LA CHRONIQUE DU LUNDI : L’AFRIQUE AU DEFI DE L’URBANISATION

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Dernère publication

Construire, aménager, accueillir, ce n’est déjà plus suffisant. Il faut concevoir des « villes intelligentes » (l’éco-système « Smart City »), de plus en plus connectées, « vertes » et « fertiles »

L’Afrique au défi de l’urbanisation

En 1950, l’Afrique ne comptait que 20 millions de citadins, ils sont aujourd’hui près de 500 millions. En l’espace de vingt ans, la population urbaine du continent a été multipliée par deux : 472 millions d’habitants en 2015, selon les Nations unies, Plus d’1,2 milliard d’Africains vivront en ville en 2050, ce qui représentera 60% de la population. Les causes de cette urbanisation galopante sont connues : explosion démographique, exode rural, migrations économiques et transfrontalières. L’homme africain est déjà un « homo urbanus ». L’Afrique devra faire face aux grands défis de l’urbanisation que lui impose une démographie galopante : accès au logement, au travail, à l’école, à la santé, etc. Le continent est en train de vivre une révolution urbaine sans avoir les moyens de l’accomplir. En  février 2017, lors du Colloque « Ouvrir les villes africaines au monde », la Banque Mondiale a publié un Rapport qui établit le constat suivant : « Lorsque les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont atteint un taux d’urbanisation de 40 %, leur PIB par habitant était de 1 800 dollars. Et lorsque les pays d’Asie de l’Est et du Pacifique ont dépassé ce même seuil, ce revenu s’élevait à 3 600 dollars. En Afrique [subsaharienne], il atteint seulement 1 000 dollars », Conclusion du Rapport : « L’Afrique s’urbanise en restant pauvre. ». (1)

Les villes africaines semblent cumuler tous les handicaps : développement anarchique, insalubrité, insécurité, pauvreté, absence d’infrastructures et d’équipements collectifs, embouteillages, pollution, etc. Le New World Wealth, un cabinet de recherche britannique,  et AfrAsia Bank se sont amusées à dresser la liste des 20 villes les plus riches en Afrique en 2017, celles où la richesse privée globale est la plus importante : Johannesburg (Afrique du Sud) arrive en tête avec une richesse globale privée de 276 milliards de dollars, Abidjan est 11ème avec 27 milliards. Un tel classement semble vain quand on connaît le taux de pauvreté et le nombre de pauvre dans les grandes villes africaines, mais, en même temps, il nous révèle ce formidable potentiel des villes qui intéresse les bailleurs de fonds et les investisseurs pour qui la ville génère de plus en plus de richesses. Elle est aussi le premier vecteur du développement économique, social et humain. Cette urbanisation se fait aujourd’hui encore sans un développement industriel. Mais, la ville reste l’endroit qui fournit, à travers l’économie informelle et les administrations, le plus d’emplois et où se construit l’Afrique de demain.

En 1950,  le romancier camerounais Mongo Beti décrivait la « ville cruelle », ce qui est encore une réalité avec l’expansion des bidonvilles (60% des citadins africains vivent dans des bidonvilles) ou lorsque les rues des centres villes deviennent impraticables lors des inondations. La ville africaine véhicule encore l’image d’un chaos où perdurent tous les dysfonctionnements. De nombreux Etats africains, encouragés par les programmes multilatéraux dans le cadre des « Objectifs du millénaire pour le développement » et de l’« ONU-Habitat », ont fait du développement urbain une priorité. En Côte d’Ivoire, la « métropolisation » permet de penser le « grand Abidjan » en termes de cohérence entre croissance urbaine, développement économique et amélioration du cadre de vie, afin de faire de la métropole un puissant vecteur de développement. Chacun sait que le chaos urbain ralentit la croissance économique et fait perdre des points de PIB.

 

En Afrique, les politiques de la ville doivent aussi

intégrer le concept de « ville intelligente », connectées (2)

 

Les nombreux dysfonctionnements du chaos urbain, en particulier dans le domaine des infrastructures de transports, ne changent rien à une réalité qui s’impose à tous : les villes constituent des pôles d’attractivité, de production et de savoirs. Ce phénomène est amplifié par l’apparition des technologies nouvelles. Les Africains vivent dans des villes de plus en plus connectées. Le défi est double : répondre aux défis posés par l’expansion démographique et l’urbanisation galopante, et, dans un même temps, bâtir des « villes intelligentes » grâce aux nouvelles technologies. Pour Julien Cangelosi, le jeune patron de la société YesWeCange (3), installée à Abidjan, « le numérique, avec la digitalisation de l’économie, doit permettre de renforcer la contribution des villes à la croissance du PIB national. » Il ajoute : « Dans les villes africaines, on voit apparaître une nouvelle génération d’entrepreneurs formés aux nouvelles technologies. Ils savent pallier le manque d’infrastructures ou une bancarisation encore insuffisante, la téléphonie mobile leur permettant de payer des factures ou régler des salaires. Cette génération d’entrepreneurs, comme la jeunesse africaine, est connectée à la planète entière. On constate aussi que de plus en plus de start-up africaines inventent des applications destinées à améliorer au quotidien la vie des populations. » Parce que les villes africaines sont connectées avec un taux de pénétration de 80%, les technologies nouvelles deviennent l’un des vecteurs de la liberté d’entreprendre et l’un des moteurs de l’esprit entrepreneurial. Alors que l’Afrique anglophones avait pris de l’avance  dans le développement des écosystèmes numériques, l’Afrique francophone est en train de combler son retard avec la multiplication des incubateurs de start-up. Dakar et Abidjan sont en passe de concurrencer Lagos et de Nairobi dans ce domaine.

 

Les villes africaines

s’ouvrent à l’« écosystème Smart City »

 

Les « Smart Cities » sont des endroits où les technologies nouvelles et la connectivité sont au cœur des infrastructures urbaines, afin de mettre en relation tous les acteurs de la ville : les administrations, les entreprises, les associations et les citoyens.  L’objectif est de créer entre tous ces acteurs une synergie, afin de répondre aux besoins de chacun en offrant des espaces pour vivre, travailler, entreprendre, se déplacer, développer des activités innovantes et apprendre. Pour Rudolf Giffinger, qui enseigne à l’université technologique de Vienne, une smart city tépond à 6 critères : a) Une administration intelligente b) Un mode de vie intelligent c) Des habitants intelligents d) Une économie intelligente e) Un environnement intelligent f) Une mobilité intelligente. De nombreux projets montrent l’intérêt que porte l’Afrique au concept de ville intelligente. Ce concept de « Smart City » se développe dans une dizaine de pays sur les 54 que compte le continent. Parmi les piliers de la « ville intelligente » figurent les technologies de l’information, la connectivité, les réseaux intelligents, la mobilité (moyens de transports intelligents), l’administration intelligente, l’environnement intelligent (traitement des déchets), la maison intelligente et des habitants « intelligents », c’est-à-dire connectés.

L’enjeu pour les Etats africains est donc de réussir une double révolution : mettre fin à tous les dysfonctionnements du chaos urbain et bâtir des « villes intelligentes ».

 

Christian Gambotti

Président du think tank

Afrique & Partage

Directeur général de la société ECFY

Directeur de la Collection

L’Afrique en Marche

 

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(1)Source : Laurent Caramel, « Un milliard de citadins dans vingt ans : l’Afrique est-elle prête ? », Le Monde-Afrique, publié le 30/07/2017.

(2)L’Intelligent d’Abidjan consacrera dans les prochaines semaines un dossier aux « Smart Cities » africaines.

(3)YesWeCange a mis en place à Abidjan un vaste programme de formation à l’économie numérique ouvert à tous. Pour contacter la société : contact@yeswecange.com

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