LA CHRONIQUE DU LUNDI – LES ETATS-UNIS ET L’AFRIQUE : La nouvelle stratégie américaine pour l’Afrique

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Dernère publication

La mondialisation a changé de nature : elle était économique avec l’illusion soigneusement entretenue par les élites que l’humanité, après la chute du Mur de Berlin et la disparition du bloc communiste, n’avait plus comme seul objectif que son propre perfection économique et démocratique. C’est la fameuse thèse défendue par Francis Fukuyama, dans son article, « The end of History ? », publié au cours de l’été 1989. Aujourd’hui, l’utopie de la « mondialisation heureuse » touche à sa fin. La mondialisation ne porte plus le rêve d’une économie ouverte capable d’unifier l’humanité : elle est devenue géopolitique et géostratégique, c’est-à-dire conflictuelle. Aux guerres économiques, d’une violence inouïe, entre les régions du monde, s’ajoutent maintenant, de façon claire, les enjeux géopolitiques et géostratégiques.

Obama, Trump et l’Afrique

Contrairement aux idées reçues, Obama, premier président noir des Etats-Unis, ne s’est pas intéressé a l’Afrique autrement qu’à travers le discours convenu de la compassion, la visite à sa famille kényane et son déplacement en Afrique du Sud afin de célébrer le centenaire de la naissance de Nelson Mandela. Obama et l’Afrique, c’est avant tout l’histoire d’une déception. Ce n’est que 3 ans après son élection qu’Obama publie la feuille de route de la politique africaine des Etats-Unis. Déception, la politique africaine d’Obama est d’une incroyable banalité, symbole du regard que portent les élites occidentales sur l’Afrique subsaharienne. Il est question de processus de paix, développement, démocratie, santé, tous les lieux communs de l’aide au développement. Or, en 2009, la Chine dépasse les Etats-Unis dans le volume de ses échanges avec le continent africain. Chine, Russie, Moyen-Orient : la planète entière participe à la « ruée vers l’Afrique », les Etats-Unis sont étrangement absents. Un journaliste note : « pendant son premier mandat, le président américain a disparu des radars africains. » (1)
L’élection de Trump est, pour l’Afrique, un véritable choc. D’ailleurs, l’Afrique ne semble pas intéresser Trump qui s’est fait remarquer par des propos racistes tenus envers Haïti et certains pays africains. Il aurait déclaré, lors d’une réunion sur l’immigration à la Maison blanche : « Pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? » Seul le Président Paul Kagame, qu’il admire et qu’il veut rencontrer, semble trouver grâce ses yeux. A travers Kagame, qui va prendre la présidence de l’UA au 1er janvier 2018, Trump cherche à se réconcilier avec l’Afrique. Le 26 janvier 2018, lors de leur rencontre à Davos, il lui dira : « Je tiens à vous féliciter, Monsieur le Président, en tant que nouveau responsable de l’Union africaine. » Le 30è Sommet de l’Union Africaine qui se tient à Addis-Abeba, en Ethiopie, les 28 et 29 janvier 2018, donne à Trump l’occasion de cette réconciliation. Il envoie, le 26 janvier, au président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, aux Chefs d’État et de gouvernement, ainsi qu’aux délégations réunies à Addis-Abeba, une lettre qui précise : « Je veux souligner que les États-Unis respectent infiniment les Africains, et mon engagement pour des relations solides et respectueuses avec les États africains en tant que nations souveraines est ferme ». Pourquoi ce soudain revirement qui va se confirmer tout au long de l’année 2018 ? Le 13 décembre, dans une déclaration faite devant la « Heritage Foundation », un think thank conservateur, ce qui n’est pas un hasard, le conseiller pour la sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton, dévoile la nouvelle stratégie américaine en Afrique. Cette stratégie tient compte des lignes de force et de fracture qui structurent les enjeux de puissance aujourd’hui et dont l’Afrique est l’un des épicentres.

L’Afrique, un enjeu géoéconomique, géopolitique et géostratégique pour Trump
La logique de son slogan « America first » conduit Trump à faire de la défense des intérêts américains une priorité absolue. Il découvre, à travers la forte présence de la Chine et de la Russie sur le continent, que l’Afrique représente désormais un enjeu géoéconomique, géopolitique et géostratégique majeur. A l’évidence, les Etats-Unis ne peuvent pas se désintéresser de l’Afrique. Validée par Trump le 12 décembre, la déclaration de John Bolton du 13 décembre se construit sur trois thèmes : la réorientation de l’aide américaine à l’Afrique, la condamnation de l’ONU dans ses opérations de maintien de la paix, les attaques contre la Chine et la Russie.

La réorientation de l’aide américaine

L’administration américaine entend revoir l’aide qu’elle accorde au continent. Les financements seront désormais conditionnés par les résultats qu’ils permettent d’obtenir. L’administration américaine veut des résultats en contrepartie de l’aide dispensée. Pour John Bolton, « Des milliards et des milliards de dollars de l’argent des contribuables américains n’ont pas produit les effets escomptés », c’est-à-dire une gouvernance stable et transparente, le développement économique et social, la sécurité et une paix durable. Selon John Bolton : « les États-Unis ne toléreront plus ce modèle ancien de l’aide sans effet, de l’assistance sans obligation de rendre des comptes et du secours sans réforme. »

La condamnation de l’ONU

Le conseiller à la sécurité nationale a également remis en cause les missions de maintien de la paix de l’ONU, en particulier celles qui s’étendent sur de nombreuses années et n’aboutissent à rien. Il cite l’exemple du Sahara occidental : « 27 ans plus tard, le statut de ce territoire n’est toujours pas résolu. Honnêtement, 27 ans de déploiement de ces forces de maintien de la paix ! (…) Comment peut-on justifier cela ? » Trump veut mettre fin aux missions de l’ONU en Afrique qui ne favorisent pas « une paix durable ».

Les attaques contre la Chine et la Russie

John Bolton a fortement critiqué l’attitude de la Chine et de la Russie en Afrique. Bolton n’a pas hésité à dire : « La Chine a recours à des pots-de-vin, à des accords opaques et à l’utilisation stratégique de la dette pour maintenir les États d’Afrique captifs des exigences de Pékin ». Quant à la Russie, selon John Bolton : « Les Russes échangent des ventes d’armes et d’énergie contre des votes aux Nations unies ».Les attaques contre la Chine et la Russie sont d’une extrême virulence : « Les pratiques prédatrices de la Chine et de la Russie freinent la croissance économique en Afrique, menacent l’indépendance financière des pays africains, entravent les possibilités d’investissement des États-Unis, entravent les opérations militaires américaines et constituent une menace importante pour la sécurité nationale des États-Unis. » Pour la Maison Blanche, la Chine utilise la dette des États africains, afin de les soumettre ; quant au poids de la Russie en Afrique, il ne cesse de croître.
Alors qu’il ne s’était guère exprimé sur l’Afrique, Trump veut donner à la diplomatie américaine sur le continent un nouveau souffle. Il s’agit bien de reprendre du terrain sur Pékin et Moscou. Au moment de la Guerre froide, l’Afrique a été le terrain de l’affrontement militaire entre les Etats-Unis et l’URSS. L’histoire se répète aujourd’hui, mais, d’une manière, en apparence, plus « soft », puisqu’il s’agit d’offensives diplomatiques et d’intérêts économiques. Derrière les enjeux de puissance économique, se cache en réalité un enjeu de puissance militaire, dont le symbole est Djibouti, « porte d’entrée convoitée de l’Afrique ». Enjeu géostratégique planétaire, « idéalement placé à l’entrée de la Mer Rouge, Djibouti voit passer, chaque jour, 20% du commerce mondial au large de ses côtes. » (2)

Christian Gambotti
Agrégé de l’Université
Président du think tank Afrique & Partage
Directeur de la Collection L’Afrique en marche
DGA de Totem Communication
& ServicesChroniqueur, politologue, essayiste.

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