LETTRE OUVERTE AUX IVOIRIENNES ET AUX IVOIRIENS

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Dernère publication

Les députés ivoiriens ont voté le mardi 11 octobre 2016, en plénière, après seulement quelques heures de discussions les 184 articles du projet de loi portant avant projet de la nouvelle Constitution. Une performance mondiale à inscrire dans le livre Guinness des records.

En dépit de son caractère manifestement illégal et illégitime, soulevé par de nombreux partis politiques et organisations de la société civile, et de ce qu’il n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable avec le peuple, il est passé comme une lettre à la poste.

Honorables députés, chers élus du PDCI et du RDR,

En agissant ainsi, vous avez privilégié vos intérêts partisans plutôt que de ceux de la Nation dans son ensemble ; cela discrédite gravement notre Assemblée Nationale, au regard du mandat non impératif qui devrait caractériser votre vote. Vous avez choisi, délibérément, de ne plus jouer votre rôle de contrepouvoir crédible à l’exécutif dont les hommes sont désormais et plus que jamais au commencement et à la fin du processus d’élaboration de la nouvelle Constitution, lequel processus aurait dû être indépendant, inclusif et participatif.

M. Alasssane Ouattara, Chef de l’Etat,

Le vernis juridique et moral de la mise sur pied d’un prétendu “Comité d’Experts” dont les membres ont tous été cooptés par vous lui enlève par la même occasion toute représentativité et crédibilité. En fait, les membres de ce Comité ne sont rien d’autre que des scribes qui ont traduit dans cette Constitution liberticide et rétrograde votre volonté exprimée depuis déjà plusieurs mois de doter notre pays de règles et d’institutions constitutionnelles à la seule gloire et convenance des hommes de votre sérail.

Comment admettre que la mère de toutes nos normes, la Constitution, celle qui institue les règles fondamentales d’exercice du pouvoir et qui en définit les limites, puisse être écrite par les hommes du pouvoir et ceux que ce même pouvoir a désigné ? Pourquoi le pouvoir veut-il s’ériger en juge et partie, arbitre et joueur si ce n’est pour couvrir d’obscures manœuvres politiciennes au détriment du peuple ivoirien ?

Cette volonté explicite et sans ambiguïté du Chef de l’Etat de se tailler une Constitution sur mesure pour amplifier plus que de raison ses pouvoirs déjà exorbitants ne peut au final que, tôt ou tard, conduire notre pays dans le gouffre.

Messieurs les membres du Comité des Experts, chers juristes,

Observant à la lettre les instructions du maître à penser, vous entérinez les ordres du monarque en habillant d’un voile juridique son omnipotence en offrant aux ivoiriens l’institution d’un hyper Président qui, détenant déjà un pouvoir absolu au sein de l’exécutif, où il nomme le vice-Président, le 1er ministre et les membres du Gouvernement, devra aussi avoir une mainmise totale sur le pouvoir judiciaire où il nommerait tous les hauts magistrats, et enfin participerait à l’exercice du pouvoir législatif où il pourra désormais nommer des parlementaires, 1/3 des membres du Sénat.

Une telle concentration de pouvoirs aux mains d’un seul homme est inédite, et n’a jamais été vu même dans les pires dictatures de ce monde. Nonobstant cela, vous vous êtes rendus complices et coupables d’une si grotesque forfaiture. Pourrez-vous encore regarder vos étudiants droits dans les yeux après ce bradage de votre dignité et de votre conscience ?

Chers compatriotes, Ivoiriennes, ivoiriens,

Nous ne devons pas accepter ce recul démocratique dans notre pays, pour nos enfants et pour les générations à venir. L’accepter c’est détruire à jamais l’héritage de la lutte émancipatrice légué par le père de la nation, le Pdt Félix Houphouët-Boigny. L’accepter c’est aussi renoncer aux acquis démocratiques des combats politiques du père de la démocratie ivoirienne, le Pdt Laurent Gbagbo.

Jeunes ivoiriennes et ivoiriens,

La Côte d’Ivoire dont la Constitution actuelle a été le prétexte au déclenchement d’une longue crise politico-militaire a plus que jamais aujourd’hui besoin d’une Constitution consensuelle, dans laquelle, tous, nous devons nous retrouver.

Curieusement, la Constitution qu’on veut vous servir et dont les concepteurs disent qu’elle va réconcilier les ivoiriens ne touche aucune des dispositions fondamentale relative à la Commission Électorale Indépendante (CEI), encore moins celles concernant le Conseil Constitutionnel, institutions pourtant au cœur des différentes crises que notre pays a connus depuis des décennies. Dans cette nouvelle Constitution, c’est encore le Pdt de la république qui nomme les Présidents de chacune de ces deux institutions, mettant ainsi en doute leur indépendance.

Femmes, jeunes de Côte d’Ivoire,

Notre pays n’a pas besoin d’une Constitution manifestement confligène, car les cicatrices de la dernière crise postélectorales sont encore fraîches. Nous n’avons pas besoin d’une Constitution qui institue un Sénat budgétivore alors que la paupérisation est grandissante, la cherté de la vie, le chômage, injustice et l’insécurité ne sont pas jugulés et sont de vraies et actuelles préoccupations pour les ivoiriens.

Nous n’avons pas besoin d’un exécutif tricéphale, comportant un Président, un vice-Président et un 1er Ministre. Comment pouvez-vous accepter que le Chef de l’Etat nomme un vice-Président et que ce dernier et le 1er ministre puisse en cas de vacance du pouvoir présider notre pays alors qu’aucun d’eux n’a été élu par le ivoiriens à cet effet.

Ivoiriennes, ivoiriens,

Les communicants du Gouvernement vous rétorqueront probablement qu’ils vous appartient, vous, peuple de Côte d’Ivoire, de vous prononcer en dernier ressort et de trancher à l’occasion du prochain référendum que le pouvoir veut précipitamment organiser dans les jours à venir.

Pourquoi voudraient-ils vous soumettre à un référendum et au vote d’une Constitution illégale dont les règles du jeu ont été dès le début déjà piétinées, ce qui a notamment permis de franchir sans encombre l’étape d’une l’Assemblée Nationale partisane et complaisante ?

En réalité, ils savent pouvoir compter sur l’engrenage bien huilé de leur machine électorale pour que ce référendum ne soit qu’une simple formalité en vue de faire passer leur Constitution comme une lettre à la poste avec les habituels scores soviétiques qu’ils nous servent depuis un certain temps, ce qui leur permettra ainsi de se revêtir de l’onction du peuple qu’ils ont pourtant royalement ignoré durant tout le processus.

Compatriotes, patriotes ivoiriens,

La démocratie c’est d’abord le consensus. L’élection n’est pas la démocratie. Et les résultats d’une élection référendaire illégale et illégitime ne devraient pas vous convaincre du caractère démocratique de l’adoption de cette Constitution et rendre immaculé un processus constituant faussé à la base.

Ivoiriennes, ivoiriens,

L’élaboration d’une Constitution consensuelle est aujourd’hui la seule voie que nous devons emprunter si nous voulons bâtir un État fort, riche et démocratique dont nous rêvons tous en Côte d’Ivoire. Voilà pourquoi, au nom de l’intérêt collectif, nous devons tous revendiquer une Constitution écrite par et pour le peuple et non par et pour les seuls hommes du clan au pouvoir.

Chers compatriotes,

Nous ne sommes pas obligés d’accepter cette Constitution comme une fatalité. Nous pouvons et devons faire mieux à travers un contrat social consensuel et non malicieusement imposé comme cela est en voie de l’être. Comment faire ? Pour obtenir une bonne Constitution véritablement démocratique, c’est-à-dire émanant du peuple, trois (3) conditions s’imposent à nous, à tous :

1 – Installer une Organe constituant indépendant du pouvoir et autonome en lieu et place du Comité des Experts mis en place qui indiscutablement a été aux ordres du pouvoir.

2 – Veiller à une composition équilibrée de l’Organe Constituant de sorte qu’il soit le plus représentatif possible de la Nation dans toutes ses composantes.

3 – Prendre le temps, tout le temps nécéssaire qu’il faudra, pour élaborer notre Constitution, sans aucune espèce de pression, si ce n’est celle de bien l’écrire.

Chers compatriotes,

La Côte d’Ivoire à laquelle nous aspirons tant, ne se bâtira qu’à partir de textes fondateurs rédigés démocratiquement. Certes, nous avons un droit au vote. Mais pour l’heure, nous devons tous, ensemble, unis, revendiquer d’abord notre droit à la parole avant d’exercer notre droit de vote. Exigeons notre participation aux débats surtout quand il est question d’établir les textes fondateurs de la Nation ; de rédiger notre Loi fondamentale, celle qui édicte les règles et les limites du pouvoir.

Laisser cette précieuse tâche constituante aux bons soins des hommes au pouvoir, c’est comme demander à des employés (les hommes au pouvoir) de rédiger eux-mêmes leur contrat de travail pour le soumettre à leur employeur (le peuple).

Tout l’enjeu est en effet de prendre conscience que tous nos problèmes sociétaux seront directement liés à ce texte fondamental qui définira le régime politique dans lequel l’impuissance du citoyen est programmée d’avance face aux dérives inévitables du pouvoir. Parce que nous le savons tous, « le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ».

J’espère que le Chef d’Etat saura, il n’est pas trop tard, entendre raison pour retirer son projet Constitutionnel dans l’intérêt général, pour servir la cause d’une Nation soudée et pour que sa Constitution ne soit pas le prétexte de crises de quelques nature dans notre pays, car c’est bien connu, les mêmes causes produisent les mêmes effets.

J’appelle, à mon humble niveau, le peuple ivoirien à la plus grande vigilance et à ne pas se sentir concerné par ce texte constitutionnel qui les a ignoré et qui n’a pour but que de les appauvrir et les asservir davantage.

Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire.
Jean Bonin
SGA du FPI
Chargé de la Communication et du Marketing politique

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