu’ils lui ont rendus. Tous se révoltent et postulent malgré les injonctions de leur formation politique, violant ainsi les textes du parti. Ce fut le cas, lors des législatives de 2016 de YASMINA OUEGNIN à Cocody, de SAMY MERRHY à Lakota, de AKOTO OLIVIER à Daoukro ; en 2018, de FAMOUSSA COULIBALY à Divo, de KONE TEHFOUR à Abobo, de SAMY MERHY à Lakota. En 2023, BAMBA SIAMA dans la Bagoué, TRAORE ADJARATOU épouse COULIBALY à KOUMASSI, SIDIBE BERRY dans le Folon. On peut citer dans d’autres formations politiques les cas suivants : MARCEL KOUAME DIETO du PDCI-RDA en 2023 à DIABO, OUALLO JEAN LUC du PPA-CI à Tabou. C’est le troisième type d’indépendant. Le paradoxe dans ce cas de figure est qu’une fois que ces candidats indisciplinés ont été élus, les partis politiques auxquels ils ont désobéi leur courent après pour gonfler leur nombre, avoir une consistance à l’Assemblée Nationale et surtout pour renforcer le groupe parlementaire. C’est la course aux élus indépendants, donc aux indisciplinés. Il faut aussi souligner que certains de ces élus sans étiquette politique ont même été soutenus par de hauts cadres de leur parti pour des intérêts personnels. Il importe ici de préciser que ces hauts cadres étaient en quête de positionnement politique au sein de leur propre formation politique. Ils ont ainsi frustré et humilié les candidats officiels du parti. Et l’on est resté muet face à cette violation des textes et de la discipline. Voilà le piège dans lequel les partis politiques se sont enveloppés et qui multiplie les candidatures indépendantes dans les partis politiques. L’effet boomerang, c’est qu’aux élections suivantes, ceux qui se sont sentis lésés par leur propre association politique reviennent à la charge. Surtout que, ce sont les indépendants d’hier, donc les indisciplinés d’hier, qui sont devenus les candidats officiels du Parti. Si ceux qui ont violé les textes n’ont pas été sanctionnés par le parti, s’ils ont même été adoubés, récupérés et repositionnés, pourquoi moi aussi ne serais-je pas repris une fois élu, puisqu’après tout, ce sont les victorieux qu’on respecte ? Voilà comment la défiance et donc le désordre se sont installés au sein des partis politiques. Il y a un quatrième type de candidatures indépendantes dans la sphère politique ivoirienne : ce sont les rivalités familiales, les condescendances régionales, départementales, villageoises, familiales, voire tribales, dans nos localités.
En fait, une Région, un Département, une Sous-Préfecture, un village ou même au sein d’une même famille, au nom d’une supériorité ancestrale, telle famille estime que telle autre n’a pas droit au siège. Comme on le dit dans certaines coutumes africaines : « le neveu a droit à tout, sauf au siège ». C’est le quatrième type de candidature indépendante. Face à cette condescendance tribale et/ou familiale, que peuvent les partis politiques ? Que peuvent les partis politiques et leurs textes fondateurs face aux rivalités internes liées aux préséances issues de nos us et coutumes ? C’est le cas à SEGUELON, Mankono, Odienné, etc, par exemple ou la préséance familiale commande toute candidature. Une autre problématique des candidatures indépendantes reste celle des cadres dits militants de premières heures. Ces cadres qui devaient donner l’exemple postulent sans étiquette, justifiant leur indiscipline par le fait que le Parti n’aurait pas tenu compte de leur passé militant, que le parti n’aurait pas reconnu les sacrifices consentis par eux pendant la lutte pour la conquête du pouvoir d’État. Aussi, selon eux, choisit-on des nouveaux venus au détriment des combattants d’hier. Pourquoi ceux qui sont venus hier seulement parce que nous sommes au pouvoir peuvent-ils être privilégiés par rapport à nous qui avons sacrifié nos familles et nos vies pour le Parti, disent-ils ? Ils n’entendent donc pas être sacrifiés après l’acquisition du pouvoir selon cette cruelle maxime stratégique qui dit que : « L’on cherche le pouvoir avec ses amis et on le gère avec ses ennemis. » Ils ne veulent pas être les moutons du sacrifice sur l’autel de la consommation du pouvoir. Les postes de Député, de Président, de Conseil Général et de Maire constituent leur part du cadeau qu’ils n’entendent pas lâcher pour une quelconque discipline du parti. Voici le cinquième type de candidature sans étiquette politique. Ce cas de figure existe dans toutes les formations politiques de notre pays. Quelles peuvent être donc les implications de tout cela ?

II— LES CONSÉQUENCES DE L’INDISCIPLINE.

Il faut retenir d’emblée que face à cette indiscipline caractérisée, surtout celle constatée à ces élections régionales et Municipales de 2023, les partis politiques, surtout le RHDP se trouve face à un conflit cornélien : respect scrupuleux de la discipline du Parti en refusant l’intégration des indisciplinés ? Intégration des indisciplinés pour ne pas perdre ces élus qui pourraient faire le bonheur des partis politiques adversaires ? Il faut noter au préalable que des symboles de notre parti et de notre gouvernance ont été défiés à KOUMASSI, dans la région de la BAGOUE, dans le FOLON. De notre point de vue, intégrer des élus indépendants serait donné un blanc-seing à l’indiscipline et au désordre. Justement, l’impunité chronique a entraîné des récidives inqualifiables en 2016 et en 2023 avec YASMINA OUEGNIN à Cocody, et avec SAMY MERHY en 2016 et 2018 à Lakota. Ainsi, quatre-vingt-huit (88) candidatures indépendantes ont été enregistrées au RHDP en 2023. Le risque de ceci est de voir ce nombre se multiplier par trois (3) voire par quatre (4) aux prochaines élections locales. Tous ceux qui n’auront pas été retenus par le Parti vont vouloir postuler. Dans un tel cas de figure, serait-il utile de mettre sur pied un comité de choix des candidats ? On laisserait alors tous les cadres du Parti postuler et ceux qui auront gagné rejoindront la maison commune. Si telle est l’option, quel serait le rôle des textes de base qui régissent le parti ? À terme, le Parti lui-même ne va-t-il pas disparaitre de ce fait ? Par ailleurs, si l’on n’intègre pas les victorieux, s’ils sont sanctionnés, selon certaines conceptions, on court le risque de les perdre et de les voir émigrer vers d’autres formations politiques pour gonfler les rangs de ceux-ci. Selon cette opinion, ce serait une perte sèche. « Œuvre de tant de jours en un jour effacé », dit le poète. Pourtant, du fait de la gravité de ce phénomène, notre point de vue est sans concession : il faut être ferme et sanctionner les indisciplinés afin que leurs actes ne fassent pas école. Qu’un Député, Sénateur, Président de Conseil Général élus, issus d’une autre formation politique rejoigne un autre parti politique, cela est normal et montre la vitalité et le dynamisme de ladite Association politique. Mais pas un indiscipliné ! De toutes les façons, le RHDP n’aura pas besoin d’indisciplinés, car avec ces élections de 2023, nous avons 123 communes, soit 61,19 % et 25 régions, soit 81 %. Une prouesse inédite, aussi bien en nombre d’élus qu’en suffrage exprimé. La couverture nationale étant faite, rien ne justifie l’intégration des INDISCIPLINES. Il faut un début à tout. Les facilités qui ont été faites lors du positionnement de notre parti après la crise postélectorale doivent connaître un terme. Les largesses dues à la recherche de la réconciliation en 2011 doivent prendre fin. Vu l’ampleur de ce phénomène en 2023, nous pensons que c’est l’éclatement des partis politiques qui se profile à l’horizon. Tout parti politique a un symbole et un fétiche.
Les nôtres, ce sont nos premiers responsables du Parti, la parole et les instructions de notre mentor et idole : ALASSANE OUATTARA. Celui qui ne respecte pas ces symboles, que va-t-il valoriser encore ? Si un cadre du parti est en compétition avec le Secrétaire Exécutif, le Président ou Vice-Président du Directoire et qu’il ne s’aligne pas, va-t-il respecter un autre de nos sacro-saints symboles ? Si le Président du Parti reçoit un cadre et lui parle et que celui-ci fait le contraire des instructions du chef du parti, à qui d’autre vat-il obéir ? S’il n’est pas sanctionné, son acte ne fera-t-il pas boule de neige ? Si cet état de fait prospère, n’est-ce pas la déliquescence du parti qui se prépare sous nos yeux ? À juste titre donc, il faut agir et le parti au pouvoir a tous les leviers pour freiner l’indiscipline. Il faut sanctionner les indisciplinés en ne les intégrant pas ! En outre, cette position claire n’excluant pas l’autocritique, ne faudrait-il pas explorer et revoir le mode de sélection des candidats ? Il semble que la méthode de choix est telle que le nombre important de militants s’en plaignent. Primaire ? Recherche de consensus au niveau des circonscriptions électorales ? Mise en place de commissions locales de présélection et de sélection des candidats ? Choix opéré par la Direction du Parti au regard des profils politiques des cadres ? Sans avoir la prétention de détenir la vérité exclusive, notre contribution n’est en réalité qu’un prétexte pour engager un débat franc et constructif sur la question. QUE LA RÉFLEXION CONTINUE !

KOUYATE ABDOULAYE, Secrétaire National en charge des Enseignants du RHDP