LA CHRONIQUE DU LUNDI – QU’EST-CE QUI PEUT SAUVER L’AFRIQUE : SON INDUSTRIALISATION OU LE TOUT-NUMERIQUE ?

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Dernère publication

La Chine apporte des réponses qui symbolisent
Le rôle nouveau qu’elle entend jouer en Afrique et dans le monde
Cette chronique m’a été inspirée par le livre d’Irene Yuan Sun, The new factory of the world. How Chinese investment is Reshaping Africa (1), et par l’interview qu’elle a accordée au magazine Jeune Afrique sur le thème « Le tout-numérique ne sauvera pas le continent » (2). Dans son livre, Irene Yuan Sun développe la thèse suivante : la Chine, qui a abandonné l’idéologie au profit du pragmatisme économique, est en train de vouloir faire de l’Afrique une puissance manufacturière mondiale.

La priorité des priorités pour la Chine : l’industrialisation de l’Afrique

Description : Résultat de recherche d’images pour “the next factory of the world how chinese investment is reshaping africa” Certes, « la Chine est désormais le principal acteur étranger en Afrique, c’est aussi le plus grand partenaire commercial de l’Afrique et le plus important financeur d’infrastructures et la source d’investissement direct étranger qui connaît la croissance la plus rapide », selon l’éditeur du livre d’Irene Yuan Sun, mais l’erreur serait de croire qu’il s’agit d’une simple appropriation des richesses naturelles et des terres arables. La Chine est entrain de participer à l’industrialisation de l’Afrique. Ce sont les entrepreneurs chinois qui envahissent le continent pour investir dans des actifs à long terme, tels que des usines et des équipements lourds. Pour Irene Yuan Sun, la Chine n’est pas en train de faire subir à l’Afrique une deuxième colonisation en reproduisant l’exploitation par une puissance étrangère des ressources brutes. La Chine est en train de construire en Afrique ce qu’elle a construit chez elle : une puissance manufacturière. La Chine n’est plus simplement l’atelier du monde, elle est devenue une puissance industrielle. Elle n’a jamais renoncé à son industrialisation. Il ne faut pas voir la Chine comme un pays communiste qui fait de la politique, mais comme un pays d’entrepreneurs qui viennent construire en Afrique des entreprises. L’histoire de la ChinAfrique est devenue une histoire d’entreprises.
L’analyse que fait la Chine est simple : 50 ans de programmes d’aide occidentaux n’ont pas réduit la pauvreté en Afrique. Pour ouvrir de nouveaux marchés aux produits chinois, une autre stratégie est nécessaire, celle de l’industrialisation de l’Afrique. Paradoxe ? Non. En pariant sur une transformation induite par l’industrialisation, l’Afrique s’inscrira dans une logique de développement qui a été celle de l’Occident au XIXè siècle, du Japon au début du XXè et des « Tigres d’Asie » à la fin du XXè. Pour Irene Yuan Sun, l’industrialisation d’un pays, d’un continent, est la seule méthode de développement qui permet d’améliorer le niveau de vie de toute une société. Aujourd’hui, les nouveaux patrons d’usine chinois installent des machines, embauchent des travailleurs et des dirigeants africains, créent de la valeur ajoutée. Dans son livre, Irene Yuan Sun, à travers des histoires humaines fascinantes, mais aussi des analyses économiques pertinentes, démontre que « la prochaine usine du monde » sera le continent africain. Cette industrialisation de l’Afrique, désormais voulue par la Chine, traduit le rôle nouveau que la Chine entend jouer dans le monde. Elle offre à une Afrique capable de produire des biens manufacturés la possibilité de trouver sa place dans les échanges commerciaux d’une économie mondialisée. D’ailleurs, la Chine vient de signer des accords commerciaux qui vont permettre à l’Afrique d’exporter plus en Chine.

Sortir de l’illusion
du tout-numérique

L’Afrique est un continent dont l’économie et le PIB reposent essentiellement sur l’agriculture. Certains voudraient que l’Afrique passe de l’agriculture au tout-numérique en sautant l’étape de l’industrialisation. Irene Yuan Sun pose la question suivante : « Les pays africains peuvent-ils passer d’une économie agricole à une économie numérique et de services en sautant la case industrialisation ? » (2) Cette idée est défendue par les géants américains d’internet, elle est reprise par les « think tanks » occidentaux qui, elle imbibe les générations nouvelles africaines, elle influence les Etats. Or, il s’agit d’une illusion : le tout-numérique ne peut ni sauver le continent africain, ni sortir les populations de la pauvreté. Cette illusion est entretenue pat un discours marketing qui vante le « leapfrog », c’est-à-dire le fait de sauter l’étape de l’industrialisation. Or, cette étape est nécessaire. Il manque à l’Afrique, dans tous les domaines, un réseau dense d’entreprises, de PME, capables de de transformer la matière première brute en produits à forte valeur ajoutée. Pour Irene Yuan Sun, il n’existe aucun pays dans le monde, si l’on excepte quelques rares cas comme le Qatar, qui disposent d’importantes réserves de matières premières à très forte valeur indispensables à l’économie mondiale, qui soit sorti de la pauvreté en sautant l’étape de l’industrialisation. En outre, l’industrialisation reste le seul moyen qui permet d’accroître rapidement la productivité et qui favorise l’innovation.

Combiner l’industrialisation et le développement
du numérique

En tirant les leçons de ce qui s’est passé dans le monde ces dernières années, l’Afrique doit se mettre en capacité de conduire un même temps une politique d’industrialisation et de développement des réseaux internet haut débit. Pour Irene Yuan Sun, « il faut à la fois construire des réseaux internet haut débit et encourager l’industrialisation. » Il est évident que les technologies ont un rôle essentiel à jouer dans le développement et la transformation de l’Afrique et de son économie. D’ailleurs, les sociétés technologiques chinoises, comme Huawei, réussissent très bien en Afrique, alors qu’il y a dix ans toutes les infrastructures étaient fournies par les Occidentaux. Quelle est la traduction du titre du livre d’Irene : « La nouvelle usine du monde. Comment l’investissement chinois transforme l’Afrique ». Cette transformation, voulue et théorisée par la Chine, est celle de l’industrialisation de l’Afrique.

Christian Gambotti
Agrégé de l’Université
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur général de la sociéé YCFY
Directeur de la Collection
L’Afrique en Marche

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(1)Irene Yuan Sun, The new factory of the world. How Chinese investment is Reshaping Africa, Ed. Harvard Business Review Press, 2017.
(2) Irene Yuan Sun, « Le Tout-numérique ne sauvera pas le continent », entretien accordé au magazine Jeune Afrique, n° 3005-3006, du 12 au 25 août 2018, p. 37.

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