Hommage à Hamed Bakayoko:son parcours illustre au plus haut point ce que je crois

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HAMED BAKAYOKO

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Je ne connaissais pas Hamed Bakayoko, mais son parcours illustre au plus haut point ce que je crois : ce ne sont pas toujours les hommes qui font l’Histoire, c’est souvent l’Histoire qui fait les hommes en leur offrant les circonstances à partir desquelles ils peuvent infléchir le cours de l’Histoire, s’ils en ont les capacités.

Concernant Hamed Bakayoko, à chaque fois que l’Histoire de son pays l’a placé dans une situation où il devait choisir, les choix qu’il a faits lui ont permis de devenir ce qu’il voulait être et accomplir ce qu’il pensait juste pour son pays.

Le militant

Passionné de politique, Hamed Bakayoko sait qu’il doit d’abord n’être qu’un simple militant qui suit le chef, dont il partage les convictions.

La scène politique ivoirienne est dominée par le PDCI, le parti du Père de la nation, Félix Houphouët-Boigny. Houphouétiste, c’est donc tout naturellement qu’il se tourne vers le PDCI. Nous sommes en 1986 et le jeune Hamed Bakayoko, qui est étudiant, rentre à Abidjan. Il a 21 ans. Il se rapproche des mouvements étudiants proches du PDCI. Son militantisme s’exprime à l’intérieur du Mouvement des Étudiants et Élèves de Côte d’Ivoire (MEECI). Sa fougue militante se fait remarquer lors de la campagne présidentielle de 1990, année qui voit l’émergence du multipartisme. Il fonde, à cette époque, les Jeunesses Estudiantines et Scolaires du PDCI (JESPDCI). À la mort d’Houphouët-Boigny, le chef incontesté et incontestable du PDCI est alors Henri Konan Bédié. Bédié ne saura pas exploiter la fougue militante d’Hamed Bakayoko. Ou du moins le sentiment d’injustice et d’ingratitude à l’égard d’Alassane Ouattara, marqué par l’ivoirité, ne favorisera une affinité politique plus poussée avec Henri Konan Bédié.

Le sens de l’Histoire

La vision prospective et le sens de l’Histoire qui caractérisent Hamed Bakayoko lui font comprendre trois choses : 1) L’ère du parti unique est terminée. La Côte d’Ivoire entre dans une période où vont s’affronter les partis politiques. En 1990,14 nouvelles formations politiques sont officialisées, dont le FPI, principal parti d’opposition.

2) À la mort d’Houphouët-Boigny, le pays est déjà entré dans une période de crise profonde, – politique, économique et sociale -, à laquelle Bédié ne pourra faire face.

3) L’offre politique du Pdci, sous la houlette de Bédié, ne répond plus aux attentes des Ivoiriens et aux défis que doit relever le pays.

Bakayoko doit choisir. En 1994, il adhère au RDR, le parti d’Alassane Ouattara. Neuf ans plus tard , en 2003, il entre dans le gouvernement d’union nationale qui résulte des Accords de Lina-Marcoussis. Il occupera ce poste jusqu’à l’épisode de la sortie du gouvernement sous Laurent Gbagbo, en Février 2010.

En avril 2011 après la crise post électorale et le gouvernement provisoire de l’hôtel du Golf , il est nommé ministre de l’Intérieur. Il est reconduit à ce poste en 2016.

Dans un pays marqué par la grave crise politico-militaire de 2002 et par la crise postélectorale de 2011, son autorité naturelle et son sens du dialogue lui permettent de remettre la Côte d’Ivoire à l’endroit.

Fin juillet 2017, quelques mois après que des mutineries aient éclaté, Hamed Bakayoko est appelé au ministère de la Défense, afin de remettre en ordre l’institution militaire, restructurer les chaînes de commandement et ramener les forces armées dans le giton de la République. Là encore, la réussite est totale. Les forces armées, militaires et gendarmes, ont confiance en Hamed Bakayoko, qui fait appliquer la loi de programmation militaire de 2016.

Un homme de dialogue

Alassane Ouattara comprend qu’Hamed Bakayoko n’est pas simplement un homme d’action, c’est aussi un fin politique qui a su pacifier et stabiliser le pays. Le Président Ouattara va lui confier des missions de négociations, que ce soit au sein du Rhdp, avec les adversaires politiques et dans la sous-région. Il ressort de ces missions qu’Hamed Bakayoko n’a jamais trahi la confiance de ses interlocuteurs, une qualité essentielle dans un monde politique où les trahisons se multiplient et les alliances se nouent et se dénouent au gré des circonstances.

On se souvient que Laurent Gbagbo, lorsqu’il a voulu donner des signes d’apaisement et se désolidariser de la démarche sans issue dans laquelle s’était engagé l’opposition avec le Conseil National de Transition, avait appelé Hamed Bakayoko.

Un lien constant avec les populations

En 2018, Abobo, fief du Rdr, Abobo, l’une des communes la plus peuplées d’Abidjan avec un million d’habitants, l’une des plus pauvres aussi, risque de tomber aux mains de l’opposition. Hamed Bakayoko se présente aux élections municipales. Il est élu au premier tour avec près de 60 % des voix. Lors des législatives de mars 2021, gravement malade, hospitalisé hors du pays, il ne participe pas à la campagne électorale. Il est pourtant triomphalement réélu député. L’erreur que beaucoup auront commise aura été de croire de croire qu’Hamed Bakayoko n’était que l’homme des situations difficiles, une sorte de joker que l’on sort au dernier moment. Sa victoire à Abobo et sa réélection comme député s’expliquent par son charisme et ses liens avec les populations.

Hamed Bakayoko jouissait d’une forte popularité qui transcendait les clivages politiques et ethniques. Il était resté un militant du quotidien dans l’âme, proche des gens.

Un signe qui ne trompe pas : lorsqu’il quitte le Palais présidentiel, après avoir été nommé Premier ministre, il rejoint la voiture qui l’attendait et il s’assied à côté du chauffeur, comme il le fait depuis plusieurs années. Sa nouvelle fonction ne changera pas ce choix, malgré les contraintes et les rigueurs du protocole.

L’erreur que ne commettra jamais Hamed Bakayoko est de rester prisonnier des ors des ministères ou de la Primature, de jouir du pouvoir sans l’exercer. Son rôle central dans le dispositif d’Alassane Ouattara tenait autant à sa connaissance du terrain, à sa capacité de travail, à ses qualités humaines, qu’à son immense popularité.

Le parcours du militant devenu ministre d’Etat, du ministre d’Etat devenu Premier ministre, s’est arrêté brutalement le 10 mars 2021.

Chacun s’accorde désormais à reconnaître qu’il portait en lui le rêve du grand destin voulu par Houphouët-Boigny pour la Côte d’Ivoire, et qu’Hamed Bakayoko retrouvait chez Alassane Ouattara, l’idée et le rêve d’une grande nation moderne, unie et prospère.

Christian GAMBOTTI,

Agrégé de l’Université, Président du think tank Afrique & Partage – CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone – Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains.

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