Ouédraogo Mohamed, PCA de SO.CAAN meilleure coopérative nationale :“Nous sommes engloutis par les pratiques des banques et de nos partenaires”

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Après sa distinction lors de la 6ième édition de la JNCC à Abidjan où sa coopérative a été déclarée meilleure coopérative nationale au cours de la campagne 2018-2019 écoulée, nous avons rencontré Ouédraogo Mohamed, PCA de la SO.CAAN (Société coopérative agricole Adzopé nord) qui livre ici, le difficile et exaltant parcours qui l’a amené sur le podium. Il a dépeint aussi les difficultés que rencontrent les producteurs et autres acteurs de la filière café-cacao. Entretien.

Votre coopérative a été désignée meilleure coopérative nationale lors de la 6ième édition des journées nationales du cacao et du chocolat (JNCC). Comment êtes-vous arrivé à ce résultat ?

J’ai débuté comme pisteur intermédiaire dans la filière café-cacao de 1992 à 1994, à Ananguié, avec pour seul instrument de pesage, une bascule romaine. En 1994, j’ai créé ma propre société pour acheter directement le cacao aux planteurs pour le livrer à une société de négoce (DAFCI) basée au port autonome d’Abidjan. Petite structure à moyen financier très limité, je ne livrais que 10 à 30 tonnes de produits agricoles (café-cacao) à mon partenaire. Par la suite j’ai dû quitter ce partenaire au bout de trois campagnes pour me tourner vers les libanais à cause du manque de moyen financier. C’est donc finalement en 2007 que j’ai créé une coopérative dénommée SO.CAAN avec 156 planteurs du village d’Ananguié dans le département d’Adzopé. Et c’est en 2008 que nous avons eu l’agrément. Et à partir de ce moment, puisqu’en règle, j’ai commencé à travailler avec Cargill, une multinationale dans le négoce du café-cacao, à laquelle nous avons livré 600 tonnes de cacao au cours de la campagne 2008-2009. Nos problèmes de financement demeuraient comme toujours un goulot d’étranglement qui nous asphyxiait. Il faut dire aussi que c’est avec l’aide de Cargill que nous avons obtenu la certification (UTZ). Dans la même période, nous avons acquis un autre certificat dénommé ‘Label Fair trade’. Aujourd’hui, ma coopérative compte 356 membres qui se partagent des ristournes à la fin de chaque exercice.

Quel le secret de votre réussite ?

Vous savez, en toute chose il faut croire en soi. Et je me suis bâti l’âme d’un gagneur. J’ai été confronté à de nombreuses difficultés à mes débuts. Mais j’ai persévéré. Dans la filière cacao, il y a la qualité des fèves qui joue beaucoup dans la performance. Mais il faut surtout être attentif aux conseils des agents du conseil café-cacao ou encore ceux prodigués par les agents d’ANADER. Ce sont des spécialistes qui donnent des conseils utiles. Et nous les avons suivis pour atteindre le sommet aujourd’hui. En un mot, c’est le travail bien fait et la confiance méritée des membres de la SO .CAAN. À chaque ouverture de campagne, nous tenons des réunions de travail avec nos coopérateurs pour leur indiquer ce que nous attendons d’eux. Cette réunion est essentiellement liée à la qualité et au taux d’humidité que nous fixons à grade 7% même si à Abidjan, il est fixé à 8%. Nous le faisons ainsi, de façon technique, pour que nous ne dépassions pas le taux d’Abidjan au moment de la vente. Je consens beaucoup de sacrifices dans la formation des producteurs, dans l’entretien des véhicules de collecte des produits pour des ramassages à temps des produits pour éviter qu’ils ne se dégradent. En gros, nous travaillons à la qualité de nos produits. Et c’est tout cela qui nous a valu plusieurs prix au régional avant d’être primé cette année comme la meilleure coopérative nationale avec 8260 tonnes de cacao et 300 tonnes de café lors de la campagne 2018-2019 achevée comme la meilleure nationale. Nous avons eu la promesse d’un véhicule de marque Hunydai, 5 millions et un don du chef de l’Etat, un trophée et d’autres choses. Mais avant cela, de 2015 à 2018, j’ai été désigné meilleure coopérative régionale (Agboville) où en 2018 on a été désigné non seulement meilleure coopérative régionale mais aussi 3ième meilleure nationale.

Lors de votre présentation au préfet, celui-ci vous a félicité pour avoir déclaré les 40 agents qui travaillent avec vous à la CNPS. Est-ce un acte de générosité ou une obligation faite aux coopératives par le Conseil café-cacao de déclarer vos agents?

J’ai oublié de vous dire que pour être désignée meilleure coopérative nationale, il y a en plus des critères liés à la qualité, d’autres critères comme les actions sociales ou mêmes la bonne tenue des locaux abritant le siège qui sont des critères très sélectifs et importants qui pèsent lourds dans la balance. Et le volume de vente vient en 3ième position. Ce que poursuit ma coopérative, c’est le bien-être des membres que j’ai pu faire enrôler à 80% à la couverture maladie universelle (CMU) en plus des 40 employés déclarés à la caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS). Nous avons construit une école complète à laquelle s’ajoute un bureau des enseignants, des latrines et offert des table-bancs au village d’Ananguié où est née la toute première section de la coopérative. Dans le même village, nous avons agrandi et réhabilité la mosquée. À Agnanfoutou, un autre village du département, nous avons construit un forage et réhabilité un dispensaire à Biasso, un autre village d’Adzopé. Nous avons d’autres actions d’envergure au cours des 3 prochaines années. En plus de tout ce que nous venons de vous dire, nous avons distribué jusqu’à ce jour plus de 60 000 pieds de pépinières de café et de cacao à nos coopérateurs pour le renouvellement de leurs vergers. Et c’est nous encore qui prenons totalement en charge le traitement par des produits phytosanitaires des plantations de nos planteurs. Tout cela se chiffre à plus de 210 millions de francs Cfa. Et quand on y ajoute les coûts d’acquisition de six (06) véhicules de collecte et de ramassage (101 millions Cfa) et de deux (02) remorques d’une valeur de 90 millions pour la campagne 2018-2019, c’est dire que nous avons opté pour le bien-être de nos coopérateurs qui ne demandent pas mieux. Figurez-vous que la SO.CAAN est à l’heure de l’électronique. Elle s’est dotée d’une balance électronique et ne paye plus ses planteurs main en main mais par chèque pour garantir la sécurité de ses coopérateurs. En plus, nous sommes conscients des grands enjeux climatiques, du travail des enfants dans les champs de cacao et de la lutte pour la préservation du climat par l’agroforesterie. Chez nous à SO.CAAN, il y a ceux qu’on appelle ADG (administrateurs des groupes) répartis dans toutes les sections qui, après leur formation par UTZ et Label Fair Trade, forment eux aussi à leur tour nos planteurs sur le travail des enfants, la question de la préservation de l’environnement, la conservation des forêts classées, la certification, les activités génératrices de revenus des femmes qui demeurent un point essentiel de nos activités. Quant au programme de l’agroforesterie, nous avons commencé à distribuer déjà des pépinières d’arbres d’ombrage à nos planteurs afin de participer à ce merveilleux programme gouvernemental.

Dites-nous, quelles sont les difficultés majeures que rencontrent les coopératives dans l’exercice de leur fonction ?

Nous avons des difficultés liées à l’insuffisance du nombre de sacs que nous livre le Conseil café-cacao. Mais on arrive à juguler cela par un système de ‘jonglage’. Ainsi au cours de la campagne passée, c’est au total 4000 sacs que ma coopérative a réceptionnés. Cela s’avère très insuffisant. Les exportateurs qui devraient nous en donner n’arrivent pas à nous satisfaire. Donc la campagne dernière, j’ai dû débourser la bagatelle somme de 8 millions pour l’achat de 22 000 sacs. Vous voyez que cela grève fortement nos bourses. Aussi, le difficile accès des routes nous cause de réels problèmes pour l’évacuation de nos produits. C’est tous les jours qu’il faut aller faire réparer les camions de ramassage pour cause de pannes fréquentes. Tout cela a des coûts que nous supportons difficilement à chaque période de campagne. Le plus gros problème que nous rencontrons et qui nous donne l’insomnie, c’est le financement de nos activités qui sonne comme un goulot d’étranglement pour les sociétés coopératives. L’accès au financement dont le taux d’intérêt est très élevé est comme un goulot d’étranglement pour nous, coopératives. Et les conditions d’octroi de financement est très délicat. Voyez-vous que pour un prêt de 500 millions, il faut tout d’abord une caution de 20%. Ce qui veut dire que la coopérative doit déposer 100 millions à la banque avant de constituer les dossiers à 20 millions. Si mes calculs sont bons, cela fait déjà 120 millions qu’on aura dépensés sans avoir eu l’argent. En plus, le prêt va être remboursé sur seulement 6 mois avec un taux d’intérêt de 1%. Ce qui veut dire qu’au bout des 6 mois (date limite de remboursement) la coopérative va payer 30 millions. C’est vraiment étouffant. C’est comme une strangulation qu’exercent les banques sur les coopératives. Malgré toutes ces conditions drastiques, il faut encore hypothéquer ou gager des biens pour pouvoir avoir accès à un prêt. Et nos partenaires, les exportateurs aussi ne nous arrangent pas du tout. La campagne s’ouvrant en octobre, nos partenaires s’ils vous octroient un prêt, il est à rembourser à la mi-décembre. Et ce qu’ils donnent n’est pas consistant même s’ils n’y affectent pas de taux d’intérêt. Et moi, je n’appelle pas ça une aide. Nous sommes engloutis par les pratiques des banques et de nos partenaires. Eux qui devraient nous soutenir dans cette œuvre gigantesque de la modernisation de la filière du café-cacao. D’ailleurs, pour tout cela, ici à SO.CAAN, pour cette campagne 2019-2020, nous avons un slogan qui est fait pour nous amener à l’autonomisation qui est libellé ainsi : ‘Pour l’autonomisation de notre coopérative’. C’est pourquoi, nous allons consacrer nos bénéfices à notre structure afin d’échapper à la ‘dictature’, aux griffes et à l’étranglement des exportateurs et des banques.

Quels appels voudrez-vous donc lancer aux gouvernants et aux acteurs de la filière ?

Nous envisageons pour les 3 ans à venir, par notre plan de développement (PND), construire un dispensaire à Nyan (un village du département), offrir une ambulance au dispensaire de Bassadzin et une école primaire à Yakassé-Mé… Nous envisageons aussi acquérir 18 nouveaux camions de ramassage pour faciliter la collecte des produits au vu du nombre sans cesse croissant des membres qui affluent chaque jour. Mais nous ne pourrions mettre tout cela en œuvre que si le Conseil café-cacao nous approvisionne en nombre suffisant en sacherie et que les banques revoient les conditions d’octroi de prêts ainsi que nos partenaires exportateurs.

Interview réalisée par Ahou Moayé

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