LA CHRONIQUE DU LUNDI-Réélection du Président Alassane Ouattara: une page nouvelle s’ouvre-t-elle pour la scène politique ivoirienne?

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Dans l’esprit d’Alassane Ouattara, sa réélection ne prépare-t-elle pas un profond bouleversement de la scène politique ivoirienne en étant le dernier épisode de la présence au pouvoir depuis des décennies de sa génération ?

Depuis 1993, la distribution du pouvoir politique s’est faite, entre les mêmes acteurs : Bédié, 86 ans (Pdci), Gbagbo, 76 ans (Fpi), Ouattara, 78 ans (Rdr, puis Rhdp). En 2020, ces trois figures occupent toujours le devant de la scène politique ivoirienne. Incontournables, ils personnifient le pouvoir et incarnent dans leur parti, pour des raisons multiples, la figure du chef. Après la brutale disparition d’Amadou Gon Coulibaly, la candidature d’Alassane Ouattara est apparue comme une évidence pour le Rhdp ; Bédié a été plébiscité par le Pdci-Rda. Au Fpi, la situation est moins confortable pour Pascal Affi N’Guessan, qui s’est épuisé, depuis des années, à se battre contre un FPI resté fidèle à Laurent Gbagbo. Interdit de légitimité par la figure tutélaire de Gbagbo, Affi s’est radicalisé, ce qu’il ne souhaitait probablement pas.
L’opposition voit dans la réélection d’Alassane Ouattara une confiscation du pouvoir par un homme. Cette réélection ouvre en réalité, pour la scène politique ivoirienne, le champ d’une profonde transformation. Alassane Ouattara voudra mettre à profit ce mandat pour préparer l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération, ce que vient de refuser, par avance, Laurent Gbagbo et, implicitement, Henri Konan Bédié, qui n’avait pas voulu l’organisation de primaires ouvertes au sein de la coalition du Rhdp. Monsieur Henri Konan Bédié, à 86 ans, voulait être ce candidat unique en 2020. « Transférer le pouvoir à une jeune génération », est une idée qui ne quitte pas Ouattara. Il voudra probablement réintroduire dans la constitution une limite d’âge à 75 ans pour être candidat à la présidentielle.

Le contenu du nouveau mandat d’Alassane Ouattara

La question n’est pas celle des grandes orientations des politiques publiques au cours de ce mandat, ces orientations sont connues.
1) Au plan économique – Ouattara voudra poursuivre sur la voie de la consolidation de l’économie. Un nouveau chantier s’ouvre à lui : infléchir la dépendance de la croissance ivoirienne à la commande publique en accélérant le développement d’un secteur privé capable de prendre le relais de l’Etat investisseur, créer des champions nationaux et des emplois. Autre défi de taille : délocaliser le développement, Abidjan concentrant l’essentiel des richesses que produit le pays.
2) Au plan social – La réussite économique permet d’aller vers une croissance plus inclusive avec, comme objectifs, la réduction de la pauvreté, l’augmentation du pouvoir d’achat, et l’amélioration des conditions de vie. Pour Ouattara, la promesse de 2011, qui a été de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent, ne se limite pas à l’économie, elle inclut la mise en œuvre des politiques sociales qui vont permettre l’accès aux services de base pour tous les Ivoiriens.
3) Au plan politique – Le retour à la stabilité politique a été l’un des acquis de la décennie Ouattara. La présidentielle de 2020 a montré combien cette stabilité reste menacée. Si les divisions réapparaissent au moment des élections, est-ce par la faute des Ivoiriens ou celle de certains politiciens qui les réactivent ? Plus d’une centaine de discours de haine ont été relayés sur les réseaux sociaux par des groupes, des pages et des profils.
4) Au plan de la réconciliation nationale – Ouattara a construit une première étape indispensable dans la marche vers la réconciliation et une paix durable en retrouvant, de 2011 à 2019, le chemin d’une croissance forte et durable. La réussite économique permet de promouvoir le « produire et consommer ensemble », un des éléments du « vivre ensemble ». Il reste à réactiver les instances de dialogue au plan national et localement.

Conserver l’unité du Rhdp

L’une des raisons qui ont conduit Ouattara à être candidat, c’est une volonté de préserver l’unité de sa famille politique. Le Rhdp, qui est assuré de conserver la majorité à l’assemblée nationale, restera sous le contrôle du Président de la République, sa réélection donnant un poids politique et une dimension supplémentaires à son prestige. Il est celui qui aura permis au Rdr d’accéder au pouvoir en 2011 et au Rhdp de conserver ce pouvoir pendant 10 ans (2015-2025). Nul doute que, comme il l’avait fait avec Amadou Gon Coulibaly, il voudra intervenir dans le choix de son successeur, qui aura pour mission de poursuive l’œuvre engagée en 2011. Les ruses du destin et les réalités politiques l’ont conduit à être candidat en 2020, ce n’était ni son désir, ni sa volonté, encore moins le besoin d’assouvir une soif de pouvoir.

Les partis d’opposition au défi de la reconstruction

En boycottant l’élection présidentielle de 2020 et si elle boycotte les élections législatives qui vont suivre, l’opposition prendra un retard difficile à combler dans sa marche vers la conquête du pouvoir. Beaucoup plus que la poursuite d’alliances de circonstances, dans lesquelles chacun trahira, à un moment ou à un autre, ses alliés, le véritable chantier est, pour chaque parti, sa propre reconstruction. Les nouvelles générations du Pdci voudront-elles pousser Bédié vers la sortie ? En faisant savoir son refus de soutenir la création du Conseil national de transition et en lançant un appel au dialogue, l’ex président Laurent Gbagbo désavoue Bédié et Affi, et il confirme son intention de revenir dans le champ de la politique ivoirienne. La réélection d’Alassane Ouattara se traduit, pour les partis d’opposition, par la nécessité de se reconstruire. Ils risquent ainsi de se retrouver sous une double menace : les guerres internes que ne manqueront pas de se livrer celles et ceux qui voudront être candidats à l’élection présidentielle de 2025 ; les trahisons qui se produisent entre des alliés de pure circonstance que rien ne rassemble en réalité.

Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank
Afrique & Partage-
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction
du magazine Parlements & Pouvoirs africains.

 

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