DE 1990 A 2020 :l’ Évolution de la scène politique ivoirienne

6591

Dernère publication

L’annonce faite par le Président Alassane Ouattara qu’il ne sera pas candidat à l’élection présidentielle de 2020 ouvre-t-elle le champ du possible d’un meilleur épanouissement démocratique et d’une plus grande stabilité politique ? Il ne s’agit pas, dans cette Chronique, de dresser, dans tous les domaines, un bilan de la décennie Ouattara.

L’Intelligent d’Abidjan y consacrera plusieurs articles, dans les jours qui viendront, qui permettront d’évaluer ce bilan et d’analyser son testament politique tel qu’il apparaît dans le Discours du jeudi 5 mars 2020, prononcé devant les parlementaires. L’hypothèse de travail qui est la mienne est la suivante : les décennies 1990-2000 et 2000-2010 se caractérisent par les soubresauts d’une histoire largement ponctuée par des moments tragiques. La décennie 2010-2020 semble avoir installé le pays sur le chemin de l’émergence grâce à une plus grande stabilité politique. Sans stabilité politique, il ne peut pas y avoir de croissance économique et de progrès social. La décennie 2010-2020 marque donc, selon moi, une rupture avec les décennies 1999-2000.

1990-2000, 2000-2010 : les soubresauts d’une histoire ponctuée par des moments tragiques

● 1990-2000 – 1990 est une date importante avec le passage au multipartisme qui, loin de se traduire par un épanouissement démocratique, va installer peu à peu l’affirmation identitaire des groupes ethniques dans l’espace politique. Les tensions ethniques, tribales et régionales, qui existaient dans la sphère économique, vont s’installer dans le champ politique. Successeur désigné du président Houphouët-Boigny en 1993, Henri Konan Bédié remportera l’élection présidentielle d’octobre 1995 à une écrasante majorité (95,25 %). Cette victoire, sur fond d’instrumentalisation du concept d’« ivoirité », un concept qui interdira à Ouattara d’être candidat en 1995 et 2000, et de difficultés économiques, ne peut que conduire à une impasse. En décembre 1999, Henri Konan Bédié est renversé par un coup d’Etat militaire. Le général Robert Guéï devient chef de l’État de Côte d’Ivoire.

● 2000-2010 – Le régime issu du putsch organise, en octobre 2000, l’élection présidentielle. Les candidatures d’Henri Konan Bédié et d’Alassane Ouattara sont éliminées par la Cour Suprême. Le général Robert Guéï se fait proclamer vainqueur. Des troubles éclatent, Guéï est chassé du pouvoir, Laurent Gbagbo est alors proclamé vainqueur par la Cour suprême. Robert Guéï, qui fut un bref Chef d’Etat (du 23 décembre 1999 au 26 octobre 2000) est assassiné le 19 septembre 2002. Sous la présidence de Laurent Gbagbo, éclate une grave crise politico-militaire (2002-2007). On assiste à la partition du pays en deux zones : le sud tenu par les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) et le nord tenu par les Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN). L’élection présidentielle de 2005 ne peut avoir lieu. En 2007, l’accord politique de Ouagadougou permet de réunifier le pays. Le Secrétaire général des Forces Nouvelles, Guillaume Soro, est nommé Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale.
On peut dire que de 1990 à 2010, la Côte d’Ivoire a connu deux décennies d’instabilité politique (coup d’Etat de décembre 1999, tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002) et d’effondrement économique. Des pans entiers de l’économie sont en faillite. Le pays ne vit pas . Il survit.

2010-2020 : la décennie Ouattara

La décennie Ouattara commence pourtant mal avec la grave crise post-électorale de 2010-2011 qui fera plus de 3 000 morts.

● L’évolution politique
– On retiendra de cette période difficile le rôle de Bédié, qui, en homme d’Etat, en se désistant, pour le second tour de 2010 en faveur d’Alassane Ouattara. Ceci dans le respect des engagements pris le 18 mai 2005 à Paris , à la la coalition du RHDP avec le RDR et trois autres mouvements politiques. Il lance le 17 septembre 2014, l’Appel de Daoukro, qui permettra à Ouattara, d’être, en octobre 1995, le candidat unique du RHDP à l’élection présidentielle. Ce que l’on retient aujourd’hui, c’est la formidable ambiguïté de l’Appel de Daoukro, Bédié et Ouattara n’ayant pas interprété de la même manière le sens de cet Appel. Bédié veut y voir l’obligation pour Ouattara d’accepter une alternance en 2020 pour le candidat du PDCI. Cette ambiguïté conduira à une rupture entre les deux hommes. La coalition du RHDP est transformée en parti unifié le 16 juillet 2018 sans le PDCI.

● Un président qui respecte ses engagements et la constitution
: « Tout au long de ma carrière, j’ai toujours accordé une importance particulière au respect de mes engagements. En conséquence, j’ai décidé de ne pas être candidat en 2020. » C’est sur ces mots, devant les députés et sénateurs exceptionnellement réunis dans le grand amphithéâtre de la Fondation Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro, le jeudi 5 mars 2020, que le chef de l’État ivoirien a terminé son discours à la Nation. Ce respect des engagements a été salué par plusieurs acteurs de la scène politique ivoirienne et la communauté internationale.

C’est donc une ère nouvelle qui s’ouvre en Côte d’Ivoire avec l’élection présidentielle de 2020, Ouattara ajoutant : « [Ma] décision est conforme à ce que j’ai toujours dit, à savoir qu’il faut laisser la place à une jeune génération, en qui nous devons faire confiance, les jeunes Ivoiriens honnêtes, compétents, expérimentés, qui ont appris à nos côtés comme nous l’avons fait auprès du Père de la Nation Félix Houphouët-Boigny ». Le « il faut laisser la place à une jeune génération » est-il suffisant pour conduire Bédié et Gbagbo à renoncer à être candidats ?


Christian Gambotti

Agrégé de l’Université

Président du think tank

Afrique & Partage

Directeur des Collections

L’Afrique en Marche,

Planète francophone.

Commentaire

PARTAGER