Décryptage – Pourquoi les députés et sénateurs sont invités à prolonger leur mandat (s’inscrire dans une continuité législative constitutionnelle )

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Quels sont véritablement les enjeux et dessous de la modification constitutionnelle proposée par le chef de l’État, avec la possibilité de maintien en exercice des députés et sénateurs après la présidentielle de 2020 ?

Il est difficile, dans l’analyse politique, de spéculer sur les décisions prises par un gouvernement dans certaines circonstances, surtout en cette année 2020, période de l’élection présidentielle, la « mère » de toutes les élections.

Face à cette perspective, comment interpréter la décision du Président de la République de demander au Parlement de réviser la constitution, en vue de prolonger le mandat et les pouvoirs des députés et des sénateurs, jusqu’à la tenue de nouvelles élections ?

1- Gouverner par ordonnances, c’est possible…

Il faut noter que le Président de la République peut gouverner par ordonnances. À priori, il n’est pas nécessaire que le parlement soit en place, si celui-ci est en fin de mandat.

Un président nouvellement élu en 2020 peut, avant les élections législatives, gouverner par ordonnances dans la plupart des cas. La seule chose que ce Président élu ne peut pas faire sans le parlement est de modifier la Constitution, ou de nommer un vice-président. En dehors de cela, il pourrait bien se passer du Parlement si celui-ci, est dans une période de fin de mandat.

Il faut ensuite noter qu’en Côte d’Ivoire l’Assemblée nationale avait été considérée comme dissoute et illégale en 2011, et que, du 11 avril 2011 au 11 décembre 2011, ( ou plutôt à Mars-Avril 2012, avec l’élection de Guillaume Soro ) , le Président Alassane Ouattara avait gouverné sans le parlement, au grand dam de Mamadou Koulibaly qui avait voulu, à l’époque, recevoir Ouattara en « congrès » ; au grand dam aussi des observateurs qui estimaient que le maintien en exercice du parlement aurait été un instrument de normalisation de la vie politique, contrairement à la posture de boycott choisie dans la foulée par le Fpi et d’autres mouvements politiques.

Le RDR ayant boycotté les législatives de 2001, la majorité Fpi au parlement aurait pu, pendant cette période, faire entendre sa voix. Le parlement alors dirigé par Mamadou Koulibaly aurait joué sa partition, pour réclamer par exemple la libération de Gbagbo et des prisonniers. Il aurait même pu faire des propositions de lois dans ce sens, si l’Assemblée nationale n’avait pas été considérée comme dissoute, et illégale.

L’exemple de ce qui s’est passé dans la gouvernance de sortie de crise sous Laurent Gbagbo d’une part , et d’autre part l’usage fait des ordonnances par le Président Alassane Ouattara montrent que l’exécutif peut gouverner, surtout lorsque le mandat de l’institution parlementaire est achevé, n’offre pas la possibilité que selon les règles constitutionnelles, , les ordonnances soient ratifiées par le parlement même quand l’urgence recommande que le président de la République les prenne.

« Le tout n’est pas de prendre les ordonnances , il faudra les insérer dans l’ordonnancement juridique en suivant les règles édictées par la Constitution », concède l’élu qui n’a peut-être pas pris en compte, les cas où le Parlement n’est plus en fonction, ou qu’il est « forclos ».

2-La jurisprudence Yapo Yanon sous Laurent Gbagbo

En l’absence d’une disposition inscrite dans la constitution, la jurisprudence constitutionnelle en Côte d’Ivoire avait d’ailleurs déjà pris acte d’une telle situation, de maintien en exercice du parlement que le Président de la République veut faire inscrire dans la constitution, alors que des experts en matière constitutionnelle estiment qu’un avis ou arrêt du conseil constitutionnel, ne vaut pas une disposition constitutionnelle, qui règle la question. D’où l’intérêt de la réforme préconisée par le chef de l’État, Alassane Ouattara.

Le parlement élu en décembre 2000 était alors resté en fonction après la fin de son mandat en 2005, suite à un avis/arrêt du conseil constitutionnel sous Gbagbo, avec le juge Yapo Yanon. On peut même se souvenir de la polémique créée en son temps, avec l’opposition d’alors, et même avec la communauté internationale sous le couvert du GTI.

Par la suite, Charles Konan Banny alors Premier ministre, ne put parvenir à travailler avec ce parlement qu’il jugeait illégitime, illégal et anti constitutionnel, refusant même, pendant quelques temps, de faire payer les indemnités et salaires, avant que tout ne rentre dans l’ordre.

3. Après l’élection présidentielle de 2020…. ?

Il peut être difficile techniquement et politiquement , deux semaines après la passation des charges, – le 8 décembre 2020, et, au plus tard, le 31 décembre 2020 – d’organiser les élections législatives et sénatoriales.

Dans le contexte de la constitution pas encore modifiée, le nouveau président élu et le gouvernement qu’il mettra en place aussitôt, doivent obligatoirement tenir les élections des parlementaires ( députés et sénateurs ) au plus tard le 31 décembre 2020, ou, si l’on prend la date de l’entrée en fonction du parlement, les élections doivent avoir lieu avant Avril 2021, au plus tard.

En cas d’alternance, avec défaite électorale du candidat du RHDP, le nouveau pouvoir devra à priori s’accommoder de la CEI déjà en place.

À défaut, ne sera-t-il pas difficile pour le nouveau pouvoir, de mettre en place une nouvelle Cei « consensuelle » en 3 ou 4 mois, à moins de faire ce qui est reproché aujourd’hui au pouvoir Ouattara, accusé de dérive dictatoriale, en décidant de dissoudre sans consensus la CEI, et en mettant en place une nouvelle commission électorale dans la foulée de l’élection présidentielle ?

La réforme liée à la poursuite du mandat du parlement pendant ces tractations, ne vise-t-elle pas à donner du temps au temps, et à laisser s’atténuer les tensions liées à l’élection présidentielle, afin d’affronter plus sereinement les élections suivantes.

4. Le RHDP reste majoritaire à l’Assemblée nationale, pendant ce temps ?

Bien entendu, à côté de cette manière de voir, certains peuvent voir dans le projet de réforme du chef de l’État Alassane Ouattara d’autres aspects.

Alors qu’en disant qu’il n’est pas candidat, le Président Ouattara ouvre le jeu politique et démocratique, d’autres observateurs veulent voir le calcul suivant : écrire un scénario à la Kabila.

En RDC, Felix Tshisekedi a été élu président, mais le camp Kabila dispose de la majorité au parlement. Le RHDP peut perdre l’élection présidentielle, mais avec le maintien constitutionnel de l’Assemblée nationale et du Sénat jusqu’aux élections législatives et sénatoriales suivantes , on se retrouve dans un cas de cohabitation, où le nouveau Président ne peut modifier la Constitution (sauf à faire le choix d’un référendum directement ) , ni nommer un vice-président sans l’accord du parlement qui dispose d’une majorité Rhdp actuellement.

Sur la question, un député de l’opposition prévient : « En Côte d’ivoire un parlementaire peut aller d’un groupe parlementaire à un autre à la rentrée parlementaire. En cas de défaite du RHDP à la présidentielle d’octobre 2020, la majorité de son groupe parlementaire pourrait être retournée ».

Cette posture peut-elle valoir adhésion de l’opposition à la réforme ?

Peut-on dire qu’il s’agit d’une maigre consolation pour les vaincus éventuels sachant que le nouveau président élu peut lui aussi gouverner par ordonnances, même si la possibilité de nommer le vice-président, et de modifier la Constitution, tout comme de faire usage des pouvoirs constitutionnels liés aux circonstances exceptionnelles ( ex article 48), ne peuvent se déployer ?

Sans doute les débats au parlement sur cette question pourraient permettre d’en savoir un peu plus !

Dernier argument auquel les députés eux-mêmes seront peut-être sensibles avec une sorte d’injustice qui sera réparée, selon les observations d’un sénateur : « Le mandat des parlementaires est de 5 ans selon la constitution. Les dispositions transitoires ont réduit le mandat à 4 ans pour les députés et à 2 ans pour les sénateurs. Ce n’est pas juste. Le chef de l’État qui à l’époque avait le souci de remettre les compteurs à zéro à partir de 2020 , nous invite à regarder cet aspect des choses».

L’utilité d’une réforme comme d’une loi, n’apparaît que dans la pratique. Avec le prolongement du mandat des députés en 2020, le Président Alassane Ouattara pense-t-il à un scénario à la Kabila, là où certains le voient en Poutine, refusant d’aller et rusant pour être vice-président, ou pour revenir au pouvoir à la façon de Bédié ? Ces personnes qui envisagent cela , n’ont-ils pas en tête un Ouattara imaginaire différent du Ouattara que tout le monde connaît et voit en action?

Sur la question, un expert africain rompu aux questions diplomatiques et aux relations internationales apporte cet éclairage : « En RDC la

majorité actuelle est issue d’elections qui ont eu lieu en meme temps que la présidentielle. Le président Felix Tschisekedi n’a pas été contraint de gouverner avec une majorité qu’il aurait trouvée en place. On spécule sur quelque chose de simple. Apres avoir empêché le glissement instrumentalisé du mandat du Président de la République et réorganisé le pouvoir judiciaire, le maintien en place du parlement pour quelques mois, le temps de réunir les conditions de la tenue des élections législatives et sénatoriales , vise simplement à fluidifier, à constitutionaliser une séquence que le Conseil constitutionnel pouvait régler, ou avait déjà réglé par le passé.

La réforme apporte une réponse au chevauchement des élections en Côte d’Ivoire. Le parlement ne sera pas maintenu pour un nouveau mandat entier. Le nouveau Président de la République pourra convoquer le corps électoral après son investiture si les conditions sont aussitôt réunies, malgré l’option qui permet le maintien de l’Assemblée nationale. Les plans Kabila , ou Poutine, c’est trop compliqué, et ce sont de vaines spéculations d’agitateurs d’idées sonnés et pris de cours par la décision du Président de la République de Côte d’Ivoire ».

5. Une ère nouvelle au défi des ruses de la politique ?

En choisissant de respecter ses engagements, le Président Alassane Ouattara a coupé l’herbe sous les pieds de ceux qui l’ont soupçonné de vouloir se maintenir au pouvoir en jouant sur le fait que la nouvelle constitution lui permettait d’être candidat en 2020.

Avec l’annonce qu’il ne sera pas candidat, Alassane Ouattara à ouvert le jeu démocratique et politique en Côte d’Ivoire. Il offre des perspectives d’alternance dont les populations rêvent depuis plusieurs années. Déjà en pleine crise , dans les années 2005-2010, des cadres comme Gnamien Konan avaient appelé à tourner la page BOG ( Bédié , Ouattara, Gbagbo).

Plus de dix ans après, les mêmes personnes sont encore au devant de la scène politique. La posture du président Ouattara va au-delà du simple respect des engagements pris. Elle ouvre véritablement une ère possible , une espérance inattendue.

Toutefois, les ruses de la politique politicienne sont telles que l’on peut assister à un retour de la vieille politique, celle qui a plongé la Côte d’Ivoire dans le chaos de 1999 à 2011, avec le coup d’État de décembre 1999, la crise politico-militaire de 2002 et la crise post-électorale de 2010-2011.

Face à de telles menaces , il y’a lieu que les grandes figures des partis politiques acceptent que, dans l’intérêt du pays et des populations, la campagne électorale de 2020 s’inscrive dans un cadre démocratique et transparent.

Débarrassé du fardeau de la politique politicienne, il est évident qu’Alassane Ouattara ne va pas déserter le combat politique, et la bataille électorale. Il apportera son soutien au candidat RHDP qui, selon lui, est à même de poursuivre la transformation du pays. Quel est ce candidat ? Là encore, les spéculations vont bon train, même si tout semble si évident !

Comme pour une nomination, qui n’est valable qu’après la signature ou même après la diffusion du décret, il faudra encore attendre que le processus de désignation du candidat se réalise, pour être définitivement situé. En attendant les regards restent tournés vers les députés et les sénateurs relativement à la révision constitutionnelle.

Wakili Alafé

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