LA CHRONIQUE DU LUNDI- Côte d’Ivoire: Les erreurs à ne pas commettre , ni pour Ouattara,ni pour l’opposition

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L’élection présidentielle du 31 octobre 2020 permet de mesurer l’écart qui existe entre le pays politique et le pays réel. Première évidence : l’élection d’Alassane Ouattara ne souffre d’aucune contestation, non pas grâce au score qu’il a obtenu, mais, tout simplement parce qu’il a affronté le verdict des urnes adossé un bilan positif incontestable. Depuis 2011, Ouattara et le Rhdp sont, électoralement, majoritaires dans le pays. Deuxième évidence : la radicalisation du noyau dur du Pdci autour de Bédié et de Pascal Affi N’Guessan, dont les GOR ne voulaient pas, s’explique par le fait que ni Bédié ni Affi N’Guessan ne pouvaient l’emporter dans les urnes.

Comment expliquer que depuis sa rupture avec le Rhdp, Bédié ne se soit pas préparé, à travers un programme alternatif, à affronter Ouattara dans les urnes ? Aveuglé par un esprit de revanche sur l’histoire, – il a été chassé du pouvoir par un coup d’Etat qu’il estime injuste -, et sur Ouattara, – qui ne l’a pas désigné comme candidat unique du Rhdp pour la présidentielle de 2020 -, Bédié s’est engagé dans l’impasse, suicidaire pour son parti, du boycott et de la désobéissance civile. L’instauration d’un Conseil National de Transition, dénoncé par Laurent Gbagbo, lui aurait permis d’être président sans passer par les urnes. J’avais écrit, à l’époque, que Bédié, en lançant l’Appel de Daoukro, avait sauvé la paix civile, la démocratie et la République. Par ce choix, il entrait dans l’Histoire. Est-il en train d’en sortir par la petite porte, alors que le pays pour consolider la réconciliation et le Pdci pour se reconstruire ont besoin de lui. Les femmes et les hommes de talent ne manquent pas au Pdci ; leur vocation n’est pas le boycott ou l’entrée dans un gouvernement d’union nationale, – une fausse bonne idée qui paralyse l’action -, mais d’aller, dans un cadre démocratique, aux élections législatives avec des propositions alternatives pour gouverner le pays. De son côté, le Fpi de Gbagbo ne commettra pas l’erreur de boycotter les élections législatives. La difficulté, pour le Pdci et le Fpi, est de sortir d’un ancrage trop ethnique et régional. Le Rhdp, parti unifié, tend à transcender les vieux clivages en réunissant les houphouétistes. Il en est de l’houphouétisme comme du gaullisme. Chacun se souvient de la fameuse phrase d’André Malraux : « Tout le monde a été, est et sera gaulliste. » En Côte d’Ivoire, alors que tous se réclament d’Houphouët-Boigny, beaucoup se détournent du message de paix et de dialogue qui fut celui du Père de La nation.

Les leçons de l’Histoire récente de la Côte d’Ivoire

Réélu avec plus de 90 % des voix et une participation de plus de 50 %, Alassane Ouattara connaît suffisamment la politique pour comprendre que sa victoire, qui est incontestable, car il s’est soumis au verdict des urnes, ne reflète qu’une partie du pays réel. Etre élu avec 90 % des voix ne signifie pas être soutenu par 90 % des Ivoiriens, une évidence qu’Alassane Ouattara lui-même ne conteste pas. Il sait très bien que le Pdci et le Fpi sont encore suivis par un nombre important d’électeurs. En revanche, il sait que ces deux choses : ces deux partis, qui représentaient autrefois, chacun, 1/3 des électeurs, n’ont plus le même poids électoral ; l’alliance bricolée entre Bédié et Affi N’Guessan, en refusant de se soumettre au verdict des urnes, a montré ses limites et fortement entaché la crédibilité d’une opposition qui est loin de représenter, contrairement à ce qu’elle affirme, le pays réel. De multiples raisons expliquent la montée de l’abstention depuis 2015. En réalité, Ouattara est le seul candidat qui dispose encore d’une base électorale suffisamment importante et le Rhdp , le seul mouvement qui dispose d’un maillage sur l’ensemble du territoire lui permettant de mobiliser les foules. D’ailleurs, le Rhdp, en 2015 et 2020 a mené une campagne active sur le terrain, l’opposition se contentant d’une campagne d’estrade et devant des journalistes avec des mots d’ordres se limitant à dénoncer la candidature d’Alassane Ouattara ou appelant, de l’extérieur, à un coup d’Etat militaire. L’élection a eu lieu à la date fixée et Ouattara a reçu les félicitations de toute la communauté internationale et de ses pairs africains. En apparence, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce n’est qu’une apparence. Ouattara sait qu’il doit réconcilier le pays politique et le pays réel, ce qu’il a commencé à faire en posant concrètement les actes d’un dialogue politique avec l’opposition. La surenchère de Bédié, qui pose « des conditions non négociables » afin de poursuivre ce dialogue, apparaît comme une ultime tentative du « Sphinx de Daoukro » pour rester maître du temps politique. Vaine tentative, car Ouattara est sûr de sa force politique et du soutien des Ivoiriens. De plus, la stratégie de Bédié qui s’est soldée par l’échec de la radicalisation commence à être contestée au sein du Pdci. Le Fpi de Gbagbo, débarrassé d Affi N’Guessan, entame sa reconstruction. Le pays ayant tourné la page de l’élection du 31 octobre 2020 et les Ivoiriens, avides de démocratie et de paix sociale, étant retournés à leurs occupations, Ouattara navigue-t-il sur un long fleuve tranquille ?

Les « collines » de Mandela

La fameuse phrase de Mandela vient nous rappeler que la construction d’un pays et d’une démocratie ne s’arrête jamais : « J’ai découvert ce secret : après avoir gravi une colline, tout ce que l’on découvre, c’est qu’il reste beaucoup d’autre collines à gravir. » Depuis 2011, Ouattara a gravi de nombreuses « collines », en particulier celle de l’économie, comme celle des élections. Le climat en Côte d’Ivoire est-il apaisé ? Pas autant que le voudrait le Président Alassane Ouattara. Il se souvient de la grogne sociale de mai 2016, de celle des militaires en janvier 2017. Il a su, à chaque fois, apaiser le pays, notamment sous l’action de feu Amadou Gon Coulibaly et d’Hamed Bakayoko, devenu Premier ministre. Il doit surtout se souvenir de l’élection de Bédié en 1995. Sans candidats en face de lui, Ouattara empêché de se présenter et Gbagbo qui boycotte le scrutin, Bédié a été élu dès le premier tour avec 96,16 % des voix et une participation de 56,2 %. Bédié commettra l’erreur de confondre le pays politique et le pays réel. Ouattara, qui n’a jamais été enivré par le pouvoir au point d’oublier qu’il reste toujours « beaucoup d’autres collines à gravir », en particulier celle de la sortie de crise liée à l’impact de la Covid 19 sur l’économie et les populations, ne commettra pas la même erreur. On peut supposer que la réconciliation de tous les Ivoiriens sera l’un de ses principaux chantiers.

Christian GAMBOTTI, Agrégé de l’Université,

Président du think tank Afrique & Partage-
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains.

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